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Soyons sport, parlons fric

Le jeudi 7 mai 1998.

« Ici l’argent n’est pas un problème. Le football faisant partie des priorités de la famille royale depuis de longues années, tout le monde en profite [1].



7 milliards pour un SDF

Souvenez-vous : le baptême de la chose se préparait alors entre initiés, sous le patronage de Pivot. On avait fait semblant de demander l’avis du bon peuple, qui avait fiévreusement cogité sur le sujet [2] : comment va-t-on appeler l’œuvre ?

Puis, le concile, (réunissant journalistes, sportifs, membres de l’Académie des Arts et du Show-b…) avait soupiré de béatitude devant la proposition de Liane Foly : elle s’appellerait Stade de France (des fois qu’on aurait oublié le côté patriotique de la chose…). C’était beau comme du Claudel : un nom bé-ton : logique, Bouygues sponsorise.

Quelques esprits chagrins, des aigris qui n’ont pas le sens de la fête, ont alors demandé à voir les prix… sachant que plus de 80 000 FF : étaient déjà dépensés, rien que pour préparer l’inauguration !

Près de 3 milliards de francs ont été investis rien que pour la réalisation du stade (46 % directement aux frais de l’État). On sait que, dans les faits (en prenant en compte toutes les infrastructures mises en place pour faciliter la circulation aux abords du stade, soit 4 milliards de francs), ce sont près de 7 milliards qui ont été engloutis par la bête…

Sans oublier (et Balladur nous le rappelait gentiment dès l’origine), que pour faire vivre un club sur place, on aura besoin de plus de 100 millions la première année, et bien plus par la suite ! Car, dilemme, quelle sera l’utilité de la chose, après la coupe du monde ?

Qui n’en veut ?

Il faut d’ores et déjà songer à créer un « club populaire », sur place, car même Johnny refusera de venir y chanter plus d’une fois par mois… Ce projet devrait être « couvé » par la FFF, la Ligue nationale, la mairie de Saint-Denis, le conseil général, et le consortium… Ce consortium (dont les principaux « associés » sont Bouygues, Lyonnaise [Dumez] et la Générale des Eaux) n’aura bien évidemment que des projets écologistes et désintéressés à proposer, d’ici la fin de leur « concession », en 2025… Personne ne veut s’engager, dans la durée, à animer cette monstrueuse coquille vide… Même le club du PSG fuit les propositions alléchantes… « Notre public ne nous suivrait pas ! » ont-ils déjà fait savoir. C’est sûr, les supporters du PSG, vaut mieux pas les contredire.

Tout cela pouvant affecter la crédibilité du sport professionnel, Madame la ministre communiste de la Jeunesse et des Sports, s’est empressée d’annoncer que 15 millions de francs seraient débloqués pour l’animation « autour » de la coupe du monde afin de « ne pas laisser cette coupe aux seuls marchands du stade ». Consciente du ridicule de ces miettes, jetées aux amateurs de sport noble et sans tache, elle s’est tout de même empressée de rajouter que « le fait que le sport de haut niveau soit en partie financé par l’argent privé n’a rien de scandaleux ou de choquant en soi »… Ben voyons !

Mais il n’y a pas qu’à Saint-Denis que l’argent est si bien utilisé… Partout en France les villes s’apprêtent à accueillir leurs gentils invités, d’Iran, des États-Unis, du Maroc et d’ailleurs… Dès novembre 1997, Jospin parlait d’un devoir de « mobilisation générale ». Youcaïdi, rien de tel pour réconcilier nationalistes de gauche et de droite qu’une bonne partie de foot avec des ballons bien solides (confectionnés, Platini l’a promis, par d’autres salariés que les enfants asiatiques)…

Au régal des vampires…

Les mécènes de la coupe du monde, « partenaires commerciaux » du CFO, se comptent eux par dizaines… Air France, quarantième sponsor répertorié, a transformé ses comptoirs en véritables vestiaires des virils à crampons… Mais la caricature est encore une fois incarnée par la petite entreprise familiale Coca-Cola qui parraine principalement trois opérations :

  • la sélection des jeunes porteurs de drapeaux nationaux, recrutés après concours (il serait intéressant de connaître les critères, physiques ou esthétiques, appliqués) ;
  • l’organisation des matchs de « lever de rideaux », avec la super sélection de 80 joueurs du monde entier nés en 1986 ou 1987 (il n’est jamais trop tôt pour apprendre les joies et les valeurs de la compétition) ;
  • la sélection de 56 petits ramasseurs de ballons, sélectionnés à l’issue du « Coca Cola foot challenge » ! (s’ils sont sages, ils deviendront bénévoles quand ils seront grands)…

Et les services publics qui font du zèle… La poste qui nous fait coller des petits hommes bleus sur nos enveloppes… et nous oblige à contempler, dans chaque bureau, un crétin de volatile symbolisant les coqs abrutis et prétentieux qui vont bientôt « défendre les couleurs de la France »… Et on n’a même pas le droit de s’en servir comme punching-ball !

De la pub à gogo, des retransmissions qui se marchandent à coups de millions, des entreprises, des billets pour la finale d’ores et déjà revendus 15 000 FF. Pas de doute, l’Intemationale capitaliste est déjà à la fête.

Anne-Charlotte
groupe de Nantes


[1Déclaration du responsable de l’équipe de foot d’Arabie Saoudite ».

[2L’imagination étant toujours au pouvoir chez les footeux, la majorité d’entre eux voulait l’appeller « Michel Platini ».