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Du bon usage de l’exclusion…

Le jeudi 23 avril 1998.

Le gouvernement de gauche fait beaucoup de choses contre l’exclusion. Presque autant que pour l’exclusion ! D’ailleurs, on ne sait plus car derrière des propos contre l’exclusion se cachent des propos légitimant l’exclusion : c’est ainsi que Jospin a pu refuser l’augmentation des minima sociaux car il est pour une société du travail et leur augmentation accroîtrait l’exclusion. Comme si l’assistance n’était pas la seule chose que savent faire les profiteurs depuis toujours pour s’éviter le spectacle de leur ignominie et éviter une révolte toujours possible.

On ne sait plus car derrière une loi contre l’exclusion se cachent des mesures pour l’exclusion. Ainsi la récente loi Aubry sur l’exclusion en offre un saisissant exemple. On y trouve le catalogue sempiternel et ministériel de mesures sociales qui sont autant d’effets d’annonces et d’incantation qu’il vaut mieux les oublier comme on a pu oublier les récentes mesures sur l’exclusion (plutôt que contre) de Douste-Blazy en 1994, Kouchner en 1992 ou encore du gouvernement Rocard en 1990.

Alors qu’y trouve-t-on d’autre qui marquerait la puissance de l’originalité de ce gouvernement ? Le RMI à 5 000 FF ? Non. Une amélioration pour les quelques 6 millions de personnes qui vivent des minima sociaux avec 2000 FF de moyenne par mois ? Non. Pourtant, il y aurait matière à lutter : les 10 % les plus pauvres perçoivent 1,2 % du revenu disponible après impôts en France alors que les 10 % les plus riches perçoivent 31 % de ce revenu disponible après impôts (chiffre du SNUI syndicat national unifié des impôts).

L’habit ne fait pas le moine

Alors peut-on y trouver quelque chose de novateur ? Oui, il y a une innovation. Mais cette innovation est terriblement antisociale et fait de cette loi une véritable mesure pour l’exclusion : il est question que le RMI devienne une allocation dégressive pendant 6 mois qui s’ajouterait au salaire perçu à partir de l’embauche. L’idée de base des socialistes (mais n’ayant pas entendu un communiste ou un Vert pester contre cette disposition, on peut dire du gouvernement) est qu’il faut encourager les pauvres (qui le sont devenus à cause des politiques d’assistance au patronat qu’ils mènent !) à travailler car actuellement les minima sont trop forts et la différence entre un RMI de 3 000 FF et un salaire de 3000 FF à temps partiel ou de 5 000 FF est trop faible. On vérifie à quel point les idées libérales et antisociales sont devenus intimes à ce gouvernement. On comprend le consensus d’horreur qu’il y a à évoquer l’augmentation de tous les minima sociaux de 1 500 FF !

Ainsi, la loi permettrait de garder par exemple 1 500 FF de RMI en plus d’un salaire. Mais de quel salaire parle-t-on ? Du salaire qui serait donné à un non RMIstes ou d’un salaire pour RMIstes ? Étant donné que le patron sait nécessairement que la personne est RMIiste, que va-t-il lui proposer ? Ou, plutôt, que lui permet-on de proposer si ce n’est un salaire de 3 500 ou 4 000 FF qui sera utilement complété par l’État dont la providence serait (pour une fois) la bienvenue.

Nous voyons ici que les largesses de l’État à l’égard du patronat n’ont pas de limite dans leur justification, y compris celle de lutter contre l’exclusion. En fait, c’est une subvention déguisée à ce patronat qui ne vilipende l’État que quand il distribue notre argent à d’autre que lui. Et encore un coup d’allégement du coût du travail, histoire de dire que les minima sociaux empêche de travailler. Encore une aubaine pour ce patronat qui sera trop pressé de se séparer de ce personnel une fois que la participation de l’État aura disparu et qu’il faudra le payer au prix des salariés traditionnels.

Ce gouvernement semble être le spécialiste des pseudo-mesures qui libèrent pour mieux enfermer par la suite. C’est le cas des 35 heures comme de ce RMI dégressif D’ailleurs, le baron du CNPF ne s’y est pas trompé qui est allé voir Aubry vendredi 17 avril pour lui proposer de l’étendre à d’autres salariés dans certaines branches. Il propose que dans le tourisme, la restauration et les bâtiments publics, des accords permettent de généraliser cela.... pour soutenir l’emploi !

La main tendue au patronat

Ne voit-on poindre l’allocation universelle, version libérale ? Cette idée supposée de gauche, à voir comment la gauche associative, CFDT, intello façon Minc s’est jetée dessus, qui vise à baisser radicalement le coût du travail en faisant porter une partie de la rémunération de tout salarié par l’État, c’est à dire les autres salariés ? Au lieu de supprimer le SMIC, ça ferait moche, pourquoi pas 1 500 FF pour tous grâce à cette allocation et 3 500 FF de salaire payé par le patron ! Il est clair que le patronat est prêt à être de gauche à cette condition ! La confusion est admirablement entretenue avec une allocation universelle qui serait le substitut intégral du salaire et par là même du salariat dans une société ou nous serions enfin débarrassée de l’oppression capitaliste. Ce petit exercice de partage, pas catholique du tout, permettrait ainsi de distribuer un revenu de 12 000 FF à toute la population aujourd’hui (le PIB distribué entre tous égalitairement). Ou tout simplement avec l’idée d’augmenter les minima sociaux de 1 500 FF de façon à ce que plus personne ne vive avec moins de 5 000 FF par mois, ce qui pourrait alors être considéré comme une allocation universelle. Mais il ne me semble pas avoir vu le baron demander cela en février, ni, d’ailleurs il faut lui en rendre grâce, Aubry le lui proposer !

Le pire, c’est que tout cela semble passer inaperçu puisque la gauche officielle et les associations caritatives sont d’accord. Il suffit de les mettre en situation de cogestion de la misère pour que celles-ci se contentent de leur reconnaissance. En attendant, les 6 millions de gens qui se contentent de minima sociaux attendent la leur de reconnaissance ! Qu’ils n’attendent pas trop car celle-ci ne viendra que par la force qu’ils sauront représenter à l’instar du mouvement des chômeurs.

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