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Ça s’agite côté lycées…

Le jeudi 21 mai 1998.

Monsieur Meirieu, pédagogue officiel de l’Éducation nationale a rendu son rapport sur l’avenir des lycées, lors d’un colloque en banlieue lyonnaise. Le ministre a été fort satisfait d’un rapport aussi politiquement correct. Les autres acteurs du système éducatif (associations de parents d’élèves, syndicats des profs et des personnels, « représentants » des élèves etc.) ont chacun pu trouver motif à satisfaction dans l’un ou l’autre des 49 points du rapport. Tout ce petit monde a ensuite été récompensé de son attention par une « animation beaujolaise ». Il faut dire que deux heures de discours pédagogique de P. Meirieu, ça dessèche ! C’était consensuel au point que même le féodal local, Raymond Barre, a applaudi le rapport mais on ne sait pas si c’était après ou avant l’animation beaujolaise.

Pourquoi tout changer ?

Il parait, c’est même le discours officiel, que le lycée a réussit la massification de l’enseignement (2 300 000 lycéens et 238 000 profs) mais pas sa démocratisation. Autrement dit, quand un adolescent vient d’une famille de prolo ou d’une banlieue pauvre, il a plus de chance qu’avant de rentrer au lycée mais pas plus d’avenir scolaire ou professionnel : facs, écoles, travail gratifiant, lui sont plus que jamais fermés.

Pas question pour autant de s’attaquer aux racines du mal et d’évoquer un quelconque changement social. Non, il s’agit simplement de faire semblant que le lycée serve à quelque chose pour ceux que la société ne destine pas aux études supérieures et aux postes de commandement.

Deux moyens complémentaires sont utilisés. D’abord, alléger les exigences intellectuelles de manière à donner l’impression de la réussite scolaire au plus grand nombre. Peut importe ensuite que cette pseudo « réussite scolaire » ne serve pas à grand chose et qu’il y ait inflation des diplômes. Il y a effectivement plus de réussite au bac mais là ou on recrutait au niveau bac (les instituteurs par exemple) on recrute à bac plus trois, et peut-être demain à bac plus cinq.

Ensuite, le lycée doit servir à former des citoyens dociles et qui acceptent les règles du jeu du système social inégalitaire. En langage éducatif cela devient « le lycée forme ses élèves a devenir des citoyens actifs et solidaires ». La citoyenneté, c’est le nouvel Eldorado de la pédagogie ; pas un programme scolaire, pas une discipline qui n’en fasse le pivot de son action. Pour cela l’État rend obligatoire à partir de 1999 une heure par semaine et dans toute les filières de catéchisme républicain, pudiquement nommé « Éducation civique, juridique et politique ».

Alors la réforme des lycées c’est pour quand ?

Allègre entretient sur les aspects concrets de la réforme le flou le plus complet. La transformation des programmes devrait demander immédiatement et sans plus de concertation. Le conseil national des programmes est pour cela bien entraîné puisqu’une réforme des programmes de géographie et d’histoire est déjà en cours et devrait se terminer l’année prochaine. Alors, reforme de la réforme ? D’autre part une refonte des lycées doit être présentée en octobre 1999. Empruntera-t-elle la forme d’un projet de loi ? La seule chose qui soit certaine c’est qu’Allègre est conscient que sur un tel sujet, politiquement explosif, il est impossible de faire l’unanimité. Alors il brouille les pistes pour empêcher ses adversaires de s’organiser.

Un exemple : le baccalauréat va-t-il rester un examen anonyme ou comporter un part de contrôle continu ? Aux enseignants, le ministre et le rapport Meirieu disent : examen anonyme. Mais aux élèves et aux parents d’élèves ils laissent entendre que leur volonté d’allégement du bac et du contrôle continu a été bien entendue. Mais là n’est pas l’essentiel…

Une autre forme d’agitation scolaire

Le 29 avril, jour ou Claude Allègre présentait son projet de réforme des lycées, 55 établissements de Seine-Saint-Denis étaient en grève, certains depuis six semaines. En Guadeloupe, les enseignants ont décidé la grève illimitée jusqu’à satisfaction de leurs revendications… ce qui fut fait le 30. À ma connaissance, ce type de conflit social dur n’avait jusque la jamais lieu dans l’Éducation nationale, au moins à une telle échelle. Un grève de profs normale dure une journée, au plus trois (après les prochaines vacances semblent compromises). Elle est appelée et contrôlée par les syndicats et se termine par un rassemblement bon enfant et au son du sifflet devant l’inspection académique, le rectorat ou le ministère, selon l’importance que l’on veut donner à l’événement. Une année scolaire normale comprend au moins une grève, afin que les mauvaises langues ne puissent pas dire que les syndicats de profs servent uniquement à s’occuper des mutations de leurs clients, et au plus trois, parce qu’après c’est de l’agitation gauchiste. Bref, une grève, une vraie, c’est inespéré et cela marque un véritable changement dans les pratiques militantes des profs.

D’ailleurs le ministre a dû sentir passer la vent du boulet et il a débloqué 3 000 postes pour le seul département de la Seine-Saint-Denis. Il s’est même excusé du retard en larmoyant qu’il avait conscience du problème aigu de ce département depuis le début (ben tiens !) mais que son administration avait traîné les pieds (ah les méchants).

Quant à la Guadeloupe, elle a obtenu l’attribution minimale de 169 postes (85 d’enseignants et 84 de personnels) et, c’est moins bien, de 700 emplois-jeunes venus compléter les 497 existants.

Effectivement, seule la lutte paye, mais ça n’est pas une nouveauté.

Franck Gombaud
groupe Sabaté (Rennes)