Accueil > Archives > 2008 (nº 1500 à nº 1538) > 1538s, HS nº 36 (25 déc. 2008-4 févr. 2009) > [Vers une dictature molle]

Vers une dictature molle

Le jeudi 25 décembre 2008.

Après un tel déferlement d’images, de sons et d’encre sur l’affaire des « anarcho-autonomes » du plateau de Millevaches (Tarnac), il n’est, sans doute, pas très utile de revenir sur le détail de celle-ci. Par contre, il est plus intéressant, à mon avis, de faire connaître les réactions et le positionnement d’un certain nombre de membres du comité de soutien aux inculpés du 11 novembre (de Tarnac).

Lynchage par présomption de culpabilité

Le 11 novembre dernier, pendant que beaucoup d’entre nous se trouvaient au rassemblement pacifiste de Gentioux (Creuse), les hommes de main de la SDAT (sous-direction antiterroriste) épaulés par d’autres mercenaires de l’État investissaient le petit village de Tarnac (Corrèze) à quelques kilomètres de là ainsi que d’autres endroits en France. Chose étonnante, ces dangereux individus avaient amené dans leurs « valises » une cohorte de journalistes de Paris et d’ailleurs ! Par contre, personne n’avait, semble-t-il, daigné avertir le maire de cette bourgade corrézienne. Tout était en place pour que le lynchage médiatique puisse commencer : les déclarations tonitruantes aux télévisions et radios d’une s(m)inistre fière d’elle apprenaient aux braves gens qu’une « cellule invisible » terroriste des plus dangereuses venait d’être démantelée grâce à l’extrême compétence de quelques limiers à sa botte. Les journaux emboîtèrent le pas, rivalisant entre eux, pour présenter la couverture la plus en phase avec la thèse gouvernementale. Qui ne se souvient du magnifique titre de Libération : « L’ultragauche déraille [1] » Depuis quelques semaines, les journalistes ne sont pas franchement les bienvenus sur le plateau de Millevaches, mais qui pourraient s’en étonner ?

La culpabilité énoncée ne laissait plus beaucoup de place à la présomption d’innocence, qui, pourtant, fait encore office de loi jusqu’à preuve du contraire. Que certains souhaitent la mise place d’une présomption de culpabilité, cela ne fait guère de doute en ces temps de régression généralisée tous azimuts ; mais que ces gens, si prompts d’habitude à défendre toutes les lois, commencent par respecter celle-ci !

Petite circulaire et grands chefs d’inculpation

Dans le cadre du soutien que nous apportons aux inculpés du 11 novembre, nous ne devons absolument pas nous placer sur le plan de la culpabilité. Ce n’est pas notre problème, et ce ne doit être le problème de personne si ce n’est de ceux qui sont en charge de l’enquête. Pour le moment, il doit en être de même d’un quelconque jugement des actes incriminés.

L’urgence est ailleurs. Plus tard, nous aurons largement le temps de discuter de tout cela. Ce qui est fondamental dans le soutien auquel nous participons, c’est de dénoncer avec force l’inadéquation totale qui existe entre ce qui est reproché aux inculpés et les chefs d’inculpation prononcés contre eux. Parler d’« association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » relève de la manipulation politique la plus honteuse. Et la s(m)inistre de continuer, il n’y a encore pas si longtemps, d’affirmer que « ce n’est pas la police qui a qualifié ou qui qualifie en quoi que ce soit les gens de terroristes ». Mais voyons, c’est sûrement une justice libre et indépendante telle que la représente le procureur nommé par l’autre s(m)inistre plus sarkoziste que Sarkozy lui-même ! Tout cela serait risible si, derrière cette infamie, il n’y avait pas le risque pour les inculpés d’être privé de liberté pendant de bien trop nombreuses années.

