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éditorial du nº 1151 et autres articles du ML1151

11 au 17 février 1999
Le jeudi 11 février 1999.

https://web.archive.org/web/20031229195140/http://federation-anarchiste.org/ml/numeros/1151/index.html



Éditorial

Depuis quatre ans déjà, l’Église catholique prépare le public de l’an 2000 annoncé comme " la célébration de l’incarnation rédemptrice du fils de Dieu : Jésus-Christ ". Pour les corbeaux c’est " une année de grâce du Seigneur, une année de rémission des péchés et des peines dues aux pêchers ", une sorte de grâce présidentielle divine quoi ! Vous pourrez vous garer n’importe où, Dieu fera sauter les PV.

L’année 2000 sera surtout celle de l’offensive catholique, la célébration se fera simultanément à Rome et dans les églises locales. A cette occasion l’Église va faire son autocritique et s’excuser pour les erreurs commises en son nom par les hommes. Un mea culpa destiné à effacer les conversions forcées, l’évangélisation à la baïonnette, la rédemption par le bûcher… Toutes les fautes commises par l’Église au XVe siècle seront vigoureusement condamnées. Pour les erreurs du XXe siècle, le soutien aux dictatures militaires en Espagne ou en Amérique latine, la lutte contre l’avortement et les homosexuels… il faudra attendre le jubilé de l’an 3000.Faute avouée à moitié pardonnée, les curés pourront se consacrer le cœur léger au véritable but du jubilé : la conversion de nouveaux fidèles.

Pour être sûr de n’oublier personne, une journée sera consacrée à une frange de la population. Par exemple le 2 février ce sera le jubilé des enfants ; le 11 février celui des malades, le 10 avril celui des réfugiés… Parfois ce sera vraiment drôle le 29 octobre pour les sportifs, une messe au stade olympique, parfois pathétique avec le jubilé des militaires et de la police le 19 novembre. Mais le summum sera atteint le 1er Mai avec le jubilé des travailleurs. Les curetons vont s’approprier ce symbole du mouvement ouvrier.

Les anarchistes adversaires de tout dogmatisme, de l’obscurantisme religieux ne pourront rester inactifs face à cette offensive cléricale.

Organisons une riposte à la hauteur de l’événement.


35 heures : l’année de tous les dangers

De nombreux articles parus dans notre hebdo préféré ont déjà caractérisé la loi des 35 heures, dite loi Aubry. À savoir : une arme redoutable contre les salariés. Rappelons pour mémoire les éléments principaux. Tout d’abord la loi Aubry utilise une revendication historique des travailleurs, la réduction du temps de travail, pour la détourner totalement au plus grand profit des patrons.An 1936, alors que la pression sociale est très forte (le ministère du Travail recensera en juin 12347 entreprises en grève !) la loi du 29 juin instaure les 40 heures réparties sur cinq jours dans la majorité des cas, limite l’amplitude horaire, fixe des règles collectives et affirme clairement qu’" aucune diminution de salaire et accessoire " ne pourra être occasionnée du fait de cette réduction.

Vous avez dit floués ?

[ image cassée : Attention au passage des 35h ]

