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Sans-papiers

La Mobilisation continue

Le jeudi 3 septembre 1998.

Comme cela semble être le cas depuis deux ans, l’actualité des sans-papiers n’a pas été en reste cet été. Entre les actions de parrainage, les diverses occupations (Temple des Batignolles, nonciature du pape, siège du Parti socialiste) et les nombreuses manifestations de soutien, les immigrés en lutte n’ont pas respecté le couvre-feu social décrété après la coupe du monde.

Occupation de lieux religieux : isoler le gouvernement

Dans la lignée des actions initiées par l’occupation de Saint Bernard, les sans-papiers ont occupé cet été un certain nombre de lieux religieux. Le redémarrage a eu lieu avec la remédiatisation de l’occupation de la cathédrale d’Évry et l’occupation du temple protestant des Batignolles par le 3e collectif. Cette dernière a donné lieu à la création par le gouvernement d’une commission d’appel : la commission Galabert (du nom de son président), chargée de réexaminer les dossiers déboutés de la circulaire Chevènement. Mais le « gros coup » a surtout été l’occupation de la nonciature du Vatican durant la première semaine d’août. Si l’on peut douter du contenu des appuis religieux, ceux-ci ayant pour la plupart une vision strictement humanitaire du soutien aux sans-papiers, la tactique de mettre sur le dos du gouvernement Jospin les protestants et surtout l’un des papes les plus réactionnaires est tactiquement assez finement jouée.

Parrainage : une solidarité concrète

Une autre forme de lutte prisée dans de nombreuses villes est le parrainage. Cependant, celui-ci prend différents aspects pouvant être contradictoires. Il peut revêtir une forme de paternalisme et de charité, plaçant le sans-papiers dans une position d’assisté. Les plus hypocrites en la matière sont le PC et surtout les Verts, qui sous couvert d’un « parrainage républicain » et de déclarations par la voix de leur secrétaire national, ménagent leur place dans un gouvernement qui continue la politique xénophobe à coup d’expulsions et de brimades dans ses préfectures. On peut aussi considérer ces parrainages comme un pas en avant dans la lutte, puisqu’ils créent des ponts de solidarité concrète entre les sans-papiers et les « nationaux », partageant le temps d’un parcours du combattant administratif, d’un avis d’expulsion ou d’un délit d’aide à séjour irrégulier la même galère. De plus, elle permet d’éviter le plus souvent les brimades racistes dans les préfectures. Les autorités ont commencé dans certaines d’entre elles à dissuader de façon plus ou moins légale les sans-papiers de retirer des dossiers et leurs soutiens de les accompagner.

Les pratiques « musclées » du gouvernement

Enfin, pour ne pas oublier que nous devons l’entretien de la xénophobie d’État à un parti dit socialiste, nous avons vu le siège de sa fédération occupée. Les manifestant furent expulsés avec humanité et cœur le 18 août, envoyant trois d’entre eux à l’hôpital. Notons aussi qu’un avocat de sans-papiers à Tours a été placé sur écoute de façon illégale, ce qui n’avait pas été vu depuis la seconde Guerre mondiale (au moins, ça ne s’était pas vu…). Les écoutes d’avocats étant réservées pour des affaires de drogue et de terrorisme, on comprend mieux quel est l’esprit du gouvernement quand il traite de la question de l’immigration.

Le Parti socialiste et ses alliés, par la voix de Chevènement ne savent plus quelle insulte trouver à l’encontre des personnes soutenant les sans-papiers. Après être des « trotskistes anglais », des « irresponsables », nous faisons le jeu de l’extrême droite. Voilà une bien belle théorie qui voudrait que ceux qui luttent contre les pratiques et les thèses d’extrême droite la favorise, alors que ceux qui font tirer avec des balles en caoutchouc sur les immigrés, ceux qui expulsent et pondent des lois racistes seraient des remparts contre le FN. Mais on comprend leur inquiétude tant la mascarade de leur démocratie est flagrante. À l’image du député d’Indre-et-Loire qui pendant la campagne électorale avait préciser qu’il fallait respecter les lois françaises, notamment celles consistant à expulser des immigrés et qui se retrouve aujourd’hui en examen pour le blanchiment de 5 millions.

Pasqua : la République avant tout

Mais Chevènement, qui poursuivait la politique xénophobe entamée depuis une vingtaine d’années s’est fait « débordé sur sa gauche » par son ami Pasqua qui déclare qu’il faut régulariser les sans-papiers qui en ont fait la demande (et renforcer la législation dans un second temps). Si la position de celui-ci a pu surprendre au début, elle a cependant des explications tout à fait rationnelles. Il faut d’abord tenir compte du méli-mélo des organisations à droite dans lequel Pasqua veut délimiter son territoire. Pour creuser son trou, Pasqua critique le gouvernement sur sa politique d’une façon dont on ne s’attendait pas, attirant à lui les feux de la rampe, tout en combinant alliances (de Villiers), tactiques d’appareils et démarcation d’avec Chirac sur la question européenne.

Mais surtout, il défend une « certaine idée de la République ». Il est en effet matériellement impossible d’expulser tous les sans-papiers qui ne seront pas régularisés. Donc si on ne les régularise pas, on se retrouve « officiellement » avec des personnes hors la loi sur le territoire français, ce qui est inadmissible pour un républicain. Il préfère donc lâcher beaucoup sur la question de l’immigration qu’un peu sur l’intégrité de la République. Il faut aussi noter que Pasqua est sur la même position que la Gauche socialiste, sur le thème des quotas, laissant rentrer un certain nombre de migrants sur le territoire français chaque année. Dans la bouche de celui-ci, la dimension colonialiste est clairement affichée, puisqu’il propose que les pays « favorisés », seraient ceux avec lesquels la France a eu une histoire commune.

Quand le FN se dévoile

Quand au Front national, il n’est pas en reste devant le boulevard idéologique que lui a tracé la gauche, parce qu’au jeu du plus raciste, c’est toujours celui qui mise le plus qui gagne. On a donc eu droit aux déjections de l’hebdomadaire du Front national — National Hebdo — sifflant que « des transports, ça se trouve », que « s’il faut des camps de concentrations pour le transit, ce n’est pas un problème » et « qu’[ils doivent] faire admettre aux Français qu’il y a de bonnes rafles ».

Alors il ne reste pas beaucoup de solutions au gouvernement pour régler le problème, si le soutien reste sans faille : soit il continue à régulariser au compte-gouttes, chaque fois que les sans-papiers mèneront une action médiatique, perdant ainsi à chaque fois un peu de crédibilité, soit il utilise les méthodes que lui propose le Front national pour expulser tous ceux qui ne sont pas régularisés, ou bien il régularise globalement des gens qui se battent au quotidien pour que leur vie ne soit plus rythmée par la crainte des contrôles policiers et l’exploitation immonde du travail clandestin. À chaque « ultime précision » par voie de circulaire, un nouveau contingent de sans-papiers est régularisé. Cependant, et contrairement à ce que pensait le gouvernement, malgré quelques conflits internes au mouvement, le soutien ne faiblit pas à chaque vague de régularisation. Sachons faire en sorte que la stratégie de pourrissement entamée par le gouvernement soit une impasse, et que tous les sans-papiers soient régularisés. Rendons inapplicables les lois racistes !

Marc
groupe Un Autre Futur (Montpellier)