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Cinéma

L’Homme, le cochon (l’homme, un porc ?)

Venise (2)
Le jeudi 24 septembre 1998.

Une parenté homme-cochon se faufile en filigrane dans beaucoup de films de la 55e Mostra de Venise. Dans Traps de Véra Chytilova, un rasoir bistouri coupe les couilles aux petits porcs mâles. Une belle vétérinaire effectue le geste avec habileté. Cela nous est montré pour éviter de nous faire voir le même geste répété sur la personne de ses violeurs. Chytilova veut « couper » la bêtise et la connerie, elle réalise un film coup de poing qui épingle gentiment corruption, fonctionnaires et publicitaires. Lucian Pintilie fait évoluer son jeune héros dans une porcherie. Où il semble plus libre que dans les autres moments de sa vie. Il est affectueux avec ces bêtes et elles le lui rendent bien.

Le film Terminus Paradis renoue avec la veine de son meilleur film Le Chêne et montre la violence de l’État et de la Famille (les deux institutions sont montrées comme une continuation du règne Ceaucescu). La dictature est perpétuée, même par des gens inoffensifs. Ainsi est anéanti le bonheur de très jeunes gens, écrasé l’initiative et l’esprit d’invention. Lucian Pintilie insiste sur le double endoctrinement, religieux et marxiste, qui pèse sur ses compatriotes roumains « qu’il regarde avec un dégoût froid, avec horreur. »

D’autres porcs gros et gras se promènent dans d’autres films, mais la palme du porc le plus surprenant revient à Chat noir, chat blanc de Kusturica. Dans ce film truculent, une carcasse de voiture est littéralement mangée par un porc ! Il semble aimer !

Kusturica rafle avec son épopée gitane un lion d’argent, Pintilie obtient le Grand Prix du Jury. Le Lion d’or va à un film italien : Cosi ridevano de Gianni Amelio. Il y a quelques années, Gianni Amelio avait réalisé un film sur la question albanaise en ne ménageant personne et surtout pas les Italiens, Lamerica. Dans Cosi ridevano le mythe d’une meilleure vie grâce à l’instruction vole en éclats. C’est un film terrifiant sur la trahison par amour, l’oppression exercée par le grand frère qui sacrifie la vie du frère cadet. Rarement on aura vu la correspondance entre ces Italiens du sud arrivant a Turin et les immigrés d’aujourd’hui. L’amour est l’enfer où l’oppresseur et l’opprimé n’arrivent plus à se regarder en face.

Du faux-vrai noir et du vrai-faux rouge

De l’ex-Yougoslavie ne venait pas seulement le Kusturica, mais aussi un film de Goran Paskeljevic, Baril de poudre. Thèse : un homme n’existe que s’il s’impose par sa virilité machiste. Le faible est humilié, on assassine son meilleur ami parce qu’il a couché avec la femme vingt ans auparavant etc. Scénario vraisemblable, violence insoutenable, ce fut le sujet d’innombrables engueulades entre critiques et festivaliers. À côté de ces machines à vous tordre les boyaux tellement c’est noir et dégueu, un film jeune pleine de couleurs et de vitesse est passé à la trappe. Lola court (Lola rennt) était trop simple, ses ruses virtuelles (quand elle se met a courir, un personnage de BD typé comme Lola — cheveux rouges, jupe courte et tenue estivale — se met à courir avec elle sur l’écran d’un téléviseur) étaient pourtant fort sympathiques. Mais c’est vrai, tout cela est sans intrigue notable, il s’agit juste de trouver 100 000 DM. C’est une somme ridicule, puisqu’on peut la gagner au casino ! et elle ne tuera personne. Quel ennui !

Rabattons-nous sur Abel Ferrara. Son New Rose Hotel est une pure merveille cinématographique, mais il ne s’y passe rien. Tout est dans la tête du personnage. Et si tout ça n’était pas assez cochon ?

Heike Hurst
émission Fondu au Noir (Radio libertaire)