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Kanaky

Accords de dupes, l’air de rien

Le jeudi 15 octobre 1998.

Il s’en passe de belles en Nouvelle-Calédonie, terre française du Pacifique Sud située à 21 000 km de la mère patrie. Avant la Coupe du Monde de football et avant Rolland-Garros, il y a eu une mini révolution culturelle dans le Pacifique Sud. La bataille bis de la mer de corail, en plus cool, avec l’invasion par le sud de Guadalcanal de la Nouvelle-Calédonie. La terrible armada composée de deux bateaux pourris et remplis jusqu’à la cale de 100 chinois affamés prirent d’assaut nos doux rivages du Pacifique Sud. Les emmerdeurs.

Après la Coupe du Monde et le tour de France de vélo et de la pharmacie interdite, il y a les accords de Nouméa.

L’affaire des boat people

La France va signer la charte sur les langues régionales

Donc, en novembre 1997, nous avons eu droit à l’affaire des boat people. Là encore la souffrance se mêle à la manipulation de nos stratèges et les pleurs des familles au rire d’un masque en carton d’un théâtre chinois miné aux vers. La scène : la Nouvelle, ancienne terre pénitentiaire qui a vu séjourner les déportés de la commune, avec tous les anonymes et les Louise Michel et les Rochefort. Aujourd’hui en 1998, nous sommes 200 000 habitants, 40 % de Kanaks, 30 % de blancs, les caldoches enfants des colonies de peuplement du siècle dernier, 30 % de Viets et de Wallissiens et Foutouniens qui se côtoient sans vraiment s’apprécier. Un matin de novembre 1997, 100 pékins s’échouent sur nos rivages et réclament l’asile. À partir de ce jour là, tout démarre ; la xénophobie, la haine, la suspicion, les calculs politiques, les magouilles, la surenchère, les coups de goupillons furieux et réprobateurs dans le jardin de monseigneur l’évêque de Nouméa. Tous doivent prendre position, avec les remarques désobligeantes habituelles vis-à-vis des communautés asiatiques vivant à Nouméa. Ils ont osé ! Ils sont venus sans carte de séjour. Quel sans-gène ! S’en est trop ! Il faut réagir ! Toutes les classes politiques confondues prennent partie pour l’expulsion des 100 chinois. Les partis loyalistes et indépendantistes et tous les syndicats de gauche comme de droite manifestent tous les jours dans le centre ville et sur la place du marché. Tout le monde y va de sa pétition, de sa remarque et de sa critique contre ses nouveaux immigrés qui vont bouffer notre pain. Je dis tous, car tous à l’exception de quelques associations caritatives et de quelques individus, ont manifesté quotidiennement pour le renvoi des Chinois en Chine. Des partis de droite comme ceux de gauche, PS, PC — le Front national local paraissait même relativement modéré face à un tel déchaînement — ont uni leurs cris avec ceux des indépendantistes et de l’église catholique : « Ils n’ont rien à faire ici ! Priorité à l’emploi local ! Nos jeunes sont déjà sans travail ! C’est malheureux pour ces pauvres gens, surtout que s’ils retournent là bas, ils vont être attendus mais on y peut rien ». Paul Niaoutyne, le chef du Palika, le parti ultranationaliste kanak, répète dans les colonnes de la presse d’Hersant : « Ils doivent retourner chez eux ! » Rock Wamittan le numéro un des indépendantistes « La Calédonie ne peut pas accueillir toute la misère du monde. La Calédonie n’est pas une poubelle, la France doit les accueillir ! »

Début octobre 1998, ils sont toujours là. Ils vivent les uns chez les autres. Les familles calédoniennes les ont accueillis avec générosité. Suite aux manifs anti-expulsions de Tontouta, (l’aéroport international) le gouvernement Jospin a cédé et a annulé le vol retour Nouméa-Canton prévu.