La loi Aubry, c’est l’inverse. Elle pousse à la " modération salariale " dans le meilleur des cas, et souvent à la réduction des salaires. Elle casse les conventions collectives au profit des accords d’entreprise, elle légalise la flexibilité et l’annualisation.Avec le fameux slogan : " 8 heures, 8 heures de repos, 8 heures de loisirs ", les travailleurs cherchaient, dès la fin dernier, à arracher aux patrons un peu de temps pour leur vie privée. Avec la loi Aubry, les salariés sont au contraire sont au contraire, dans nombre de cas, soumis bien plus qu’avant aux exigences patronales (travail le samedi, amplitude horaire accrue, vacances imposées, délai de prévenance très court…) au détriment de leur vie personnelle, de leur santé.A Rennes, un mouvement social a été particulièrement significatif : celui des chauffeurs de bus de la STUR (Société de transport urbain rennais, groupe Paribas). Pendant 12 jours, en novembre dernier, ils ont été en grève totale… La raison : le respect d’un accord datant de 1982 sur les 35 heures. 16 ans plus tard, en effet, la direction, et Edmond Hervé, maire PS, entendait leur imposer la loi des 35 heures façon Aubry. Le conflit s’est concentré sur la comptabilisation du temps de travail et sur la remise en cause du temps de navette (temps passé entre le dépôt et le départ des lignes). C’est que le loi Aubry entend décompter le " travail effectif ". Comme le disait un des chauffeurs : " ils vont bientôt nous décompter le temps d’arrêt au feu rouge ! " Au terme des 12 jours de grève, les chauffeurs rennais ont gagné contre le loi Aubry.À EDF, par contre – la presse en a fait grand bruit – tous les syndicats ont signé un accord sur les 35 heures. Que prévoit-il ? Tout d’abord que la mise en œuvre de la réduction du temps de travail se fera dans le cadre des accords locaux. Il y a 200 centres EDF en France. C’est la fin du statut national des électriciens et gaziers. Ensuite, quand on regarde dans le détail l’accord, on constate, malgré les principes affichés, qu’il s’agit bel et bien d’un accord de baisse des salaires : " programmation maîtrisée des rémunérations ", si l’on utilise leur propre formulation.

L’accord insiste aussi sur le fait que " toutes les formes d’aménagement du temps de travail sont envisageables " : flexibilité, annualisation, demandez le programme !L’accord, entre autres joyeusetés, propose aussi de disposer en permanence à EDF de 1500 jeunes en formation en alternance. C’est-à-dire une main d’œuvre gratuite de jeunes, taillables et corvéables à merci, mis à disposition par l’Éducation nationale.Enfin, tous comptes faits (retraite, temps partiel) on aboutit, dans les trois ans à venir, à l’inverse des effets d’annonce, à un solde négatif d’emplois en équivalent temps plein (1).

Bilan et perspectives

Un premier bilan, d’ailleurs, commence à être tiré par les politiciens huit mois après la publication de la loi : quelques milliers d’emplois créés, tout au plus, Même Jospin se déclare " un peu déçu ".Il faut dire que malgré le soutien sans faille des médias, de la CFDT bien sûr, et maintenant de la direction de la CGT, cela grince à la base, c’est le moins que l’on puisse dire.Les débrayages) Peugeot-Sochaux et la pression des salariés pour empêcher la signature d’un accord sur les 35 heures, ont placé quelques bureaucrates syndicaux en mauvaise posture. Dans la chimie, tous les syndicats, hormis la CFDT, ont refusé le texte proposé. Et il n’est pas dit non plus que les 35 heures passent comme une lettre… à la poste.Face à cette résistance, le patronat réclame la promulgation rapide de la seconde loi Aubry, censée combler les trous de la première loi " gruyère ", qui laisse encore trop de place, selon eux, aux derniers acquis des salariés. Il sera significatif, notamment, de voir comment le problème du SMIC sera abordé. On peut craindre le pire, surtout dans le cadre de l’Euroland. Reste le chantier de la fonction publique. La loi Aubry prévoyait d’ailleurs dans son article 14 : " dans les 12 mois suivant la publication de la loi, le gouvernement présentera au parlement un rapport sur le bilan et les perspectives de la réduction du temps de travail pour les agents de la fonction publique ".Rien de tel d’abord qu’une bonne campagne de presse pour préparer le terrain. Et de nous expliquer à longueur d’articles et d’interview de doctes " spécialistes ", que les fonctionnaires et assimilés, ces fainéants, ont un temps de travail effectif bien inférieur à 35 heures ! Et d’ajouter qu’il serait bien injuste que les principes de la loi Aubry ne s’appliquent pas à la fonction publique. Si l’on ajoute le problème des retraites, le cocktail dans ce secteur pourrait être détonnant !

