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Underground

Les Scraps

Le jeudi 21 novembre 1991.

Les Scraps est un groupe musical et militant lillois, version positive du mouvement hardcore. Sa musique est un cri, ses concerts autant d’actions engagées en faveur des idées anarchistes.

Les « musicos » des Scraps rêvent de balayer le vieux monde autoritaire et la vermine fasciste… Rêvons avec eux, en les écoutant se raconter.



Le Monde libertaire : Historique, création du groupe, production de disques, concerts… Où vous produisez-vous ?

Les Scraps : Le groupe a débuté en 1983 pour canaliser notre énergie d’une façon plus positive et moins nihiliste que celle qu’on ressentait à l’écoute des premiers groupes punks. En fait, notre influence principale, notre vraie référence est un groupe comme Crass pour leur démarche révolutionnaire, leur rejet total du circuit commercial, des normes du Music business… Nos deux premiers 45 T, Apartheid et Argh s’inspiraient beaucoup de l’esprit de la mouvance anarcho-punk : auto-production, prise en charge totale de la distribution, de l’organisation des concerts, des tournées, profit le plus réduit possible sur la vente des disques… Notre premier album, Wrapped up in this society, sort sur le label Be Yourself Record, qu’on a créé avec des acolytes belges, et dont le deuxième projet sera un 45 T de soutien au WNC, un squatt de Gröningen aux Pays-Bas, fermé par les flics. Be Yourself Record est un label qui fonctionne uniquement avec des distributeurs, des associations, des librairies, des groupes bénévoles et de « non profits », répartis sur toute la planète ; ça nous permet d’être distribués partout en Europe, et aussi au Brésil, Pérou, Australie, Philippines, Malaisie, Japon… Le disque va probablement être pressé également aux États-Unis par un collectif anarchiste, Profane Existence, qui édite un journal et s’occupe d’un réseau de distribution indépendant.

L’auto-production est vraiment le moyen d’expression le plus en rapport avec nos idées et nos engagements politiques, une façon de rester sincères vis-à-vis de tous ceux qui nous soutiennent, garder un contrôle total sur nos activités sans qu’un businessmen endimanché nous demande de changer telle ou telle ligne du texte, d’adopter telle ou telle attitude en fonction des fluctuations du marché… Les gros labels capitalistes, les grosses boîtes commerciales sont pour nous l’antithèse de la rébellion, des machines lourdingues qui vendent de la musique comme de la poudre à récurer, tuent la sincérité des groupes et en font des produits aseptisés, manipulables à volonté, accrochés aux ventes et à leur image comme s’il s’agissait de leur oxygène.

Le groupe a fait à peu près 200 concerts dans toute l’Europe, la plupart dans les squatts et lieux alternatifs d’Europe du Nord, trois tournées en Scandinavie (1986), Grande-Bretagne (1988) et Europe (1989). Ce qui nous a le plus marqué dans toutes ces rencontres, tous ces endroits, c’est cette intensité, cette sincérité, cette motivation qu’on a rencontré dans les endroits où nous avons joué, les relations très fortes avec le public, cette rage qu’on ressent en permanence, l’intensité de la révolte, l’amitié et la solidarité qui se créent, cette communion dans la lutte contre le pouvoir, c’est ça qui nous donne la confiance et l’énergie pour aller plus loin encore. Le jour où nous n’aurons plus ce feeling avec les gens, nous arrêterons tout de suite.

Un groupe végétarien et anti-vivisection

ML : Quelles activités militantes menez-vous ? Et comment les concilier avec la musique ?

Les Scraps : Nous nous considérons plus comme des militants que comme des musiciens. La musique est un catalyseur d’énergie, un formidable vecteur pour approcher les gens, s’exprimer, participer à la circulation des idées anarchistes, essayer de les mettre en pratique et de les vivre : squatts, vie en collectivité, réseau autonome de distribution, radios, fanzines, labels, concerts, pratiques anti-autoritaires, échanges basés sur la solidarité et pas sur le profit, communication alternative concrète et viable au circuit commercial, comme moteur et orientation de la « scène » et du mouvement dont on fait partie. Parallèlement à tout ça, nous participons activement à la lutte anticapitaliste, antiraciste et antifasciste. Nous soutenons sans réserve les actions des SCALP et autres collectifs comme Réflexes, la Fédération anarchiste, le groupe Humeurs Noires de Lille… Nous nous sentons également solidaires de groupes comme Patxa en Ipparalde (nord du Pays basque).

Cette lutte, cette présence sur le terrain, dans les quartiers, dans les lieux de vie nous paraît, en effet, indispensable et correspond tout à fait à l’idée que nous nous faisons du militantisme… C’est aussi un axe d’intervention, d’information, d’agitation que nous privilégions. Ça nous permet également d’être en contact avec des militants, des antifascistes, des squatteurs en Angleterre, en Hollande et surtout en Allemagne (Berlin, Hambourg…) où nous avons participé à des échanges, des rencontres, des semaines d’actions antifascistes avec le SCALP de Lille notamment.

