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Au travers des quartiers de Lille

Tout sur le festival « Art et Anarchie » 1994

Le jeudi 30 juin 1994.

Égalité, entraide, liberté des artistes, des spectateurs et des organisateurs », c’était l’un des objectifs du festival « Art et Anarchie » 1994, deuxième du genre, et réalisé la première quinzaine d’avril sur la métropole lilloise par un collectif libertaire. Il s’agissait d’une vingtaine d’individus issus d’horizons différents : du groupe Humeurs Noires de la Fédération anarchiste, d’Aktion (groupe autonome d’action anti-autoritaire), du Centre culturel libertaire Benoît-Broutchoux, des mouvements de lutte pour le droit à vivre sa sexualité, du secteur social, culturel, universitaire, de nulle part… Cette petite bande de joyeux rêveurs persuadés qu’on pouvait « remettre en cause l’art réservé à une élite, qui s’abstient de toute connivence politique, si ce n’est pour s’allier au fric et aux dominants », s’est soudée autour de quelques principes sains : « Estimer que chaque individu est susceptible de définir ce qu’il entend par artistique, ou encore ce qu’il trouve beau ; rejeter toute norme artistique, et vomir le bon goût ; proposer à tous de se donner du plaisir à vibrer pour une danse, une toile, une musique, un spectacle qu’ils regardent ou qu’ils font, ou les deux à la fois ; l’offrir gratuitement ou pas cher ; le faire dans les lieux divers mais toujours attachés à des quartiers. »

Le pire, c’est qu’on l’a fait. Mieux encore, d’autres nous ont rejoints alors qu’ils n’étaient pas payés : acteurs, chanteurs, conférenciers, cuisiniers, peintres, sculpteurs, amateurs de spectacles différents, musiciens, piliers de comptoir (devant et derrière), magiciens, bons à rien, comédiens, groupies… Qu’ils l’aient été pour l’occasion ou depuis toujours, tous ont fait ce festival et lui ont librement donné un sens. On peut estimer à 800 environ l’ensemble des manifestants festivaliers (beaucoup moins selon la police, plusieurs milliers selon les organisateurs), c’est-à-dire l’ensemble de ceux qui ont mis volontairement un pied dans le festival (par exemple, on ne compte pas le concierge de la salle de concerts qui, quand bien même le faisait-il correctement, était quand même là pour son boulot). Certains sont venus à un moment particulier, d’autres ont fait les fans.
Il faut dire qu’on avait tâché de bien bosser notre affaire : plusieurs mois de préparation avaient permis de préciser le projet que nous avions de renouveler l’expérience d’un festival « Art et Anarchie » sur Lille (puisque qu’une première édition avait eu lieu en janvier 1993, sur une dizaine de jours). À l’origine, il y avait le pied que nous avions pris lors de ce premier festival, et l’affirmation de ceux qui l’avaient vécu, ou regrettaient de l’avoir raté, ou voulaient nous faire plaisir… qu’il devait exister ce type de manifestation sur Lille. Mais il fallait appuyer davantage le caractère politique de la chose. C’est pourquoi nous avons essayé de clarifier les termes du contrat qui devait lier les participants au festival : chaque individu ou collectif sollicité a reçu un texte de présentation de nos objectifs, un questionnaire lui permettant de donner les siens, et était convié à participer à la préparation du festival. Celle-ci s’est faite sous la forme de rencontres régulières donnant systématiquement lieu à des comptes rendus précis des décisions prises et à prendre, et par le mandatement d’individus pour la mise en œuvre de ces choix. Ce mode de fonctionnement a permis d’ouvrir l’éventail des possibles, et de faire de cette manifestation un événement riche en termes politiques et artistiques… mais pauvre au sens financier du mot, nous y reviendrons.

Nous avons déjà dit que les membres du collectif de préparation du festival avaient des expériences différentes, il en est de même pour ceux qui se sont retrouvés sur Lille entre le 1er et le 14 avril. Ils venaient de Belgique (Bruxelles, Gand, Mons…), des Pays-Bas (Amsterdam, Rotterdam), des Flandres, de Bretagne, de l’Ariège, de Paris, de Grenoble, d’Angoulême, de Toulouse… il y avait aussi quelques Lillois, quelques Nordistes, il faut bien le dire.