Fabrice — groupe La Commune (Rennes)


Informatique : un outil à ne pas mettre entre toutes les mains

seconde partie

Les fichiers sensibles, on peut dire que les gouvernements qui les ont mis en place ne sont pas spécialement marqués de droite ou de gauche : sur la question répressive les deux se rejoignent de plus en plus. Il en est ainsi des fichiers cités plus haut mais aussi du traitement des étrangers en France et en Europe et d’un ensemble de fichiers ou d’interconnexions de fichiers concernant les étrangers : en terme de fichage les étrangers font aussi l’objet d’un traitement à part. Ainsi, en 1981, alors que les socialistes prenaient sous la pression de défenseurs des droits de l’homme la décision d’interdire la carte d’identité informatisée, ils l’autorisaient pour le contrôle des travailleurs immigrés : de fait, les résidents étrangers en France furent dotés d’une carte de séjour plastifiée et informatisée bien avant que les Français n’aient leur carte d’identité informatisée. En 1982, le fichier mis en œuvre par les Renseignements généraux dénommé VAT (violence, attentats, terrorisme) comportait dans sa version initiale pour décrire les caractéristiques physiques des suspects un code signifiant : type nordique, type africain, type méditerranéen, type asiatique et type israélite.

[ image cassée : Bientôt le fichage génétique ]

Les travaux de Schengen commencés en 1985 et autant assumés par la gauche social-démocrate que par la droite libérale donnèrent entre autres résultats le SIS (système d’information Schengen) avec quelques fichiers en rapport avec les étrangers. Le fichier des étrangers " indésirables " dans tout l’espace Schengen fut l’un des premiers mis en service. Les fichiers du SIS sont disponibles pour toutes les polices européennes. Avec la politique commune de visas, on peut se rendre compte de l’importance de l’interconnexion des fichiers et de l’efficacité du système mis en place par la France, le RMV (réseau mondial visas). Un étranger demande un visa pour venir en France : sa demande est traitée par le consulat de France, Une requête informatique est envoyée via une ligne téléphonique au ministère des Affaires étrangères en France, celle-ci envoie une nouvelle requête informatique pour interroger le ministère de l’Intérieur qui va lui-même interroger le fichier Schengen des étrangers indésirables. Tout cela est automatisé. Si aucune intervention humaine n’est nécessaire, ça tend une durée de quelques minutes, voire de quelques secondes. Dans le cas d’un refus du fait de l’inscription dans le fichier des personnes indésirables, c’est effectivement automatique.

Quand la modernité informatique rencontre les préjugés racistes…

En 1990, au moment de la réorganisation de l’OFPRA (office français de protection des réfugiés et apatrides), fut prise la décision de stocker et traiter les empreintes digitales des demandeurs d’asile dans le but d’éviter les demandes d’une même personne sous des noms multiples. Cela fait penser au sinistre tatouage des esclaves qui se pratiquait officiellement jusqu’au siècle dernier.

En 1993, Balladur et Pasqua ouvrent la voie à la connexion entre fichiers des organismes sociaux (CAF, ASSEDIC, URSSAF) et ceux du ministère de l’Intérieur (préfectures, SIS) : le but est bien sûr de rayer des bénéficiaires des prestations sociales les personnes radiées du droit au séjour, dont une certaine imagerie populiste affirme qu’elles " ne font rien que manger le pain des Français ". Autre effet de cette interconnexion de fichiers, c’est de transformer les employés de ces services sociaux en délateurs : à ce jeu, certains sont particulièrement zélés.Ainsi, l’ordinateur est un outil de premier choix dans le système du soupçon fait institution, soupçon dont les objets sont l’étranger et le précaire, accusés de profiter sans vergogne des aides sociales et de menacer ainsi les grands équilibres économiques qui font la grandeur du pays ou l’identité culturelle de la France profonde. A chaque campagne médiatisée de l’une ou l’autre des composantes politiques contre " l’invasion étrangère " contre " toute la misère du monde que la France ne peut accueillir ", il s’ensuit de nouvelles lois, elles-mêmes mises en application au travers de nouveaux fichiers de contrôle des populations. Les idées les plus archaïques disposent des outils les plus modernes.

