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La FSU ou la dialectique maîtrisée

Un Discours de lutte pour un syndicalisme en retrait

Le jeudi 10 septembre 1998.

La FSU, qui regroupe les plus puissants syndicats enseignants, notamment le SNES pour le secondaire et le SNUIPP pour l’école, entame une rentrée que la Fédération place sous le signe de la lutte. Depuis la scission de la puissante centrale syndicale enseignante qu’était la FEN en 1992, cette fédération syndicale dit se placer dans un syndicalisme de lutte, revendicatif et rénové.

Héritière du courant Unité et action de la FEN, animé par des proches du Parti communiste, la FSU a très vite produit un discours de justification de sa propre option « de lutte » sans que les pratiques ne soient grandement transformées.

Une FEN bis

À l’intérieur, l’exemple même de la bureaucratie syndicale corrompue qu’était la FEN — pratique du vote bloqué, contrôle procédurier pour évincer l’opposition, électoralisme, gestion patrimoniale, permanent à vie… — n’a pas été complètement niée. Même si les pratiques ont changé en s’assouplissant, elles n’ont pas changé dans leur nature. On peut même dire que plus la reconnaissance électorale et médiatique de la FSU s’est développée et plus elle est apparue comme une étrange FEN bis, dont le discours de justification se résume à se définir contre le modèle de la FEN. C’est ainsi que la pratique du vote bloqué, les représentants d’une section départementale votent soit pour ou contre une mesure en faisant fi des proportions. En clair ce que n’importe lequel de ces démocrates fustige dans la vie politique se déroule au syndicat, a été reprise par le SNES lors du vote sur le protocole de résorption de la précarité proposé par le gouvernement en 1994 ! C’est ainsi que les relations se sont tendues avec l’autre courant constitutif de la FSU, l’École Émancipée, tendance syndicaliste révolutionnaire datant du début du siècle, animée aujourd’hui essentiellement par des militants ou ex-militants de la LCR et quelques anarchistes (souvent non déclarés) dont la FSU avait besoin en 1993 au moment de sa constitution pour légitimer les nouvelles pratiques syndicales démocratiques mais qui peut s’en passer allégrement aujourd’hui. Il faut dire que la croissance continuelle du nombre d’adhérents tend à clore les débats en attestant de la pertinence de la voie choisie par la FSU. Là encore, nous ne sommes pas loin de la FEN… sans compter les permanents à vie. Il faut dire que nombre des militants syndicalistes révolutionnaires de l’École Émancipée ont trouvé justification à ce discours de changement pour s’engouffrer dans un syndicalisme visant à la reconstruction syndicale sans en contester les tares de nature. À l’image du PCF dans le gouvernement, il est difficile de participer tout en restant clair et les camarades trotskistes le vérifient encore… à moins que ce genre d’expériences ne dévoilent la vraie nature de ces militants ? La real politik s’impose donc comme pensée unique de ce syndicalisme de gestion où le nombre d’adhérents et les services proposés remplacent les engagement militants et la décision collective nécessaires à une dynamique de lutte authentique.

SNES : le syndicat des agrégés

Car le problème central se situe bien à l’extérieur, c’est-à-dire dans les actions et la stratégie de la FSU où les différences avec la FEN paraissent souvent plus dans le discours que dans les pratiques. C’est surtout le cas du SNES. À côté d’un syndicalisme qui s’enferme dans une stratégie corporatiste et un syndicalisme de cadre supérieur, s’affirme un discours sur le renouveau syndical fait de démocratie à l’intérieur et d’ouverture sur les luttes sociales à l’extérieur. C’est ainsi que la FSU s’affirme comme un syndicat de lutte au côté de la CGT et de SUD pendant le mouvement de 1995 comme dans les différents mouvements sociaux (immigrés, chômeurs…). On ne compte plus les tracts appelant « à une société solidaire et à des transformations sociales » signés par la FSU. Mais cela n’apparaît-il pas comme un positionnement sur le marché du syndicalisme enseignant où la place de syndicat gouvernemental est déjà largement prise par la FEN et le SGEN-CFDT quand on regarde les revendications et les stratégies mises en œuvre par la FSU ?

Acceptant le protocole sur la précarité de Perben en 1994, qui a mis au chômage des milliers de maîtres-auxilliaires, pour pouvoir être représentée auprès du gouvernement dans les discussions ouvertes après la signature du protocole, la FSU et le SNES, en particulier, a montré son traditionnel mépris pour ceux qui n’ont pas réussi au concours, accusés de dévaloriser la profession. Défendant avec hargne les statuts les plus enviables comme les agrégés en prétextant que ceux-ci tirent l’ensemble de la profession, ils oublient la lutte des précaires. Le SNES n’a-t-il pas refusé de syndiquer les milliers de contrats CES sous le prétexte que les syndiquer reviendrait à une acceptation de leur statut ? Doit-on entendre par là que le SNES accepte le statut du salariat en syndiquant des enseignants alors que ses statuts font vaguement référence à la nécessaire abolition du salariat (art. 2) ? C’est ce genre de raisonnement qui tue le syndicalisme et la volonté de transformation et incite les salariés à être réticents à celui-ci. La solution existe : il suffit de développer des services de plus en plus perfectionnés aux adhérents pour attirer les enseignants. C’est donc ce que fait le SNES dans sa volonté d’être un syndicat de masse sans se soucier de la dynamique et de la volonté de transformation sociale de la masse en question. Il suffit de développer les consultations tout azimuts à la façon dont les dirigeants s’occupent de nos problèmes qui remplacent avantageusement la discussion entre militants actifs et décidant en dernier ressorts. C’est ainsi qu’il est difficile parfois, dans des départements où sont adhérents plus de 1 000 enseignants, de faire des réunions de plus de 7 ou 8 personnes ! À bien des égards, les dirigeants actuels sont issus d’une mouvance assez stalinienne qui a perdu ses repères et rompue avec le PC dans les années 80. Ils sont alors devenus les zélés techno-gestionnaires des structures syndicales qu’il s’agit de perpétuer, quitte à faire fi de tout horizon politique.

Ce type de syndicalisme ne bouge que pendant les mouvements sociaux où le discours de lutte doit nécessairement s’accompagner des actions correspondantes. Alors, il faut lui souhaiter beaucoup de luttes comme celles de la Seine-Saint-Denis en mars qui a montré qu’un collectif départemental composé de délégués d’assemblées générales est toujours plus porteur de la lutte que la structure syndicale de la FSU.

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