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éditorial du nº 1126

Le jeudi 4 juin 1998.

Le mois de mai est traditionnellement celui des récompenses pour le 7e art. Au nom du slogan « le cinéma, c’est la vie », nous nous permettrons cette semaine de décerner des prix à ceux qui s’octroient le rôle d’acteur pour animer le triste écran de notre quotidien. Concernant le prix d’interprétation masculine, c’est à l’évidence J.-C. Gayssot, ministre des transports, qui le mérite. On savait déjà qu’il était le meilleur pompier de gauche pour éteindre toutes les grèves dans son secteur et qu’il n’hésitait pas à faire rouler ses trains pour expulser les sans-papiers. Ces jours derniers, il a fait encore plus fort déclarant « la loi du marché est un bon système de stimulation et elle fournit de bons indicateurs de performance. Cela fonctionne mieux que les prétendus systèmes socialistes… Je suis toujours pour le dépassement du système capitaliste. On peut l’utiliser en lui donnant une autre finalité ». Que les camarades le sachent, le communisme arrivera bientôt en gare du capitalisme. Pour le prix du meilleur rôle féminin, c’est la police française qui l’emporte haut les mains. Le comité européen pour la prévention de la torture vient de publier son rapport. Nous apprenons que nos policiers prennent surtout pour cible « les personnes d’origine maghrébine ou africaine… que gifles, coups de poings ou de pieds, matraquages sont fréquents dans nos commissariats. Ces accusations sont fondées non seulement sur des témoignages de détenus, mais aussi sur des données à caractère médical ». Soyons sans craintes, de droite ou de gauche, les tabassages en règle restent républicains.

Vient ensuite le prix de la mise en scène. Dans la pure tradition pagnolesque, grosse colère rouge et coups de poing sur la table, vocabulaire populaire et imagé, qui d’autre que l’inégalable Robert Hue pouvait mériter cette récompense ? Déjà avant l’élection de Jospin, il fustigeait « une gauche craintive et fadasse ». Après un an de joyeuse collaboration avec celle-ci, rien de tel qu’un faux coup de gueule pour montrer que la gauche de la gauche ça existe encore paraît-il. Sacré Robert, arriver à hisser le « communisme » à un tel niveau de clownerie nécessite, c’est sûr, un réel talent et des années d’école du parti. Reste bien sûr la palme d’or de l’ignominie. Le citoyen nationalo-sécuritaire alias J.-P. Chevènement a fait l’unanimité sur son nom. Non content de matraquer des chômeurs en lutte, d’expulser manu militari des sans-papiers, après les avoir fichés, de laisser crever à petit feu les grévistes contre la double peine, il s’en prend désormais aux juges pour enfants qui seraient inutiles à ses yeux puisqu’il suffirait à la police d’éloigner les jeunes délinquants de leurs quartiers pour les placer dans des internats, de leur infliger des peines plus lourdes et de supprimer les allocations familiales à leurs parents.

Au vu de toutes ces récompenses, il serait temps que nous soyons les propres acteurs de nos vies.