Cette tragi-comédie a été grandement facilitée par une petite circulaire de la Direction des affaires criminelles et des grâces (ministère de la Justice) du 13 juin 2008 [2]. À l’époque, le Syndicat de la magistrature avait essayé d’alerter le public des dérives quasi inévitables qu’entraînerait la mise en application des recommandations de ce texte. Dans un communiqué intitulé « La Direction des affaires criminelles voit des terroristes partout », le syndicat pointait déjà le risque que cette circulaire pouvait faire courir, celui « de permettre une extension quasi illimitée d’une législation d’exception » et « de renforcer la répression à l’encontre des différents acteurs du mouvement social ». À la fin, il « invitait les magistrats à faire preuve du plus grand discernement dans la mise en œuvre de cette scandaleuse dépêche ». Il semblerait que le procureur (aux ordres) en charge de l’affaire de Tarnac soit, peut-être, un peu sourd et aveugle !

Il a fallu peu de temps pour que cette circulaire montre son pouvoir liberticide vis-àvis des libertés individuelles et autres.

La couardise des politiques

Nous ne pouvons qu’exiger avec force : la libération immédiate des derniers emprisonnés (Julien et Yldune) ainsi que le retrait des chefs d’inculpation « terroriste » et « association de malfaiteurs » pour les 9 inculpés.

Mais, bien sûr, il ne faut pas oublier d’exiger la non-application de cette infâme circulaire du 13 juin 2008, tout en visant aussi la fin des juridictions d’exception.

Ces quelques exigences devraient être soutenues par toute personne sensée et ayant un minimum de conscience politique (citoyenne, c’est plus politiquement correct !), attachée aux libertés dont nous disposons encore. C’est une évidence. Cependant, celle-ci n’a pas l’air d’être partagée par les « personnels » du monde politique et syndical (à quelques exceptions près). Nous avons pu observer de leur part un silence quasi complet et un refus de prendre position. Cela illustre assez bien leur couardise mêlée à une déliquescence avancée d’un semblant de pensée politique.

Localement, nous avons eu un bel exemple de cet état de fait. La commission chargée de l’attribution de subventions au Conseil régional limousin (dont dépend Tarnac) n’a rien trouvé de mieux que de suspendre l’aide à la création d’entreprise pour le magasin général de Tarnac dont un des gérants se trouve être inculpé dans cette affaire, la décision étant prise à l’unanimité. Mais, depuis, le vent médiatique ayant tourné et un grand nombre d’habitants du Limousin ayant été scandalisés, la subvention sera finalement attribuée. Dans le même ordre des choses, les communiqués de partis politiques commencent à arriver (LCR…).Tout cela est lamentable, peu surprenant, mais quand même atterrant.

Tous concernés

Nous sommes un certain nombre à considérer que cette affaire nous concerne, et de très près : soutenir les inculpés du 11 novembre aujourd’hui revient à anticiper le soutien dont, nous-mêmes, pourrons sans doute avoir besoin demain [3].

Pour conclure, nous pouvons faire nôtre cette citation toute d’actualité : « Celui qui est prêt à sacrifier un peu de liberté contre un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre et finira par perdre les deux [4]. » Maintenant, que chacun prenne ses responsabilités et puisse mériter la liberté dont il dispose encore !

Francis Laveix

depuis le plateau de Millevaches, un membre du comité « visible » de Tarnac.


[1Depuis, grâce au travail incessant des membres des différents comités de soutien, à l’investissement important de nombreuses personnes ainsi qu’au vide abyssal du dossier, le vent a tourné. Alors, telles des girouettes bien huilées, la plupart des médias ont retourné leurs caméras, leurs micros et leurs couvertures. Le même Libération a pu titrer en première page avec force de conviction un « Nous ne sommes pas des terroristes » de Benjamin, un des 9 inculpés.

[2Elle concerne la « multiplication d’actions violentes commises sur différents points du territoire national susceptibles d’être attribuées à la mouvance anarcho-autonome ». Elle demande aux parquets d’« apporter une attention particulière à tous faits (des inscriptions — tags — jusqu’aux manifestations de soutien à des étrangers en situation irrégulière) pouvant relever de cette mouvance afin d’en informer dans les plus brefs délais la section antiterroriste du parquet du tribunal de grande instance de Paris pour apprécier de manière concertée l’opportunité d’un dessaisissement à son profit ». Les juridictions d’exception ont de beaux jours devant elles.

[3Pour tout soutien aux inculpés : soutien11novembre.org.

[4Benjamin Franklin.