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Cinéma

« El Violin », un film mexicain sur ceux qui résistent

Le jeudi 25 janvier 2007.

Cette année, le festival de Cannes a primé deux films liés au Mexique : Babel, du mexicain Inarritu (Amores perros…) qui a remporté le prix du meilleur scénario et qui est déjà sorti sur les écrans français. Puis dans la catégorie « Un autre regard », c’est le film du réalisateur Francisco Vargas qui a obtenu le prix de l’interprétation masculine. Vous admirerez la présence à l’écran de Don Angel Tavira.

L’histoire, qui dure 1h38 minutes, se passe quelque part, en Amérique latine. Cela pourrait être au Mexique, mais rien ne l’indique de façon certaine. Un vieil homme, à la main droite amputée, part à la ville avec son fils, et son petit fils. Le vieil homme joue du violon, son fils de la guitare, et l’enfant collecte quelques pièces qui leur permettront de survivre, un jour de plus. Pourtant, ils vivent dans un village où ils sont eux mêmes paysans. Mais la misère les pousse à jouer pour un public rare et aussi pauvre qu’eux. En revenant au village, femmes et enfants fuient : les « federales », les militaires, arrivent, à la recherche de guérilleros et de guérilleras, très présents dans ces montagnes.

Le film a été tourné en noir et blanc, pour alourdir l’atmosphère, assombrir les visages, accentuer la misère et la mort qui rôdent partout. A l’origine de ce projet, un livre, Les Aventures incroyables d’un violoncelle de Carlos Prieto. « Ce choix du noir et blanc est aussi un choix qui me permet d’associer une dimension documentaire à mon film », déclare le réalisateur. De fait, des gros plans sur les visages inquiets ou terrifiés, des plans où la vie communale la plus simple s’offre à nos yeux, des panoramiques sur des paysages vastes et qui suintent la désolation… nous donnent cette sensation d’une œuvre à mi chemin entre fiction et étude sociale d’un peuple brutalisé par la misère et la violence militaire. D’ailleurs, F. Vargas, aime à dire que le film de Luis Bunuel, Los Olvidados, l’a marqué.

Mais cette dimension réaliste voulue par le jeune cinéaste mexicain qui signe là sa première œuvre doit beaucoup aussi au fait que seuls quatre acteurs du film sont des professionnels ; tous les autres sont des amateurs, tous connus par Francisco Vargas, puisque ils sont tous originaires du même village. « La terre d’où je viens est la même que la leur ; dans mon film, les guérilleros, les villageois, les federales… sont issus du même milieu, parfois ont grandit ensemble ; et pourtant, ils font des choix différents. C’est cela qui me fascine, aussi ». C’est la raison d’une séquence qui établit un parallèle surprenant entre les deux armées ennemies, qui ont, pourtant, les mêmes attitudes, dictés par les mêmes hurlements, avec les mêmes mots, dans les mêmes intentions… Que l’on ne cherche pas ici un film supplémentaire où les bons sont ceux là et les méchants sont ceux-ci : c’est une des dimensions fortes de ce film. « Je ne pense pas que l’usage des armes permet d’accéder à la paix et à la justice sociale, mais je comprends que l’on prenne les armes lorsque c’est la seule voie qui reste ». De fait, il donne à réfléchir avec des situations parfois elliptiques, et qui offrent matière à discuter sur l’orientation du scénario.

Le rôle du violoniste dans ce film est essentiel à comprendre l’intention du réalisateur. « Le peuple et la culture d’où je viens m’ont enseignés que les gens âgés sont ceux qui ont la connaissance et la sagesse ; mais cela s’oublie : comment considère-t-on aujourd’hui une personne qui ne peut plus produire à cause de son âge ? Quel sort est le sien ? ». Dans El Violin, Don Plutarco est celui qui résiste par la ruse, il tente sa vie pour ne pas se soumettre, il sera celui qui jettera l’ultime défi au brutal officier pourtant sous le charme de la musique qui sort du violon. C’est un des bouleversements du film : une personne agée prend sa place dans la lutte pour la vie et contre l’oppression, au même titre que les jeunes guérilleros des montagnes, mais autrement. C’est un thème fréquent dans le cinéma latino-américain contemporain qui illustre avec plus ou moins de bonheur, il est vrai, mais avec ténacité, cette thématique de la dignité des « vieux », de leur soif de vivre dignement au milieu des autres et malgré eux : « Elsa et Fred », « Conversaciones con mama », « De l’autre côté de la rue ». Comme vous le verrez à la fin du film, la voix de la résistance à l’oppression ne se tait pas toujours… La musique non académique interprétée par Don Plutarco est un coup d’oeil aussi à cette culture musicale populaire dont Vargas parle avec respect et à qui il rend hommage dans El Violin.

Le film, sorti en salles en Grèce et en France (30 copies), sortira en mars en Espagne. Il ne sortira que plus tard au Mexique où les conditions pour orchestrer la sortie d’un tel film sont plus complexes qu’ici. « Je tenais à ce que mon film tourne d’abord à l’étranger, qu’il acquière une sorte de notoriété, avant de le montrer aux mexicains ». Soyons sûrs que les villageois qui se sont donnés pour tourner le film, et Don Angel Tavira — aujourd’hui dans un fauteuil roulant — apprécieront l’arrivée de ce film devant les yeux des mexicains. Longue vie à Francisco Vargas et à l’esprit de résistance du vieux Don Plutarco !

Daniel
(Nimes)