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Les Bons apôtres ! à vomir !

Le jeudi 1er février 2007.

Si l’auteur de ces lignes n’avait pas reçu une bonne éducation à l’école de la République, il serait bien plus vulgaire et dirait : à dégueuler !

À deux reprises, en quelques jours, les hommes (et les femmes) qui nous gouvernent ont fait montre d’un cynisme moralisateur qui n’a d’égal que leur volonté de nous imposer un contrôle social de plus en plus pesant.

Le 18 janvier 2007, sans que cela corresponde vraiment à une quelconque date commémorative, Jacques Chirac se souvenait qu’aux temps de l’occupation nazie il s’était trouvé de nombreux « Justes » pour s’opposer à la répression conduite contre les Juifs dans la tourmente. Il convenait donc de les honorer. Bel effort de reconstruction d’une page de l’histoire peu glorieuse de ce pays.

Il s’agit d’ailleurs d’une fâcheuse habitude que de nous renvoyer à cette France profonde, toujours sur le chemin de la gloire et de l’héroïsme. C’est ainsi qu’après 1945, on a voulu convaincre des générations de collégiens et de lycéens que les Français avaient été globalement résistants, de 1940 à 1944. Ce qui n’était rien moins qu’une escroquerie historique. En 2007, le temps était venu d’expliquer à un pays ému que les Français avaient été majoritairement solidaires des Juifs pourchassés. Ce qui constitue un pieux mensonge.

En effet, durant les années noires de l’Occupation, il y a surtout eu des attentistes et des indifférents. Qu’importe ! Le 18 janvier 2007, au Panthéon, Jacques Chirac célébrait les « Justes » recensés ces dernières années. Lesquels se sont effectivement comportés courageusement, risquant leur vie… 2725 « Justes » pour une France alors peuplée de 40 millions d’habitants.

Il s’est donc trouvé 2725 Français pour sauver l’honneur des lâches qui résistaient en écoutant Radio-Londres et le chef d’une France libre — de Gaulle — qui ne trouvera jamais un mot pour dénoncer les rafles et la traque des Juifs étrangers. On ne songeait qu’à venger nos couleurs de la défaite déshonorante de juin 1940. Rien d’autre !

Le paradoxe, c’est que les hommes actuellement au pouvoir ne cessent de s’acharner, depuis de longues années, à expulser les étrangers sans papiers, tout en menaçant les « Justes » de 2007 qui se montreraient solidaires des nouveaux exclus, traités tels des criminels dans les centres de rétention administratifs. En attendant l’heure de l’expulsion.

Bien entendu, il ne peut être question de comparer les deux périodes. Pas d’amalgame, n’est-ce pas, car les étrangers expulsés — y compris les enfants scolarisés dans ce pays — ne prennent pas le train pour Auschwitz. C’est encore heureux ! Peu importe qu’ils soient menacés de la pire répression lors du retour à la case départ. Il n’en reste pas moins que ces pratiques d’exclusion perdurent alors que nous sommes censés vivre en démocratie.

Fin du premier acte.

Le 22 janvier 2007, nous apprenions le décès de l’abbé Pierre. Immédiatement, c’est un interminable concert de louanges pour célébrer celui qui avait passé son existence à se préoccuper des sans-logis. Pourtant, les mêmes qui admettaient tranquillement que des dizaines de milliers de SDF puissent grelotter dans la rue feignent de découvrir l’ampleur de la misère humaine. Ceux-là mêmes qui expliquaient, il y a quelques semaines, que le campement des Enfants de Don Quichotte, le long du canal Saint-Martin, à Paris, n’était que de la poudre aux yeux, entonnent aujourd’hui l’hymne de la solidarité et de la charité bien tempérée. Tout en oubliant les expulsions violentes des squatters par la police.

Le décès de l’abbé Pierre tombe à point nommé pour permettre au pouvoir de se donner cette touche sociale qui lui fait tant défaut.

On fait pleurer le bon peuple sans lui laisser le temps de réfléchir. Le vieillard de 94 ans, à qui l’on promettait tout sans jamais donner de suite, est devenu un héros national. Certains même proposent de lui donner une sépulture au Panthéon — on y a bien inscrit les noms des « Justes » le 18 janvier. Alors.

Les élections approchant, il ne faut pas être à court de démagogie. Qu’y a-t-il de plus affligeant que ces déclarations de Nicolas Sarkozy sur ce bon abbé qui vient de disparaître, alors qu’il envoie ses flics détruire les campements de Roms dans la banlieue parisienne ? Qu’y a-t-il de plus misérable que ces gesticulations de Jacques Chirac qui, dix ans après la campagne présidentielle de 1995, redécouvre la fracture sociale ? Le 14 janvier 2007, devant le congrès de l’UMP, Nicolas Sarkozy s’écriait, dans un grand élan :
« La France, c’est celle des travailleurs, celle de Jaurès… »

À gerber !

Maurice Rajsfus