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Lecture

« Ni l’un ni l’autre »

littérature prolétarienne
Le jeudi 10 septembre 1998.

Berggren est un ouvrier de l’automobile devenu écrivain professionnel. Ce roman est une somme des questionnements qui traversent les militants du mouvement ouvrier. Le héros cariste est délégué syndical dans sa boîte où se fabriquent des automobiles. Ancien communiste, il se bat pour les acquis sociaux, dépeint avec sérieux les assemblées générales du personnel et les manœuvres des orateurs en particulier celles de l’appareil syndical. Ouvert aux problèmes écologistes il va être confronté à un problème de conscience lorsque des écologistes ouvriers vont porter un conflit contre la production d’autos au cœur d’un des temples de la société de consommation. Même si le choix du narrateur de faire des écologistes un groupuscule terroriste peut irriter il n’empêche que le livre soulève, du cœur même de la classe ouvrière, un problème de civilisation auquel est confronté en ses revendications le mouvement ouvrier. Le fait que le livre soit écrit à la première personne donne une actualité subjective à ces débats évitant le pensum du roman à thèse.

De même la vie quotidienne de l’ouvrier de nos temps, sa vie affective, sexuelle, sociale, est décrite à travers ce journal qui ne dit pas son nom y préférant la fragmentation des mots dits, des séquences de vie. Le héros souffre des séparations qui cloisonnent sa vie et son moi, courant contre le temps, l’attrapant trop vite au vol pour le perdre à la tâche ou en réunions. Sa vie de couple perturbée puis anéantie par l’usage de la monotonie des actes devenus trop quotidiens, il se livre dans l’opacité de relations mal maîtrisées. Les interrogations de la classe ouvrière sont magistralement traduites par le choix d’écriture qui clôt le récit. La littérature nous offre ce luxe de pouvoir vivre les deux alternatives d’un même choix. C’est ainsi que se termine l’ouvrage, sans leçon à tirer sinon celle que le lecteur se construit en privilégiant tel choix plutôt que tel autre. Renforçant ce procédé et l’anticipant le narrateur laisse sa place à plusieurs reprises à d’autres subjectivités ouvrières qui se disent à travers des formes modernes de poésie presque rap ou de théâtre de paroles. Ce roman étrange de Mats Berggren publié par le courageux éditeur de l’Élan est sans conteste un livre intéressant à lire pour tous et en particulier pour les militants qui retrouverons dans un univers dialectique et réaliste la vie de leurs questionnements quotidiens.

Philippe Geneste


Berggren Mats, Ni l’un ni l’autre, trad. du suédois par Philippe Bouquet, Nantes, L’Élan, 1996, 200 p, 99 FF. En vente à la librairie du Monde libertaire.