La variété de leurs parcours n’est pas seulement géographique, les inconditionnels du festival peuvent en témoigner : 19 manifestations ont été données sur 14 jours dans des styles tout à fait différents : cinéma (Un Autre futur, sur l’Espagne libertaire, en présence d’Aimé Marcellan co-scénariste ; L’An 01 de Gébé et Doillon ; Zéro de conduite de Jean Vigo), chanson (Christian Leduc, Ghislain Gouwy, Alayn Dropsy, Daniel Duroy), cuisine végétarienne (Les Fameux Cuistos), théâtre (Los Raptis), concerts rock, hardecore, ska, punk, planant, infernal… (La Lune parle toute seule, WAQ, Moon in June, Scraps, Petit futur, Angoisse rouge, Stinsisters, Dead Michel Simon, Space farmers, Zarbi Band), musique et films expérimentaux (Métamkine), conférences (Gaetano Manfredonia sur la chanson libertaire, Marc Wilmet sur Brassens, Robert Horville sur Léo Ferré), spectacle pour enfants (Globule et Mescaline), spectacles et chorales de rue et de bistrot (Gérard et son orgue de Barbarie, Les Sangs Cailloux, Los Raptis, Alice et son accordéon, Les Fameux Cuistots), performances (Les Beurres et Ordinaires), café-théâtre (Geneviève Pastre), peinture en direct et en différé (Sam Boineau, Gabriel Scézan).

Enfin tout cela s’est passé dans une dizaine de quartiers de Lille, et plus précisément : au Centre culturel libertaire Benoît-Broutchoux, au cinéma L’Univers, dans des cafés-théâtres et cafés-concerts, dans une usine désaffectée, sur le marché de Wazemmes, à la Maison de quartier de Fives, dans une école, à la Maison de la Nature et de l’Environnement, dans différentes salles municipales et sur Radio Campus, qui fête cette année ses 25 ans de liberté sur les ondes lilloises.

Tout cela fait un peu annuaire de vertus ou fiche technique du dernier modèle de chez Peunault, mais il faut dire qu’à l’issue du festival, on s’est vraiment dit qu’on était assez contents d’être venus. Et pas seulement en recomptant les gens, les spectacles, les lieux (et surtout pas en recomptant les sous qu’on n’avait plus), mais en considérant la multiplication des échanges qu’avait permis ce festival. Car chacun est venu avec son expérience militante et/ou de vie communautaire, de projets artistiques alternatifs, de lieux culturels différents… et l’a transmise, au-delà du spectacle, par toutes les discussions qui se sont tenues avant, pendant et après.

Nous voulions par ce festival amener des gens à comprendre ce que peut être un projet anarchiste. Nous avons d’abord vécu son organisation comme telle. Ensuite, l’accès aux manifestations n’était pas cher (de 20 à 50 FF) ou gratuit (pour 10 spectacles sur 19), de la même façon, la bouffe et les boissons étaient accessibles, pour que tout le monde puisse profiter de la fête. Il y a eu des conférences, et des tables de presse mettaient à dispositions affiches, revues et bouquins libertaires. Et surtout, on a échangé adresses, points de vue et projets.
On en a un peu causé dans les journaux et même à la télé. Mais le plus important, c’est que les gens se souviennent que c’était anarchiste, et aient envie que d’autres choses le deviennent dans leur vie.

Évidemment, il y a un point… rose dans ce magnifique tableau noir comme notre drapeau : on ne comptait pas vraiment se faire du fric à l’occasion de ce festival, et là on a réussi au-delà de nos espérances, avec un déficit de plus de 10 000 FF. On avait sous-estimé certains frais, et surtout, le week-end de concerts n’a pas bien marché (contrairement à tout le reste), alors qu’il avait coûté assez cher (location d’une sono, d’une salle, et défraiement des groupes, qui n’avaient pas de cachet mais auxquels on remboursait les frais de déplacement). Si vous voulez bien M’sieurs Dames, on accepte tous les modes de paiement, et en échange, on vous propose une cassette de compilation des meilleurs moments musicaux du festival (à partir de 25 FF) et une brochure Art et Anarchie (à partir de 10 FF, édition rare et limitée). Quoi qu’il arrive, on peut nous joindre en écrivant à : Collectif « Art et Anarchie » c/o Humeurs Noires, BP 79, 59370 Mons-en-Barœul (chèque à libeller à l’ordre de l’ALDIR).

Et surtout si vous avez des suggestions pour le festival « Art et Anarchie » 1995…

Lapuce (gr. Humeurs Noires — Lille),
pour le collectif « Art et Anarchie »