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Faits d’hiver

Champions !

Le jeudi 3 septembre 1998.

Parce que les faits divers sont le reflet d’une société qui ne tourne pas rond et que derrière chacun d’entre eux on peut expliquer les contradictions de cette société. Parce que les faits divers sont généralement sordides, froids et tristes comme l’hiver… Voici « Faits d’hiver », une nouvelle rubrique que vous retrouverez chaque semaine en page société de notre hebdomadaire.



Et un Zizou, et deux Zizou, et trois Petit… ! Mais où y sont, mais où y sont… les Brésiliens ? C’était en juillet dernier. Nous étions champions. Le petit peuple, celui qui tire la langue chaque jour que le capitalisme veut, lapait bruyamment dans la gamelle du cirque, et la valetaille médiatic-toc, servilement installée aux fourneaux du passage à la trappe des salaires pharaoniques des « héros » et des montagnes de thunes générées par le mondial, tentaient de nous expliquer que la victoire de l’équipe de France de football était celle d’une France multiraciale, multi-culturelle… sur celle de la peur, de la pureté ethnique… du grand méchant loup Front national !

Zizou le Berbère, Djorkaeff l’Arménien, Lizarazu le Basque, Karembeu le Kanak, Thuram, Desailly, Vieri, Henry… les blacks de chez nous et d’ailleurs, Guivarch le Breton, Barthès l’Ariégeois, Trézéguet le Réunionnais… et Mémé le franchouillard…, c’était quasiment du pain béni pour faire rêver dans les chaumières Rebeu, les tanières Blackos, les châteaux de Neuilly, les cuisines CAMIF et les bicoques de la plupart des braves gens de ce pays. NOUS étions champions !

Une petite bande de huit gamines toulonnaises âgées de 10 à 16 ans, originaires de quartiers difficiles, pas franchement typées Suédoises, pas vraiment en réussite scolaire et familiale, carrément dans la galère de la misère sociale… est venue, comme ca, en quelques lignes de faits d’hiver, nous rappeler que l’ESSENTIEL d’une citoyenneté nationale a au moins autant besoin de pain que de cirque ; depuis plusieurs mois, en effet, ces petites beurettes attaquaient « sauvagement » dans la rue d’autres gamines sapées « rupin » et de pauvres vieilles sans défense pour les délester de leurs trois sous, se venger d’un système social qui les nie et s’offrir les lumières de la ville… d’une entrée en discothèque. C’est minable, lamentable, sordide… mais ça veut dire ce que ça veut dire !

À moins de se faire un plan coupe du monde tous les quinze jours, si nous voulons vraiment être les champions d’une véritable citoyenneté nationale et, mieux encore, du monde, c’est peu dire que l’évidence d’une non moins véritable révolution sociale, toute de mise en œuvre des CONDITIONS économiques, sociales et politiques de l’égalité des chances, s’impose. Ah, bordel de nom de dieu, comme il serait bon d’être champions de cela !

Jean-Marc Raynaud