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Des dockers de Liverpool à Nantes

Organisons la résistance !

Le jeudi 21 mai 1998.

Mener une grève exige un réel engagement de sa propre personne. Je ne parle pas ici de la grève de 24 heures dans la fonction publique, dont on pourrait discuter de l’intérêt mais qui de toute façon ne relève pas de la même intensité. Car la grève, dans cet engagement de sa propre personne provoque des tensions parfois extrêmes et jamais faciles à vivre. La grève peut aller jusqu’au licenciement. Et on sait que le patronat détient là une arme efficace. Car même lors d’un licenciement abusif déclaré par les Prud’hommes le patron n’a aucune obligation de réintégration. Et si les tensions qui s’expriment lors d’une grève n’aboutissent pas toujours et heureusement au licenciement, elles sont toujours importantes. Elles sont importantes dans la mesure où la grève et d’une manière plus générale l’organisation des exploité(e)s remet en cause le concept même du capitalisme où les propriétaires des entreprises détiennent tous les pouvoirs. En ce sens inviter des militants qui ont mené une grève de 28 mois à l’occasion du 1er Mai était un symbole. Et sur Nantes ce fut une réussite : une réussite par rapport au nombre de personnes présentes au débat, une réussite par le visage montré par notre mouvement qui s’inscrit dans le social et qui refuse l’antisyndicalisme primaire aussi ridicule qu’un ouvriérisme outrancier à la LO, une réussite par l’écho médiatique. Ce fut aussi une réussite de part les rencontres… Voici donc un extrait de conversations avec Jean Luc Chagnolleau secrétaire général CGT Dockers Port de Nantes ainsi que Daniel Lefevre secrétaire de la fédération nationale CGT Docker qui apportent à leur tour un éclaircissement (voir ML1120, 1123).

Régis B.
groupe de Nantes



ML : Qu’a représenté pour vous la lutte de Liverpool ?

R : La solidarité a été systématique car leur combat est le nôtre une lutte contre la déréglementation que veut imposer le patronat mondial. Les problèmes anglais, on les a connu en 1992 et les australiens les rencontrent aujourd’hui. En Australie les lobbies du transport et les grands propriétaires terriens veulent le nivellement vers le bas des conditions de travail afin d’augmenter leurs marges de profits. Au départ on a parlé de 1 400 licenciements puis de 3 000… Les syndicats australiens ont gagné un recours devant les tribunaux entraînant la nullité des licenciements mais la situation reste très tendue. Les ports sont quadrillés par des vigiles afin très certainement de provoquer des incidents…

ML : La rencontre sur le port de Nantes avec les dockers de Liverpool a été l’occasion de discuter et de mettre des choses à plat.

R : La solidarité avec Liverpool a été importante. Des rencontres mondiales ont eu lieu et une action fin janvier 98 était prévue : au minimum une heure de grève dans tous les pays, sur les cinq continents. Nous n’en voulons pas aux dockers de Liverpool car ils vivaient des conditions difficiles avec la mort de camarades. Ce mouvement international, par son ampleur et son unanimité gênait. De même se profilait la création d’une coordination internationales des dockers. Il gênait logiquement le patronat mais certainement aussi certains dirigeants de syndicats réformistes de l’ITF (International Transport Federation). Ce syndicat a depuis le début trahi la cause de Liverpool. Mais là, il a utilisé la situation désespérée et utilise des relais politiques et patronaux pour trouver un accord 48 heures avant un mouvement international de grande ampleur.

ML : Rapidement, quelle est la situation sur Nantes ?

R : Fin juillet 92 nous étions 196. Aujourd’hui nous sommes 50 : un drame humain terrible pour tout le monde. Ça a modifié la donne pour nous. Notre culture en a pris un coup. D’une part la population a manqué de solidarité vis-à-vis de nous, mais nous avons été aussi trop corporatif. Néanmoins dans notre culture tout n’est pas à rejeter : un souci du savoir-faire, une solidarité ouvrière forte (un docker ne franchit jamais un piquet de grève quelle que soient les raisons)… Mais en 1992 on s’est fait avoir par des gens pour qui on a voté. Sur Nantes après la claque de 1992, le patronat a voulu être trop revanchard en nous supprimant tous nos droits, nos fonctionnements d’équipe… il se croyait tout permis et a provoqué un sursaut de notre part. Aujourd’hui, on relève la tète avec entre autre 10 nouvelles embauches. Nos relations sont importantes par le biais de la fédération avec les autres ports sauf Saint-Nazaire. Et nous avons voulu lors de ces rencontres de Nantes interpeller les dockers de Liverpool sur le sujet. À Saint-Nazaire, comme il l’envisage à Liverpool, ils ont crée leur propre boite d’intérim. Mais l’autogestion dans le cadre d’un système capitaliste n’est pas viable. Car pour être compétitif on reproduit les mêmes comportements. Par exemple dans le cadre de la solidarité internationale on ne suit pas parce que la boîte a des commandes. L’argent ne doit pas être le seul fil conducteur de notre vie…