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Les violences urbaines

Conséquences des violences d’une société

Le jeudi 11 janvier 2001.

Lorsque les agriculteurs mettent à sac une préfecture ou encore une partie d’un ministère (janvier 1999), on approuve ou non ce type d’actions mais on reconnaît de fait son caractère politique. De même lorsque les patrons routiers en octobre 2000 bloquent l’économie, l’accès à des aéroports…, on reconnaît et on analyse une forme de protestation collective. Par contre les violences urbaines n’ont pas l’honneur de connaître ce même type de statut. Ces violences n’ont pas ce droit et sont relégués à des affaires « de droit communs »… Elles font peur car elles échappent aux mécanismes politiques habituels dans ce sens où elles sont relativement imprévisibles. Ces actions se multiplient, des événements de Vaulx-en-velin en banlieue lyonnaise en 1990, à ceux du Mirail à Toulouse en 1998, aux voitures des 31 décembres de Strasbourg. Et de cette multiplication, on ne peut nier son aspect politique. On ne peut nier l’existence d’une situation émeutière contre des représentants ou des symboles d’un ordre social. Mettre le feu à une voiture, à une date symbolique, est un acte politique. Certes nous avons un regard très critique sur cette forme de révolte. Parfois même, elle n’a pour origine que l’appât du gain : la société de consommation a un tel attrait que le/la jeune souhaite aussi avoir sa grosse voiture, ses vêtements de marques… et agit avec une logique libérale implacable de réappropriation individuelle avec comme seul souci un enrichissement personnel. Mais nous ne pouvons participer à cette négation collective et médiatique car elle participe à une politique de criminalisation de la misère et des banlieues.

Acheter la paix sociale
Nier les origines de cette violence est le premier outil qui permet de mettre en place des politiques ne s’attaquant pas aux racines du phénomène. Soit on essaie d’acheter la paix civile et sociale par l’intermédiaire de RMI, de concerts (comme le 31 décembre dans les quartiers défavorisés de Strasbourg), de locaux jeunes. On construit des tas de plans avec au bout des financements publics (des DSQ, Développement social de quartier avec Tapie comme ministre de la Ville, des « Grand Projet Ville », des ZEP (Zone d’éducation prioritaire), des zones franches (pour redynamiser l’économie des quartiers)… Mais ces politiques globalement sont vouées à l’échec. Les politiques de la ville sont aujourd’hui soumises aux lois du marché : c’est ainsi que la spéculation immobilière chasse les classes populaires des centres, pour les concentrer dans des quartiers périphériques sans vies.

Toutes les villes connaissent de tels quartiers avec des taux de chômage frôlant les 40, 50 %. Cette violence n’est pas une lutte de classe (dans ce sens ou elle n’est pas organisée, elle n’a pas d’objectif social) mais elle est de toute évidence une réaction de classes (favoriser par la concentration et les phénomènes de groupes qui en découlent). Et le premier objectif des pouvoirs est de pacifier cette réaction. Or, si les politiques d’achat de la paix sociale ne suffise pas, on passe au tout sécuritaire. D’ailleurs les deux politiques se mènent parallèlement. On criminalise la misère (50 % des condamnations pénales sont prononcées à l’encontre de chômeurs et chômeuses). On augmente les effectifs de police (en particulier avec les Brigades anti-criminalité, recrutée parmi les CRS les plus motivés : elles patrouillent en civil dans des voitures banalisées pour souvent faire des contrôles violents au faciès), on impose un éloignement systématique de certains mineurs, on parle de l’instauration d’un couvre feu caché pour les moins de 14 ans ou de la suppression des allocations familiales. Du point de vue juridique, on étend les possibilités de comparution directe… Les « Contrats locaux de sécurité » rassemblent police, organismes sociaux et culturels, pouvoirs locaux afin de réfléchir à cette pacification du territoire afin que les zones géographiques ne deviennent pas un terrain d’expression de lutte de classes en plus de celui de l’entreprise.

Une gauche discréditée
Les politiques de financement, de subvention de la paix ne fonctionnent pas car le lien social est cassé. Au cas où il ait existé ! Au cas où, car souvent les personnes parlent de ce lien social sans même aborder l’objectif politique de ce lien. Or, derrière sa volonté de diffusion de la culture (quelle culture ?) et d’éducation populaire, le centre socio-culturel par exemple a souvent comme réel objectif d’apaiser les tensions sociales d’un quartier. Et l’ensemble de la gauche, ces cinquante dernières années, a eu ce rôle d’encadrement intellectuel des activités culturelles, de manipulation du militantisme. Quelle vision peut avoir le groupe de jeunes, enfants de parents au chômage, rejeté par l’ensemble des dits services publics (de l’école par l’exclusion scolaire jusqu’au transport en commun par des tarifs prohibitifs) de ces associations dites de gauche alors que cette gauche a eu les reines du pouvoir quatorze ans ces vingt dernières années. Le discrédit est général. La gauche a montré sa logique politicienne et collaborationniste et ce n’est pas demain qu’elle sera dans une capacité à modifier ce regard.

Notre enjeu de rendre constructive cette révolte afin qu’elle soit porteuse de changement n’est pas pour autant aisé. Cet objectif politique est loin d’être gagné. Car le risque inhérent de ces quartiers, c’est le repli identitaire. Les jeunes issus des milieux maghrébins risquent de se tourner vers la religion musulmane (voir la puissance par exemple des JMF, Jeunesse musulmane française, dans certains quartiers), loin d’être synonyme de liberté et d’émancipation, tout comme le bon Français de souche peut se retourner vers des idées de droites extrêmes…

Oui il y a des raisons de se révolter, mais brûler des voitures (appartenant à des personnes parfois aussi pauvres), frapper au hasard ne fait que du tort et ne fait que renforcer tous les replis identitaires (qu’ils soient nationalistes ou religieux). Notre révolte doit prendre sa source contre les responsables de la misère et de la précarité installée : le capitalisme. Et notre révolte ne prendra de sens qu’en s’organisant contre le capitalisme et ses effets destructeurs, en s’organisant dans les quartiers contre les huissiers, contre des logements trop chers, pour des vrais services publics (gratuité des transports…), pour une réappropriation de notre culture et de loisirs (sans forcément passer par des professionnels, loin de nos réalités et de ce que qu’ils/elles prétendent défendre : l’éducation populaire)… Cette lutte peut sembler longue, dure, incertaine : elle est pourtant indispensable.

Régis Balry. — groupe FA de Nantes