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L’impossible recyclage du nucléaire

Le jeudi 8 février 2001.

Armes à l’uranium appauvri et des guerres vendues comme « propres » qui se révèlent évidemment ignobles, comme toutes les guerres ; transports dangereux de combustibles destinés ou en provenance du retraitement, le dossier nucléaire est décidément empoisonné mais reste toujours aussi complexe pour le citoyen lambda. D’où une petite mise au point nécessaire de temps à autre…

Au début, il y a le plutonium

Rappelons rapidement la genèse du programme nucléaire, d’abord il s’est agit de produire du plutonium à usage militaire puis, et, on l’oublie trop souvent, du plutonium à usage civil pour la production d’électricité : le parc électronucléaire d’aujourd’hui n’a en effet rien à voir avec le parc prévu au début du programme.
Les centrales nucléaires que nous connaissons n’étaient à l’origine qu’un simple moment de développement, ces centrales permettent de produire de l’électricité certes mais surtout elles « produisent » de l’uranium appauvri (en amont) et du plutonium (en aval), or tout le but du jeu était de récupérer ces matières pour les « brûler » dans les géniaux surgénérateurs, qui eux-mêmes auraient produit leurs propres combustibles : après le mouvement perpétuel, l’énergie perpétuelle…

Passons sur les milliards engloutis et les années de travail perdues, il se trouve que les surgénérateurs cela ne marche pas ! Et donc le plutonium et l’uranium appauvri sont passés du statut de « produits » à celui de « déchets », enfin presque, car c’est un tel déshonneur que les têtes pensantes du nucléaire ne peuvent s’y résoudre et les recherches continuent (signalons au passage que le budget public, c’est-à-dire nos impôts comme dirait l’autre, y participe majoritairement), ces matières ne sont donc pas classifiées officiellement comme déchets… Entre temps il faut bien essayer de valoriser, au sens économique, ce qui n’est ni un produit ni un déchet d’où quelques problèmes qui se nomment : retraitement et obus à uranium appauvri.

Le recyclage bidon

Les actions militantes récentes de Greenpeace en France (tentatives de blocage de divers transports issus ou destinés au retraitement) ne sont pas seulement liées au factuel, c’est à dire le transport de MOX de la Hague vers le Japon ou le transport de combustible irradié des Pays bas vers la Hague, mais au bras de fer qui se déroule actuellement, autour du problème du retraitement, entre plusieurs partenaires aux intérêts différents, soit : EDF, les Verts du gouvernement, la COGEMA, le CEA et Framatome (pour les trois derniers, des sociétés à capital majoritaire de l’État, grosso modo : la première s’occupe du combustible, la deuxième de la recherche et développement et, directement issue du domaine militaire, représente la clé de toute évolution du nucléaire en France, la troisième s’occupe de la construction des centrales).

Schématiquement on peut dire que le retraitement consiste à trouver une occupation à des milliers de travailleurs et à des milliards de francs de capitaux avant que quelqu’un décide si ce qui sort d’une centrale nucléaire (le combustible usé) est un « produit » ou un « déchet » ! Des procédés industriels ont été mis en route pour retraiter ces combustibles usés afin d’en isoler du plutonium, lequel devait servir de combustible aux fameux surgénérateurs mais comme (voir plus haut) il n’y a plus de surgénérateur, que faire ? (comme disait Vladimir), eh bien du MOX ! Le MOX est un nouveau combustible génial (pour faire simple : mixte d’uranium et de plutonium) qui a de génial qu’il n’est d’aucune utilité si ce n’est de faire disparaître une partie ridicule du plutonium existant tout en présentant le désavantage de mettre 150 ans avant qu’on puisse envisager de le stocker définitivement (mais on ne sait pas comment…) tandis qu’aucun nouveau recyclage du MOX usé n’est possible… S’il n’a aucun avantage sur le plan de la gestion du cycle du combustible, si ce n’est de gagner du temps en attendant que quelqu’un décide quelque chose, il a un désavantage rédhibitoire pour les exploitants du nucléaire (EDF en France) : il coûte du coup bien plus cher que le combustible original. D’où le bras de fer et une partie de billard à plusieurs bandes.

