Accueil > Archives > 1998 (nº 1105 à 1145) > 1135 (8-14 oct. 1998), marqué 7-13 oct. > [Le Chantage à l’emploi]

Loi Aubry et 35 heures

Le Chantage à l’emploi

Le jeudi 8 octobre 1998.

Grâce au temps libre on pourra pratiquer un sport

Après l’adoption au parlement de la loi Aubry et ses premières applications, les illusions tombent les unes après les autres et d’ici peu, tel que nous l’envisagions, les salariés pourront mesurer les véritables préoccupations de ce gouvernement s’ils ne les ont déjà perçues.

Tout d’abord pour saisir la finalité économique et idéologique de cette loi, il est utile de se remémorer qu’elle porte pour l’essentiel sur une incitation à l’emploi et à l’aménagement du temps de travail. Il est simple, uniquement à partir de ces principes et en considérant que la société est fondée notamment sur le concept de l’exploitation avec l’État pour gendarme, de saisir qui de l’exploiteur ou de l’exploité peut en tirer un bénéfice. Certes à l’origine, le patronat a renâclé, jouant à cette occasion la partition des politiciens libéraux mais il a su depuis retrouver ses valeurs et on le voit maintenant faire preuve de « réalisme » et user de la loi voire s’en faire son thuriféraire à l’image de son organisation de « jeunes », le CNJD. Il vient en effet de contracter avec la ministre socialiste de l’emploi pour en faire une « bonne » application. C’est dire ce que l’on peut en attendre. Les apôtres de l’entreprise « citoyenne » ont pu retrouver en la fille de Delors une Fatima des temps modernes.

Emploi ou travail

La loi a donc pour objectif l’emploi et non le travail. Cela peut sembler être une nuance mais il s’agit au fond de deux orientations distinctes. Dans la première, on occupe les individus par le salariat sans modification économique, c’est-à-dire sans toucher à la redistribution de la plus-value encaissée par le patronat ou sans modifier l’usage de l’impôt pour répondre aux besoins sociaux et créer des emplois publics. Pour la deuxième, il est clair qu’il faut satisfaire la demande de biens de consommation et sociaux, il est alors nécessaire de modifier le nombre d’heures travaillées, et imposer une répartition du travail par sa réglementation et son coût. Ni l’une, ni l’autre ne peut être considérée comme une orientation anarchiste mais la première est d’inspiration réactionnaire et se limite à gérer la misère pour le plus grand profit des possédants en confinant une part importante de la société à vivre du bon vouloir des gouvernants et de la charité. C’est ce que nous subissons depuis plus de 20 ans avec l’accroissement du profit, l’augmentation du nombre de chômeurs et en parallèle les Resto du Cœur.

Si la deuxième se confine dans une simple gestion du capital et n’a pas a priori plus notre gré, elle redonnerait tout au moins une capacité à tout individu de peser sur les fondements sociaux.

Ceci permettrait de sortir de ce faux débat qui laisse supposer que le capital a une morale et croire que la misère qu’il génère puisse modifier ses orientations. Cela relève d’une naïveté dangereuse, car il a toujours su manier selon ses besoins la carotte et le bâton.

En qualité d’anarchiste, nous ne pouvons nous satisfaire de gérer les marges sociales qu’il génère, y compris si nous pensons que c’est à partir d’elles que des évolutions sont possibles. Dans tous les cas, c’est selon notre capacité d’organisation du plus grand nombre que nous pourrons aboutir à ébranler ce vieux monde, sinon nous serons contraints à nous convertir en secte en attendant le jour du salut éternel…

Création d’emplois ?

Concernant la loi, la ministre fait état d’accords signés dans plus de 700 entreprises pour 1800 emplois créés. Vu qu’elle ne dit pas le nombre de salariés concernés par ces accords et qu’en prenant une hypothèse basse de 50 salariés par accord c’est 35 000 qui le seraient. Appliquer le même ratio de création d’emplois à l’ensemble du secteur défini par la loi et ce serait 600 000 emplois créés selon le meilleur des rêves du gouvernement Jospin. Le prix alors pour les finances publiques serait de plusieurs centaines de milliards de francs d’aide au patronat en application de la loi.

Mais personne du Budget ne s’en émeut car tous savent que la majorité des accords sont et seront signés sur la base défensive, c’est-à-dire sans création d’emploi donc avec un coût réduit. En clair, y compris sur sa propre orientation, la ministre a mis à côté de la plaque. Est-ce le fruit du hasard quand on connaît les besoins de restructuration de nombreux secteurs industriels et la nécessité de réduire les dépenses de l’État pour respecter les critères de l’Euro ?

Bénédiction pour la flexibilité

Par contre, le patronat peut se frotter les mains, il a le moyen d’imposer la flexibilité à travers des accords signés au niveau de chaque entreprise puisque le gouvernement lui offre la possibilité d’« aménager » le temps de travail. La droite lui avait promis, la gauche l’a fait !

En effet, si légalement le patronat avait déjà la possibilité de mettre en place la flexibilité, il n’y était pas parvenu dans tous les secteurs faute d’avoir des contreparties à proposer.

Avec la loi Aubry, il peut pratiquer le chantage du maintien de la rémunération contre l’acceptation de la flexibilité et en guise de réduction du temps de travail, les 35 heures à la sauce de la gauche plurielle est en train de se traduire par un allongement des journées voire des semaines de travail. Il n’est pas rare de voir des accords basés sur des amplitudes journalières de travail de 13 heures sur 6 jours la semaine. Après ça, les patrons pourront remettre un cierge à la gloire de Sainte Martine pour ses bonnes œuvres.

C’est sur cette base avec notamment des salariés désignés par les patrons et docilement mandatés par un syndicat que l’application de la loi se fait. Le deal de la CFDT avec le gouvernement prend alors toute sa place.

35 heures payées 35 heures

Pour le salaire, la loi ne fixe rien hormis qu’il est possible de baisser les salaires à l’occasion de la réduction du temps de travail.

Actuellement, le patronat s’est donné pour objectif de cumuler baisse de salaire et flexibilité, et toujours selon la loi, il ne pouvait en être autrement. En cumulant les deux, il atteindrait son objectif de réduire la part du coût du travail.

Martine Aubry et le gouvernement de la gauche plurielle dans toutes ses composantes ont donc répond à l’attente du capital. Que ceux qui en doutent se procurent les recommandations du FMI sur l’ajustement du coût du travail.

Il n’y a aucune rupture entre la politique du gouvernement Juppé et celle de Jospin et les vociférations des camarades de Hue à la fête de l’Huma tiennent de l’aboiement du roquet de la garde-barrière voyant passe le train de la misère inhérente au capitalisme et renforcée par la mondialisation (AMI, NTM, etc.).

La dynamite sociale nous tend les bras et nous pouvons compter sur ce gouvernement quand il abordera la réforme des retraites pour y ajouter une once d’instabilité. Si nous sommes à même de ne pas confondre les causes et les effets, préparons-nous à allumer la mèche.

Voies libres