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Cinéma, le 21 mars

Un Film pour passer le relais aux jeunes

« Les LIP, l’imagination au pouvoir » de Christian Rouaud
Le jeudi 1er mars 2007.

Voilà un film documentaire qui aborde un épisode passablement oublié : ce que l’on a appellé l’Affaire LIP. Le 17 avril 1973, cette entreprise horlogère de Besançon qui emploie des centaines de salarié-es dépose le bilan. Ce coup de tonnerre sera le début d’une véritable épopée qui marquera durablement les consciences, le syndicalisme français alors en recomposition (la CFDT autogestionnaire émerge), et les pratiques sociales, militantes. Pendant de longs mois, « les LIP » vont pratiquer la baisse des cadences, les manifestations, occuper l’usine, séquestrer des cadres, voler et cacher 500 000 montres en guise de trésor de guerre, subir les CRS,… Dans le même temps, ils vont organiser collectivement la lutte, l’occupation, et vont populariser le slogan : « On fabrique, on vend, on se paie ».

Le film, qui dure près de deux heures (on en redemande !), relate ce conflit social d’une ampleur inégalée à ce jour. À travers une série d’entretiens, alternant avec des images d’archives, et dans un ordre chronologique, Christian Rouaud nous fait rencontrer l’histoire ouvrière. Cette histoire, racontée ici par ceux et celles qui l’ont vécue, est faite de prêtres ouvriers, de cadres, de PDG, et surtout d’ouvriers — hommes et femmes — que rien ne destinait à devenir un jour des meneurs de grèvistes. C’est un mérite certain du réalisateur : il aime ces personnes qui ont fait le conflit LIP. Et ça se voit ! À les avoir mis en confiance, il tire d’eux le naturel qui leur permet de se laisser aller à raconter la grande et la petite histoire. Il y a des yeux qui se baissent lorsque les compagnes disent leur solitude d’alors, un plan furtif qui dit la solitude dans une cuisine, un bras d’honneur qui vaut son pesant d’or… Les plans sont fixes, les séquences courtes, le rythme des images est calme, jamais trop long. Sur un plan filmique, ce documentaire est une réussite car il valorise les protagonistes de LIP et nous donne le temps d’apprécier le déroulement du récit.

Une autre dimension est à mettre en évidence, aussi, au crédit du réalisateur. Son film serait un passage de relais pour les générations qui cherchent. Que l’histoire de ces ouvriers et ouvrières soit mise à disposition du plus grand nombre à travers un film, en dit déjà assez long sur une conception sympathique d’un cinéma populaire (dans le bon sens du terme) ; mais que cette déclinaison soit une intention pour développer notre imaginaire et vivifier les esprits d’aujourd’hui pour leur donner à voir et à comprendre la pratique de la fraternité, de la démocratie directe, du contrôle des délégués, l’importance d’instances contrôlées par les usagers eux mêmes, l’inventivité des outils et méthodes de revendications… ne peut que nous séduire ! Christian Rouaud s’essaye à merveille à raconter du réel en stimulant notre imaginaire social et politique, tout en nous restituant un peu de notre histoire à tous et à toutes. Quinquagénaires actifs ou jeunes gens en recherche de sens… ce film devrait vous doper !

Daniel
(Nimes)