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Paul Chenard nous a quittés…

Le jeudi 24 juin 1993.

Une sonnerie qui vous surprend. Un coup de fil que l’on n’attendait pas et puis… l’instant d’une hésitation… votre interlocuteur qui hésite, une voix familière qui ne l’est plus tout à fait. L’ami qui d’habitude vous appelait, comme ça, régulièrement, pour le plaisir et qui tarde cette fois-ci à se faire connaitre. Enfin, le trouble qui s’installe, le malaise qui gagne, et puis la voix un instant étrangère qui redevient chaleureuse, le contact qui se rétablit mais là, la surprise, l’estocade est au rendez-vous ; le coup vous atteint de plein fouet. L’annonce d’une disparition, d’une mort, celle d’un ami chaleureux. Oui, il vous a semblé avoir bien compris. C’est ainsi : Paul Chenard, « Polo », nous a quitté dans sa soixante-et-unième année
 [1].

Pour tous les amis qui écoutaient sa rubrique du « Père Peinard » sur Radio libertaire, pour tous ceux qui, dans Le Monde libertaire et dans la famille anarchiste, avaient appris à connaitre notre camarade depuis de très nombreuses années, c’est sans aucun doute la voix gouailleuse, chaleureuse, fraternelle d’un certain faubourg parisien qui nous manquera le plus.

Il est vrai que notre compagnon se présentait comme un « individualiste anarchiste teinté de syndicalisme », mais c’est, avant tout, au-delà de cette conception de l’anarchisme, la vie d’un homme appartenant à une famille qui, depuis trois générations, de père en fils, s’est dévouée aux idées libertaires, dont il conviendrait de faire connaitre l’histoire.

Il importerait en cet instant de trouver les mots, chauds, chaleureux, ceux qui touchent toujours les hommes généreux, la belle et bonne parole anarchiste au contact de laquelle les idées trouvent d’elles-mêmes un ordonnancement qui ravit l’esprit et surtout le cœur. Paul était de ceux qui pouvaient et savaient faire naitre et partager cela.

Après nous avoir parlé toujours avec beaucoup de pudeur et de tendresse de son grand-père passé du blanquisme à l’anarchisme, de son père co-fondateur de la CGT-SR dans les années 20, et plus modestement encore de son combat antimilitariste et pacifiste, c’était un peu de ce faubourg parisien, un peu de 1848, de 1871, de la 1re Internationale et du mouvement ouvrier en général, dont il aimait joyeusement et familièrement nous entretenir sans que jamais l’amertume ou l’ironie ne viennent ternir les leçons, qu’il tirait de cette fameuse mémoire sociale qui lui tenait tant à cœur.

Mais dans les périodes de découragement, de doute, lorsque nous flirtions avec le renoncement, c’était aussi de sa part le geste fraternel, la parole de l’ami qui jamais ne se dérobe, qui redonne courage et qui sait faire comprendre que l’anarchisme est un perpétuel perfectionnement et dépassement de soi-même.

Très attaché à l’individualisme social, il cultivait le connais-toi toi-même des humanistes, et ses lectures d’Han Ryner, E. Armand, Charles-Auguste Bontemps lui donnaient toujours l’énergie nécessaire pour fustiger les tentations médiocres de récupération des idées libertaires par ceux qui, à tout prendre, ne sont que des petits autoritaires en culotte de peau !

Avec la gentillesse et le courage de l’homme qui ne renonce jamais, Paul Chenard restera, sans aucun doute, celui qui, fraternellement, sans en avoir l’air, aura fait naitre en nous le gout pour la parole antidogmatique, celle qui reste jusqu’au bout au service du Droit et de la Liberté.

Groupes du XIVe et de la Vache Folle


L’incinération de notre compagnon aura lieu le vendredi 25 juin à 11 h au crématorium du Père-Lachaise à Paris.


[1Paul Chenard, 1er mai 1932-19 juin 1993.