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Hommage

Nicolas Faucier dans la mêlée sociale

Le jeudi 10 septembre 1992.

Après Paul Lapeyre, Maurice Laisant et Maurice Joyeux l’an dernier, nous avons appris la disparition de Nicolas Faucier, le samedi 20 juin.

Né avec le siècle, Nicolas Faucier a combattu toute sa vie pour son idéal : la construction d’un monde égalitaire et sans violences.

L’itinéraire de ce compagnon est commun à celui de bien d’autres camarades des années 20 qui ont combattu tout à la fois le capitalisme, le fascisme et les autoritaires du marxisme.

Originaire d’Orléans, il connaitra dès l’âge de douze ans la dure condition ouvrière du début du siècle (le travail de nuit, les journées de douze heures, les semaines de plus ce cinquante heures…).

Pendant la Première Guerre mondiale, il s’engage dans la Royale pour échapper à la boucherie du front. Embarqué sur La Lorraine, il fraternise avec les mutins de la mer Noire.

Démobilisé, il se retrouve ajusteur à Argenteuil. C’est en 1923 qu’il adhère aux idées libertaires. Délégué d’atelier chez Renault, il se retrouve licencié pour fait de grève. Devenu entre-temps camelot, il se retrouve, en 1927, administrateur du Libertaire et gérant de la Libraire sociale. Par la suite, avec René Boucher (son futur bea-frère), ancien secrétaire du Syndicat des correcteurs de la presse parisienne, il s’investira dans le soutien à Sacco et Vanzetti.

Le siège de la librairie sera l’occasion pour lui d’y rencontrer les proscrits de la révolution bolchevique : Lazarévitch, Victor Serge, Nestor Makhno. Le comité d’entraide, mis en place pour subvenir aux besoins de Makhno, était tenu par Alice, sa future compagne.

Militant à l’Union anarchiste, il se situait dans la tendance des plateformistes. Néanmoins, il n’hésita pas, par la suite, à renouer contact avec les synthésistes tels Louis Lecoin et Sébastien Faure.

Devenu, depuis, correcteur de presse, il s’engagera pleinement contre la scission du mouvement syndical (CGT et CGT-U), survenu en 1921. Il côtoiera, à l’époque, des syndicalistes révolutionnaires de La Révolution prolétarienne.

Les grèves de 1936 lui donnèrent l’occasion de mettre en exergue dans Le Libertaire les valeurs de l’action directe et de dénoncer en même temps la mascarade des promesses électorales.

Anarchiste de terrain, il fut avec Lecoin l’un des principaux instigateurs des comités Espagne libre et des sections de la Solidarité internationale antifasciste (SIA), en relation directe avec les compagnons de la CNT-FAI en lutte contre le franquisme en Espagne.

En septembre 1938, il signe, avec Lecoin, une déclaration dans laquelle tous deux refusent de répondre à un éventuel ordre de mobilisation. Cette déclaration et la rédaction du tract Paix immédiate leur vaudra d’être arrêtés et emprisonnés sous le régime de Vichy. Il s’évadera quelque quatre ans plus tard pour rejoindre sa compagne gravement malade.

La Libération survenue, il poursuit son action syndicale et pacifiste. Il se retrouve à nouveau au côté de Lecoin (ce dernier, alors âgé de 74 ans, entamera une grève de la faim en 1962 pour arracher le statut des objecteurs de conscience). Par la suite, il fréquente nombre de mouvements pacifistes et non-violents, notamment l’équipe du Réfractaire, animée par May Picqueray.

Alors en retraite, Nicolas Faucier vient s’établir à Saint-Nazaire, en 1968. Le poids des ans n’entamera pas ses convictions puisque, outre une collaboration active avec les journaux libertaires, il publiera au fil des ans Les Ouvriers de Saint-Nazaire, Pacifisme et antimilitarisme dans l’entre-deux-guerres, Dans la mêlée sociale

Dernièrement, sur le plan local, nous le revimes à la tête d’un collectif contre la répression en Chine, en 1989. Plus récemment, la guerre du Golfs, en janvier 1991, le verra s’exprimer dans les assemblées générales du Collectif contre la guerre, en tant que représentant du groupe nazairien de la Libre Pensée. Au cours de ces réunions, il exhorta les organisations syndicales à s’unir contre les hostilités, selon les principes de l’internationalisme prolétarien.

Récemment encore, Nicolas Faucier se confiait dans la presse locale : « À 90 ans passés, je pourrais dire que je n’ai pas grand chose à espérer. Mais je n’en ai pas le droit, car d’autres reprendront le flambeau […]. Le monde d’aujourd’hui ne porte pas à l’optimisme. Malgré tout, pour moi, la révolution libertaire n’est pas une vieille lune […], il faut se battre car le combat est de tous les jours. Je me battrai jusqu’à mon dernier souffle […]. Sans prétention, je crois que j’ai fait ce que j’ai pu, et je ne regrette rien de ce que j’ai fait. »

Nicolas Faucier a fait don de son corps à la faculté de médecine de Nantes.

Gaëtan Moyon (FA — Saint-Nazaire)