Business politique et économique

Comme on le sait, les temps changent. EDF n’a plus les moyens (dans un environnement concurrentiel n’est-ce pas) de payer la danseuse du CEA, soit l’usine de retraitement de la Hague, quant à la COGEMA qui a la responsabilité directe du retraitement, elle voit, outre EDF qui grogne de plus en plus fort, ses clients étrangers se défiler à grande vitesse d’où gros problèmes financiers à l’horizon. L’activité industrielle du retraitement est ainsi en danger mortel. Alors on restructure et on concentre en attendant les décisions politiques.

En décembre 2000, le ministre des Finances, Fabius, annonce la création d’un grand pôle industriel du nucléaire où fusionneront CEA-Industrie, la COGEMA et Framatome (celle-ci ayant prudemment réussi son propre recyclage en développant le secteur connectique non lié au nucléaire). Le but officiel : mettre de la cohérence, le but réel : noyer les pertes et profits dans la masse des capitaux (on appelle çà l’intégration industrielle) en désengageant la responsabilité des secteurs différenciés du nucléaire afin de garder effectivement vis à vis de l’extérieur la « cohérence » du secteur entier, brave petit soldat de la patrie.

Et les Verts dans tout ça ? Les Verts veulent à tout prix obtenir des résultats sur le dossier nucléaire face à leurs électeurs (rappelons que Mme Voynet a signé depuis son arrivée au gouvernement tous les décrets favorables au lobby nucléaire), ils ont entériné le fait que le programme nucléaire français aille jusqu’au bout et ils n’arrivent pas à obtenir, en contrepartie, une décision publique de « sortie du nucléaire » à l’allemande, d’où la concentration des tirs sur le retraitement qui est le maillon faible du secteur actuellement. Face au CEA (le Commissariat à l’énergie atomique reste un État dans l’État) d’un côté et au consensus politique de l’autre, les Verts ne font pas le poids mais comme EDF, de son côté, pousse, il commence à y avoir du « grain à moudre » sur le dossier du retraitement… Où l’on retrouve la cavalerie légère de Greenpeace en action.

Certes Greenpeace est une organisation efficace et à l’abord sympathique mais sa stratégie « business » est très élaborée : toute action de Greenpeace doit être valorisée comme telle et ne pas se mélanger avec des actions de collectifs divers, ceci afin que les donateurs qui font vivre l’organisation identifient bien l’objet de leurs dons financiers.... Pour les Verts, qui n’arrivent plus assumer leurs reniementssuccessifs devant les militants antinucléaires, Greenpeace permet une activité sur le terrain, gênante pour le lobby nucléaire tout en laissant les groupes ou collectifs militants hors du coup. Business is business !

L’armée recycle

Revenons à l’uranium appauvri qui a fait la une des journaux ces derniers temps, l’uranium appauvri est ce qui reste sur les bras de l’industrie nucléaire après l’enrichissement de l’uranium naturel à l’amont du cycle du combustible (le plutonium se trouvant à l’aval, dans le combustible irradié). Toujours dans la perspective de son utilisation dans un surgénérateur de rêve, l’uranium appauvri n’est pas officiellement considéré comme un déchet (124 Kilo-tonnes sont ainsi entreposées en France sans être classifiées comme « déchets » nucléaires). Depuis la guerre du Golfe on sait que les militaires ont désormais trouvé une solution à ce dilemme, produit valorisable ou déchet. Voilà une bonne valorisation d’un produit : des obus par centaines et par milliers…

Le scandale de la guerre vendue comme « propre » commence à prendre de l’ampleur, mais il y a derrière tout le problème de l’implication du nucléaire dit « civil ». Si celui-ci se défend en France d’avoir fourni son uranium appauvri à l’armée (sur le ton bien connu : tout çà c’est la faute aux ricains), nul doute que c’était en projet, car toute solution à l’énorme quantité des déchets de l’électronucléaire est la bienvenue. Et on comprend toujours mieux la « cohérence » de la restructuration en cours du pôle industriel français du nucléaire : resserrer les boulons d’un nucléaire civil en échec économique autour du cœur de l’État, soit l’armée qui a la mainmise sur le CEA. Du militaire au militaire c’est là le vrai cycle du nucléaire, et là pas de recyclage en vue !

Luc Bonet