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éditorial du nº 1122

Le jeudi 7 mai 1998.

Décidément, nous ne cessons de célébrer des anniversaires historiques en tout genre. Aujourd’hui nous soufflons les trente bougies de Mai 68. Pour faire table rase du passé et surtout éviter la moindre analyse dérangeante sur des sujets sociaux, l’astuce de notre société capitaliste consiste à transformer ceux-ci en véritables produits de consommation de masse. Même l’idéologie révolutionnaire est devenue une marchandise. Après nous avoir vendu du Che via un chant de lutte transformé en tube de variété, le créneau soixante-huitard semble porteur. Comme le lancement d’un film de Spielberg, les « événements » sont mis en vente avec machinerie commerciale à l’appui. Au moins une trentaine d’émissions télé, des livres, des romans-photos, un CD rom, des posters et jusqu’aux affiches de l’époque vendues aux enchères à Drouot. La célèbre CRS SS coûte seulement la bagatelle de 6 300 FF. Bien sûr, derrière tout ce folklore (« une page de publicité puis retour sur les barricades » comme dit l’animatrice de RTL…), une bonne pression idéologique pour renforcer dans toutes les têtes que ce moment d’histoire était bien gentil mais trop violent, que la transformation sociale n’a plus lieu d’être… bref une édulcoration et une vision réactionnaire délivrée en guise de certificat de garantie.

À cela viennent s’ajouter les témoignages des anciens leaders. La plupart, après avoir occupé les facs, occupent désormais les salons du pouvoir ou ses anti-chambres. « L’imagination au pouvoir ! » n’était donc pas un vain mot d’ordre ! Henri Weber (ex-LCR) devenu sénateur PS se repend des bêtises de sa jeunesse à longueur d’interviews. Mais laissons causer la star mégalo, Daniel Cohen-Bendit : « Pour aider les chômeurs, je propose de créer un revenu minimal garanti en taxant l’énergie, à savoir 18 FF le litre d’essence pendant dix ans »… « Je suis un réformiste radical qui veut rééquilibrer la gauche en France… » « Seul le parlementarisme peut amener la réforme, la révolution ayant toujours une idéologie totalitaire ». « Il ne faut pas que ça pête car ce serait désespéré, il n’y a pas de projet, le réformisme se doit d’amener un espoir sinon les extrémismes bloquent les processus de transformation de la société ». « La réforme oui, la chienlit non », cette célèbre phrase de De Gaulle devient le leitmotiv de ce monsieur. L’espiègle provo de 68 est devenu le triste bouffon de 98.

Nos propos ne se veulent ni sectaires ni puristes. Certes, après avoir été déçu de ne pas voir poindre le grand soir, s’occuper de soi ou être dans l’associatif peut se comprendre, mais devenir les porte-paroles idéologiques d’un système capitaliste qui en trente ans a développé comme jamais misère sociale et racisme, alors là, non. L’anonyme ouvrière de chez Wonder qui, en juin 68, pleurait et exprimait sa rage de retourner bosser dans son usine, que peut-elle penser aujourd’hui des tristes pitreries de ceux qui, paraît-il, voulaient faire la révolution ? Heureusement certaines et certains ont toujours cet objectif. Nous en sommes, plus que jamais.