Un autre aspect, très important, de notre engagement est celui en faveur du droit des animaux, torturés et massacrés dans les laboratoires, exploités dans les fermes d’élevage. Nous nous battons pour une société égalitaire qui n’exclue pas de fait les autres êtres vivants sur cette planète. La lutte pour le respect des animaux est une lutte contre l’exploitation, la domination, la cruauté et l’égoïsme.

Tous les gens du groupe et la majorité de ceux qui nous soutiennent sont végétariens ou végétaliens pour des raisons éthiques, politiques, économiques et de santé. La consommation de nourriture uniquement végétale procure le maximum d’espace à la faune, à la flore naturelle et aux humains. La production de viande et dérivés est la cause de déboisements massifs, entre autres en Amérique centrale. Chaque année, 20 000 km2 de forêts tropicales sont abattus pour faire de l’espace à la production de viande, de lait… ou de fourrage, qui exige une très grande surface. L’abattage de ces forêts serait complétement inutile si, en entre autres, on ne gaspillait pas tant de nourriture avec la production de viande, de lait. […]

ML : Qu’est-ce qui vous révolte le plus ?

Les Scraps : Il y a tant de choses qui nous révoltent, mais ce qui nous fait le plus gerber actuellement, c’est la France des vigiles et des flics « baveurs », des clônes SS au crâne rasé et des nervis des groupuscules d’extrême droite, la chasse aux jeunes immigrés et les cartons des beaufs dans les cités. Ce qui nous révolte, c’est la France qui pue l’antisémitisme et la xénophobie, les consensus puants où l’on désigne l’ennemi sous forme du type basané, « responsable » de tous les problèmes de ce putain de pays. […]

La révolte au cœur avec les fascistes en ligne de mire

ML : Qu’est-ce qui bouge sur Lille ?

Les Scraps : Des groupes comme Slaves Attack, Perfect Kids, FP 4, Tiroir Caisse…, des collectifs comme le SCALP, le CRAFAR, le Comité Euskadi, le groupe Humeurs Noires, le Centre culturel libertaire Benoît-Broutchoux … Tout ce beau monde se retrouve à l’écoute des programmes de Radio-Campus, qui distille gracieusement des émissions comme « Raw Power », « Écrasons la vermine » (animées par des membres de Scraps et Kaliméro distribution, entre autres), « Sur moi cruel », « La Voix sans maître », « Humeurs Noires »… sur une station de radio libre, associative et non publicitaire.

La faune lilloise se rend également dans un autre lieu de l’underground, Rockmitaine, le sanctuaire de la musique alternative hardcore, punk, rock… aussi célèbre pour ses prix sacrifiés que pour la gentillesse et la sympathie du maître des lieux.

ML : Faîtes-vous partie du Yes future ?

Les Scraps : On fait partie de la mouvance positive du mouvement hardcore. On se bat pour construire une société égalitaire et fédérative. On multiplie les concerts, les rencontres, les expériences pour tenter de faire partager nos idéaux et nos objectifs à un grand nombre de personnes. On participe à l’éclosion de réseaux, de structures, de lieux autogérés et constructifs, à la création d’une alternative politique, culturelle et sociale vivante, concrète et viable. Alors, on fait partie effectivement de ceux qui pensent que l’avenir est entre nos mains, et que cet avenir appartient à ceux qui refusent de le laisser entre les pattes velues des politiciens, des banquiers et des businessmen. Yo, Makhno !

ML : Parlez-nous de votre dernier disque ?

Les Scraps : Notre dernier disque, Wrapped up in this society, est le travail collectif d’une dizaine de personnes comme les gens de Nabate (désormais Uppercut), Kaliméro distribution, Be Yourself Record… Deux femmes, Diane et Kelly, ont également participé à la rédaction des textes, et c’était une manière pour nous d’avoir une autre perspective, un autre point de vue sur des problèmes comme le sexisme, le militarisme, la violence… Ça nous a également permis de débattre de certains problèmes à l’intérieur du groupe (égocentrisme, compétition, machisme…), de réfléchir et comprendre plus de choses, de nous remettre en question, de nous ouvrir les yeux et nous faire évoluer.

La musique, elle, est toujours radicale et sans concession, un grand coup de pied urgent et sans prétention dans les fesses ramollies de tous les Drucker de la planète et des brontosaures adipeux de la pop music. (…)

Interview du « Monde libertaire »


Discographie

 45 T Apartheid (6 titres auto-produits) ;
 45 T Argh (idem) ;
 Split, 45 T Scraps/Don Don MCR Records Japon ;
 LP, Wrapped up in this society (18 titres), Be Yourself Records ;
 deux titres sur la compilation Rapsodie de Jungle Hop International ;
 deux titres sur la compilation This is the Life de MCR Records ;
 un titre sur la compilation 1984 The Third de New Wave Records ;
 un titre sur la compilation compact disc CD aux USA ;
 un titre sur la compilation Throughts about a depressing world, Last Scum prod. (RFA) ;
 un titre sur la compilation Consumer de Full Circle (GB).

Pour joindre Les Scraps, écrivez à Kaliméro, BP 21, 59007 Lille cedex.