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Lecture

« Itinéraire d’un homme libre »

Le jeudi 15 octobre 1998.

Il existe, dans le monde de l’édition, un objet rare et étrange : le mélange. Il s’agit de la réunion de textes de spécialistes, de critiques, d’amis, consacré, de son vivant, à un auteur. Cet objet tient à la fois de la critique de l’œuvre, de la biographie de l’homme et du salut amical de personnalités rencontrées par l’auteur tout au long du cheminement d’une vie et d’une oeuvre.

Celui que les éditions Plein Chant consacrent à Michel Ragon est peut-être plus rare encore que de coutume. Si l’œuvre est déjà d’une richesse et d’une étendue exceptionnelle : critique d’art et d’architecture moderne de renommée internationale, spécialiste de la littérature prolétarienne, historien du peuple, romancier, poète, essayiste, la vie de l’homme possède la même richesse et la même étendue. Bien souvent une œuvre s’explique, ou s’éclaire, par l’itinéraire de l’homme. Avec Michel Ragon il n’est plus question d’explication à posteriori ni d’éclairage rétrospectif, mais d’une construction de soi solidement et opiniâtrement entreprise à partir du désir de connaître et de la volonté de comprendre, étayée par une inextinguible exigence de liberté et une inébranlable et généreuse foi, non en l’Homme et en l’Histoire, mais en les hommes et en leurs histoires.

On serait tenté de parler « des vies » de Michel Ragon : ouvrier, bouquiniste, compagnon de routes, de recherches et de combats des Poulaille, Lecoin, Soulages, Joyeux, Atlan et autres COBRA, critique d’art, éditeur, écrivain. Mais il y a, il n’y a qu’une seule vie : celle d’un autodidacte qui prouve, comme on prouve la marche en marchant, que l’intelligence et la lucidité, l’enthousiasme et l’humanisme sont les plus beaux et les plus féconds fruits de la liberté et de la générosité.

Ce mélange est la rare occasion de rencontrer un homme libre, assez libre pour ne pas se laisser subjuguer par l’institution et devenir critique et historien sans passer par les grandes écoles ; assez libre pour savoir que la liberté n’a pas à choisir son camp, jamais, pas plus entre jacobinisme ou monarchisme (Les Mouchoirs rouges de Cholet) qu’entre bolchevisme ou capitalisme (La Mémoire des vaincus).

Jean
groupe Maurice Joyeux (Paris)

Plein Chant 64-65, 152 p. 90 FF.