Depuis, le haut-commissaire, Dominique Bur, le nouveau chevalier de la légion du déshonneur, surnommé le roi de la clôture, ne fait rien pour régler le problème, il laisse pourrir. Mais c’est pas la joie pour tout le monde : pour les Chinois qui n’ont aucun papier ni titre de séjour définitif (la carte provisoire est renouvelée tous les trois mois), ils ne peuvent pas travailler. Ils regardent la télé à longueur de journées et sont désœuvrés. Les familles d’accueil en ont marre ; financièrement elles sont à bout de ressources, moralement elles craquent. C’est pas évident de vivre dans un deux pièces 24 heures sur 24 avec une famille de réfugiés elle-même déboussolée. Les enfants Chinois sont quand même scolarisés mais dans les écoles privées de Nouméa. Les écoles publiques ? Impossible ! C’est pas prévu d’accueillir des gens qui ne sont pas du quartier et en plus des étrangers. Seulement deux ou trois enseignants se sont élevés contre ce sectarisme d’État. La fonction publique a quand même ses zones d’ombre.

Les politiques et les indépendantistes se marrent du pourrissement de la situation. Le comble, c’est la dernière du Secours catholique qui vient de retirer la plainte contre l’envoyé du gouvernement, Dominique Bur, le super préfet pour la Calédonie. Nous n’avions pas vraiment apprécié qu’il ordonne d’ouvrir le feu le 22 mars 98 à 3 h 21 du matin contre les réfugiés qui s’étaient retranchés sur les toits de l’aéroport après la décision de Jospin d’expulser les chinois. Ce fut un geste délibéré, gratuit que rien ne justifiait. Aleth, tu t’en souviens ? aux premiers tirs, tu t’es mise à hurler comme une folle. Comme l’autre copain barbu mon voisin qui s’est mis à reparler après trois ans de complet silence (incroyable, mais c’est vrai). Merci poulets.

Maintenant, nous n’avons plus de monnaie d’échanges. Pas mal de familles ont le sentiment d’avoir été roulées dans la farine. L’État, le haut-commissaire, l’évêque, les curés, les religieuses, le Secours catholique, et en prime des hommes et des femmes omniprésents, bourrés de complexes et avides que l’on parle enfin d’eux, font que l’ambiance est à la désillusion.

Finalement, durant ces événements, nous avons eu en face de nous les mobiles et contre nous dans les manifs, les catho, les soldats du dieu Jospin à la solde du capital chinois et du Vatican impérialiste. On s’est démerdés seuls, sans les partis et on ne le regrette pas.

Les z’Accords, qu’est ce que c’est ?

Après les boat people voici les accords de Nouméa. Au bout du dialogue, vingt ans de paix et de développement entre les ethnies ; c’est ce que disent tous les partis politiques, des loyalistes jusqu’aux indépendantistes, le PS approuve, sauf les petits partis qui n’ont pas été conviés aux négociations et qui rouspètent. Car eux n’auront rien. Seulement pour les gros. Durant une semaine, retranchés dans la résidence du haut-commissariat à Nouméa, les représentants de l’État français, ceux du RPCR (Lafleur) et l’équipe du FLNKS (Wamittan et Niaoutyne), ont pondu plusieurs centaines d’articles de lois. Ils les ont tous signés. Jospin est venu à Nouméa pour parapher les textes et les députés français ont dit oui à la quasi unanimité. Apparemment ça baigne. Mais en y regardant de plus prés, quelle caverne d’Ali Baba !

Une démocratie à plusieurs niveaux, une justice à deux étages selon que vous soyez natif de l’île de beauté (une autre) ou non, avec ceux et celles qui auront le droit au travail et les autres qui passeront après (Priorité à l’embauche locale), sont le résultat de leur cogitation.

Les accords de Nouméa sont une tarenbouille faite de démocratie à l’algérienne, d’un zeste de social-démocratie à la française et une grosse louche de république bananière comme dans le Pacifique ou l’Amérique centrale (Lafleur a un surnom : Marcos), où seuls auront le droit de voter les résidents présents depuis plus de dix ans en Calédonie. Les autres, les moins de dix ans de séjour, auront droit de se taire, de venir investir et de payer des impôts. Pas voter, c’est pas grave, mais le pire c’est le non droit au travail pour tous ou le droit au travail pour les seuls habitants de l’île, les autres, les immigrés, les expatriés, s’ils sont pas content, il y a d’autres îles dans le Pacifique, on les retient pas ; dixit le président de L’Union calédonienne Bernard Lepeu, l’ultra-indépendantiste de service. Et l’immigration ? Domaine réservé ! Elle sera sous le contrôle des seuls représentants du congrès, composés des loyalistes et des indépendantistes, des fils des plus grandes familles du pays. Dans les couloirs sombres du haut-commissariat où tout se fabrique que l’on soit noir, blanc ou métis l’on se salue entre initiés, il n’y a aucune différence entre les copains, ni haine pourvu que l’on appartienne à la bonne loge. En somme, les affreux et les mafieux, se partageront le gâteau. Ils encaisseront l’argent des contribuables français mais ils n’accepteront pas de contrôle du gouvernement français. Ils feront les lois dans ce sens.

