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Marseille

Histoire d’un meurtre

Le jeudi 25 juin 1998.

Marseille le 21 février 1995 en pleine campagne électorale, présidentielles et municipales, une équipe de militants FN, Lagier, Mario d’Ambrosio et Pierre Giglio, militants respectivement depuis dix, un et cinq ans, s’apprêtent à coller des affiches. Ils ont pris avec eux des pistolets de gros calibre. Lagier est même tireur d’élite et s’entraîne plusieurs fois par semaine dans un club de tir de la police nationale. Club de tir où il avait amené sa petite fille de neuf ans pour qu’elle apprenne à tirer sur les « melons ». Il emporte aussi une paire de lunettes contrastantes lui permettant de mieux distinguer les formes dans la nuit. Il s’est même fabriqué un étui spécial pour porter son arme au mollet, comme dans les films.

Un mois auparavant, ces quatre militants avaient menacé de leurs armes quatre clients se rendant dans un bar, tout près du lieu où Ibrahim sera tué. Le numéro d’immatriculation de leur véhicule avait été signalé à la police.

Après un premier collage au carrefour des Aygalades, d’Ambrosio reste faire le guet alors que Lagier et Giglio vont coller plus loin. Il est 22 h 30. Des jeunes, le groupe B-Vice et leur possee, revenant d’une répétition et courant pour rattraper le bus les ramenant à leur cité, la Savine, arrivent au niveau de la voiture.

Lagier sort du véhicule et fait feu une première fois. Les gamins s’enfuient en faisant demi-tour. Lagier tire à deux autres reprises, l’une des balles atteint Ibrahim Ali dans le dos. Malgré l’aide d’un ami, il s’écroule une dizaine de mètres plus loin. D’Ambrosio rejoint Lagier et, complètement affolé, fait feu à son tour. Se réfugiant dans un bar, les B-Vice préviennent les secours. Pendant ce temps, Lagier, d’Ambrosio et Giglio se séparent après une brève discussion et rentrent chez eux.

Ibrahim Ali décédera une demi-heure après sa prise en charge par les marins-pompiers. Il avait 17 ans.

Des assassins couvert par le FN

Le lendemain, Lagier et d’Ambrosio se présentent à la police, Giglio est interpellé à son domicile. Le FN, par l’intermédiaire de Bruno Mégret, prône la légitime défense vu qu’un des colleurs d’affiches « avait été violemment agressé… si nos colleurs n’avaient pas été armés, ils seraient probablement morts ». Les premiers éléments de l’enquête réfutent rapidement cette thèse. Les trois hommes sont mis en examen respectivement pour « homicide volontaire, tentative d’homicide, port d’armes et munitions de quatrième catégorie », « tentative d’homicide volontaire, détention et port d’arme » et « complicité et transport d’armes ». Les parents se portent rapidement partie civile bientôt suivis par la Fédération des Comoriens, les B-Vice, le maire de Marseille et les habituelles organisations professionnelles de l’antiracisme (MRAP, LDH, LICRA).

Le 25 février, vingt mille personnes défilent dans les rues de Marseille. La famille a appelé au calme. Il n’y aura pas d’incident, seulement une forte tension au niveau du local FN. Les charognards, politiques et journalistes se succèdent sans cesse à la Savine pour dénoncer le crime.

Pendant ce temps, le FN s’organise. Il organise des collectes et autres lotos « au profit de nos prisonniers ». Une association est créée avec un bulletin de liaison. J.-P. Bauman, avocat, candidat dans le secteur du meurtre en 1995, candidat de nouveau en 1998 pour les cantonales se fend même d’un poème.

Parallèlement, depuis trois ans, des permanences du FN sautent à Marseille. Ces attentats sont revendiqués par des « Francs-tireurs partisans », en mémoire d’Ibrahim Ali.

Le procès s’achève lundi 22. Diverses manifestions ont lieu pour réclamer « Justice pour Ibrahim », justice républicaine évidemment. Sortant du lot, une rencontre libertaires et jeunes de la Savine a été organisée par la CNT-Vignoles à la fac d’Aix à l’occasion de la projection du film Ibrahim Ali, mort pour une certaine idée de la France d’Isabelle Sens.

Lors du débat qui suivit, deux mondes qui n’ont pas tellement l’habitude de se côtoyer se sont rencontrés. Très enrichissant même si pour certains, le combat contre le FN, c’est le vote. Enfin des ponts se sont établis, ce qui nous a permis de voir que chez ces jeunes rappeurs la révolte n’est pas seulement musicale mais s’accompagne d’une conscience politique développée ainsi qu’un fort lien identitaire lié au quartier, à la cité. Quoiqu’il en soit, ces manifestations attirent peu de monde, contrairement à il y a trois ans.

Stéphan
groupe de Marseille