À la veille de la Seconde Guerre mondiale, autour de Barta, un militant hongrois, un groupuscule se constitue : l’Union communiste internationaliste, ancêtre de l’actuelle Lutte ouvrière. Dès cette époque, les caractéristiques principales du trotskisme à la sauce LO se mettent en place : un ouvriérisme sans limites et un mode de fonctionnement « clandestin ».
Dans le mouvement social de mai 1947, le rôle joué par une poignée de militants de l’UCI chez Renault, où débuta la vague de grèves, demeure « l’acte fondateur » dans la mythologie LO. Forte de son leadership dans le comité de grève, l’UCI tenta de créer un syndicat autonome, le Syndicat démocratique Renault. En 1948, l’UCI sombra dans le naufrage du SDR.
En 1956, l’UCI renaît de ses cendres. Pendant des années, le petit groupe n’a pas de journal, affichant ainsi son mépris à l’égard de la réflexion politique, considérée comme une préoccupation d’intellectuels que ne comprendraient pas les « travailleurs ». Il se construit autour de la seule diffusion de bulletins d’entreprise.
En Mai 1968, ce groupe, devenu Voix ouvrière, affiche une attitude très hautaine vis-à-vis du mouvement étudiant. Dans l’extrême-gauche, il se pense comme le seul groupe « prolétarien » entouré de « gauchistes petit-bourgeois ». Politiquement absent, il n’en est pas moins dissout et prend alors le nom de Lutte ouvrière.
En 1974, Arlette Laguiller se présente à l’élection présidentielle. Intronisée comme porte-parole en raison de son rôle de premier plan dans une grève au Crédit Lyonnais, Laguiller n’est pas membre de la direction, qu’elle ne rejoindra que beaucoup plus tardivement. Encore aujourd’hui, le véritable leader de LO est un certain Hardy, personnage discret qui n’intervient jamais publiquement.
Un ouvriérisme caricatural
Contrairement aux autres organisations qui s’effondrent ou entrent en crise à partir de la fin des années soixante-dix, Lutte ouvrière se renforce et devient dans les années quatre-vingts le principal groupe d’extrême-gauche. Même si on peut considérer l’ouvriérisme comme une constante chez les marxistes, LO s’illustre néanmoins dans ce domaine. Lutte ouvrière caractérise toutes les luttes (féminisme, antiracisme ou antifascisme) qui débordent le cadre de l’entreprise comme « petite-bourgeoise ». En conséquence, elle en est généralement absente.
LO se veut un modèle « d’organisation prolétarienne ». Dans ses rangs, les ouvriers d’usine ne constituent pourtant qu’une minorité. Les militants issus de milieux « non-prolétariens » doivent démontrer, par l’ampleur des sacrifices consentis, la réalité de leur « rupture physique et idéologique » avec leur milieu originel.
Fascinée par le PCF, le « parti de la classe ouvrière », LO a la volonté de s’adapter à ce qu’elle considère comme devant être « l’ouvrier moyen ». En particulier, ceci l’amène à adopter des attitudes de « beauf », motivées par l’adhésion à une espèce « d’ordre moral révolutionnaire » qui fait des militants de LO de véritables « curés rouges ». Par exemple, dans les années soixante-dix, les militantes avaient des consignes strictes : elles devaient absolument porter un soutien-gorge. Aujourd’hui, le multipartenariat sexuel peut être un motif d’exclusion de Lutte ouvrière.
La répulsion pour l’homosexualité atteint des sommets. Lutte ouvrière considère l’homosexualité comme une pathologie provoquée par l’aliénation capitaliste. Avec l’avènement du socialisme, LO affirme que l’homosexualité devrait « tout naturellement » disparaître. Aujourd’hui encore, LO n’accepte dans ses rangs aucun homosexuel déclaré.
Une parodie de clandestinité
Lutte ouvrière est une organisation hyper-hiérarchisée et cloisonnée, conçue comme un parti de révolutionnaires professionnels, dans la plus pure tradition léniniste. LO a calqué son mode d’organisation sur celui des bolcheviks confrontés à l’autocratie tsariste. Officiellement, ce choix est justifié par la volonté d’éviter toute infiltration policière tout en préparant les militants à une situation de clandestinité. Ces velléités paraissent paradoxales quand, dans le même temps, LO présente des centaines de militants aux différentes élections.
En réalité, cette parodie de clandestinité joue un autre rôle : préserver la « pureté » de l’organisation tout en s’assurant de la parfaite docilité des militants. Pour devenir membre de LO, il faut affronter un véritable parcours du combattant. Tout individu prenant contact avec LO se voit proposer un rendez-vous hebdomadaire, dans un café, avec un militant expérimenté. Si le postulant se montre efficace et parvient à présenter d’autres sympathisants, ceux-ci doivent accepter le même type de face à face. Fondamentale, cette procédure a l’avantage, du point de vue de LO, de reproduire un rapport de domination, du type prof/élève, tout en permettant d’isoler et donc d’écarter facilement tout élément indocile.
Pour tester ses sympathisants, LO leur propose également des stages intensifs de formation d’une semaine. En invoquant des « raisons de sécurité », il est précisé au postulant qu’il doit absolument mentir à ses proches sur la raison de son absence. De même, on lui précise qu’il devra impérativement effectuer l’intégralité du stage, pendant lequel il ne pourra avoir aucun contact, même téléphonique, avec le monde extérieur. Si le postulant accepte, un rendez-vous lui est donné à une heure très précise dans la file d’attente d’un guichet d’une station de métro parisienne. Il est alors pris en charge, toutes les dispositions étant prises pour que le sympathisant ne puisse pas identifier le lieu du stage.
Ces pratiques édifiantes rappellent celles d’une quelconque secte. Elles ont fait la « force » de LO, lui permettant de préserver sa cohérence, mais elles constituent aussi sa faiblesse : avec un tel mode d’organisation, les appels lancés par Laguiller, en 1995, pour la création « d’un grand parti révolutionnaire » ne pouvaient pas dépasser le stade incantatoire.
En l’état, la secte LO peut perdurer encore longtemps. Par contre, son développement parait sérieusement hypothéqué. Clairement, ce n’est pas nous qui nous en plaindrons…
Patrick
groupe Durruti (Lyon)