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Mouvement des lycéens

La Rue donne de la voix

Le jeudi 22 octobre 1998.

Manifestation lycéenne

500 000 lycéens ont manifesté jeudi dernier leur mécontentement dans les rues de la plupart des villes françaises : le gouvernement à réellement de quoi s’inquiéter. Les paroles d’apaisement de Claude Allègre, père fouettard avec les enseignants mais prêt à jouer au père Noël avec les lycéens, n’ont eu aucun effet. Leurs revendications sont pourtant simples et accessibles : allégement des programmes et des classes surchargées (entre 30 et 40 élèves par classe alors que le maximum pour un travail de qualité est entre 20 et 25), ainsi que la nomination d’enseignants sur tout les postes vacants. Le ministre a beau promettre à tour de bras, comme il le fait depuis qu’il est en poste, il fait maintenant figure d’une baudruche qui souffle et se dégonfle progressivement. Quinze jours de manifestations auront donc suffi pour que tous comprennent qu’une grande gueule, même socialiste, ne résout pas plus les problèmes de l’éducation qu’un faux cul de la droite centriste.

Questionnaire bidon

Le questionnaire sur les problèmes des lycées, distribué l’an dernier à plusieurs millions d’exemplaires, n’a bien entendu servi à rien. Allègre voulait seulement jouer à sa mesure l’air gaulliste du « je vous ai compris », devenu pour l’occasion un fade « je vous ai entendu ». Mais voilà, les lycéens se rendent compte un an après que le questionnaire bidon n’avait d’autre but que d’endormir leur idées revendicatives, Mieux, ils découvrent que les vrais questions n’étaient pas dans le questionnaire.

Rien, en effet, concernant les effectifs surchargés des classes, rien non plus à propos du recrutement de nouveaux enseignants, rien enfin sur les moyens nécessaires pour des améliorations réelles et nécessaires des conditions de travail des lycéens et des profs. Bref, les lycéens ont été roulés dans la farine et c’est normal qu’ils exigent maintenant des changements immédiats.

Manipulation

Leurs revendications ne sont pourtant pas révolutionnaires ; et c’est bien dommage d’ailleurs. Elles n’en restent pas moins évidentes et justifiées. Mais un risque réel de manipulation par le ministère, profitant de l’inexpérience des lycéens sur les réponses techniques aux problèmes, existe. Beaucoup des conseillers de Claude Allègre étaient en 1968 de l’autre côté de la barricade, comme Alain Geismar, révolutionnaire maoïste devenu inspecteur général de l’Éducation nationale et interlocuteur des lycéens pour le compte du ministre. Ce type de requin sait nager dans toutes les eaux et il le montre actuellement à propos du problème central qu’est la pénurie de profs. La seule solution acceptable est l’embauche de nouveaux enseignants ou la réembauche définitive des maîtres auxiliaires totalement précarisés depuis quelques années. Pour cela il faudrait enrayer la chute continuelle du nombre des postes aux concours, « justifiée » par la baisse du nombre des lycéens, argument que la réalité des effectifs des classes dément chaque jour.

Mais la politique néolibérale du gouvernement est de n’embaucher aucun nouveau fonctionnaire. Allègre préfère boucher provisoirement les trous en se servant d’emplois précaires d’étudiants embauchés sous contrat à durée déterminée et parachutés sans formation dans les classes. Les grands discours du ministre qui estime que les solutions sont qualitatives et non quantitatives (pour ne pas payer de nouveaux personnels) sonnent bien faux tout à coup. Assurément le ministre n’a ni provoqué, ni même souhaité, ce mouvement mais il tente de l’agitation et de l’émotion pour faire passer à la hussarde un certain nombre de pratiques inacceptables.

Service public

L’enjeu réel de ce mouvement et de ceux qui suivront inévitablement est cependant beaucoup plus important que quelques rustines sur un système autoritaire, inégalitaire et centralisé. Nous ne défendrons pas l’Éducation nationale parce qu’il serait tout de même paradoxal de voir des anarchistes au chevet d’un des principaux outils de la domination idéologique de l’État républicain. Par contre c’est l’occasion de défendre notre conception de ce que doit être un véritable service public de l’éducation. Service public, pour nous cela veut dire trois choses : universel, totalement non marchand et gratuit, géré par ses usagers. Nous devons ainsi nous battre contre les filières ultra-courtes qui sous prétexte d’enseignement plus concret ont pour fonction de faire sortir de l’école le plus possible d’élèves, le plus rapidement possible. L’école doit être ouverte à tous, dans les mêmes conditions matérielles et pour cela être parfaitement gratuite (transports, livres et fournitures, repas dans les cantines et voyages scolaires compris). Enfin et surtout l’école doit être la propriété véritable de ses acteurs et non la propriété de l’État ou des curés.

Élèves, profs, parents, doivent selon nous autogérer les écoles, les collèges et les lycées. Dans un premier temps, nous serions bien inspirés de profiter des mouvements en cours pour exprimer nos idées et par exemple de revendiquer au moins un établissement autogéré par département, pour chacun des niveaux de la scolarité.

Franck Gombaud