Mais mes amis, où c’est à mourir de rire, le comble de la farce, c’est que l’État français, le RPCR et ses alliés du FLNKS demandent maintenant aux Calédoniens et aux Calédoniennes de voter le 8 novembre 1998 pour le oui aux accords de Nouméa. Des accords qui ont été conçus en douce, contre l’intérêt des populations, en catimini entre une dizaine de cerveaux tordus, de mecs assoiffés de pouvoir, de représentants des grandes familles pour le partage des richesses du territoire, et aujourd’hui ils demandent aux gens de dire oui, d’applaudir des deux mains, d’accepter leur magouilles. Les Calédoniens sentent bien que l’on se fout d’eux. On fait des trucs dans leur dos et on leur demande d’approuver. En plus, rien n’est clair dans ces accords. C’est un véritable chèque en blanc que les politiques exigent de la population.

Un véritable chèque en blanc

L’État français est le manipulateur en chef, il dit aux indépendantistes : avec ces accords, on garantie votre souveraineté. Faux ! l’État achète la souveraineté des Kanaks, par la construction du Centre Culturel Jean-Marie Tjibaou (c’est la réplique de l’exposition coloniale de 1931 de Paris où cent onze Kanaks furent amenés de Calédonie et exhibés comme des animaux devant un public friand d’exotisme). Ce sanctuaire dédié à l’identité Kanak et à la gloire du petit timonier indépendantiste a coûté plusieurs milliards de francs et son budget de fonctionnement annuel sera de 650 millions de francs. Certains chefs indigènes trouvent la plaisanterie de mauvais goût. C’est de la caricature. On s’est moqué des indigènes. Aussi personne n’est surpris quand des cases construites par la municipalité de Nouméa pour les touristes japonais et australiens brûlent la nuit les unes après les autres. Les représentants du gouvernement laissent croire qu’au bout de la période de transition, c’est l’indépendance assurée. À l’inverse, l’État dit aux pro-français, les Caldoches : grâce aux accords, nous vous assurons la stabilité politique pendant 20 ans.

Après vous pourrez toujours restez français. Il y a trois référendums prévus pour cela. L’État, c’est le faux cul. Il dit tout et son contraire. Lafleur, le chef des Caldoches a signé ces accords. Au départ, il n’était pas pour que cela se passe aussi rapidement, je vous rappelle que la discussion a duré une semaine seulement. Mais Chirac et Jospin veulent se débarrasser de la Calédonie et l’ont obligé à signer (il a tellement de casseroles fiscales derrière lui). Tous ne sont pas nets. Le gouvernement a fait pression pour qu’il cède. Lafleur maintenant est donc partisan du oui. Plus royaliste que lui tu meurs. Réunions sur réunions, il dit aux Caldoches de voter oui s’ils veulent avoir la paix. Sinon gare aux événements, rappelez-vous 1984 et 88 et 89. Si tu comprends pas, c’est que tu es un demeuré et un con sic, il l’a écrit et le répète à la télé. Ses partisans hésitent, ils voient bien que tout est flou donc suspect mais ils voteront oui, par peur du retour aux affrontements entre les ethnies et la peur des représailles. Ses tontons macoutes sont présents partout : à la SLN Société Le Nickel, unique usine du territoire, le syndicaux Usoenc proche de la CFDT et l’USTKE, syndicat des indépendantistes, règnent en maître, ils veilleront à ce que les salariés votent dans le bon sens. Mon ami René, Métropolitain qui travaille depuis 20 ans dans cette boîte, m’en raconte des pas tristes sur les syndicats. Par exemple, ce sont eux qui contrôlent les embauches, qui permettent les promotions, qui exigent le renvoi de tel ou tel.

En Nouvelle-Calédonie : d’un côté, il y a la presse Hersant à la botte de Lafleur, et de l’autre, les indépendantistes révolutionnaires nationalistes et les agents du gouvernement social-démocrate de Jospin avec la télévision d’État. Donc, l’information ne circule plus.

Albert, un anarchiste au pays des bleus à l’âme