Les tendances

Avec la montée en puissance exponentielle des outils informatiques, de leur vitesse de traitement et de leur capacité de stockage d’informations, les possibilités de fichage des populations sont multipliées. Plusieurs tendances se dégagent :

  • les coûts informatiques ne sont plus un obstacle au fichage des populations.
  • l’interconnexion entre fichiers est rendue possible avec la puissance des réseaux informatiques.
  • la masse et la diversité des informations stockées s’accroît considérablement.

Cela permet un contrôle plus fin des personnes. Il est alors possible de constituer des banques de données comportementales. Les cibles de ces banques de données sont d’une part les consommateurs, personnes solvables et d’autre part les personnes sensées présenter des risques en terme financier ou sécuritaire.Pour ces derniers, on voit donc apparaître des fichiers pour exclure (personnes à risques), des fichiers pour gérer les exclus (recouvrement des impayés, échanges d’informations dans le cadre du RMl) et des exclus sortir de fichiers (radiations de l’ANPE). À tous les niveaux, on constate une multiplication de fichiers les concernant : fichiers de mauvais payeurs, fichiers de débiteurs, etc.

Globalement, cet ensemble de données fournit une caractérisation des comportements très poussée. Pour les consommateurs, des études de marché permettent de déterminer la corrélation entre des caractéristiques sans lien apparent (qui achète du PQ parfumé achètera un téléphone portable, nouveau dicton) : les résultats de ces enquêtes se vendent cher.Pour les populations dites à risques, on peut parler de phénomènes identique d’enquêtes à but comportemental. On peut penser notamment à l’ensemble des fichiers informatiques qui concerne les personnes précaires , notamment les allocataires du RMI et des enquêtes faites autour de ces populations. Par ailleurs, pour la région parisienne, il a été mis en service un nouveau fichier de gestion des violences (GEVI), qui concerne " toutes les violences urbaines, et pas seulement le terrorisme ". Ce fichier qui a eu le feu vert de la CNIL comporte des indications sur les signes physiques " objectifs et inaltérables " comme la couleur de la peau. Quant aux moyens techniques des services de l’identité judiciaire et de la police scientifique, ils ont toujours plus puissant (bien que les fonctionnaires de ces services trouvent que cela ne va pas assez vite) ; avec les moyens donnés par la génétique, il est facile de confondre ou innocenter quelqu’un aujourd’hui : des voix s’élèvent pour mettre en place un tel fichage pour les délinquants sexuels. Avec un tel système, il serait possible de retrouver l’identité d’une personne avec un fragment de cheveu, une goutte de sang ou une trace de sperme. On sait pourtant que les réponses policières aux cas de délinquance extrême sont peu à peu entrées dans le domaine commun. Le danger de ce genre de fichier est donc extrême pour les libertés individuelles.

Ainsi, la tendance est, au-delà du fichage signalétique, à un fichage qui donne aux pouvoirs les éléments d’une prévision du comportement des personnes dans des situations données. Lors de l’affaire de la vache folle, on a parlé de " traçabilité " (suivre pas à pas les circuits empreintés par les aliments et la viande). Ce concept issu de l’industrie est en train de prendre de l’importance dans la gestion des populations, notamment avec les demandeurs d’asile où l’administration s’intéresse de près aux circuits ou filières qui ont permis à ces personnes de venir en Europe.

Une autre tendance est la privatisation des fichiers informatiques avec la vente par des entreprises privées ou publiques (Télécom, service des cartes grises, etc.) de fichiers et donc d’informations. On retrouve ainsi des informations entre les mains d’organismes qui peuvent s’en servir pour d’autres usages que ceux initialement prévus et sans que les intéressés soient prévenus. Cette banalisation des données est rendue possible par le phénomène Internet, ainsi que par la sous-traitance (dépouillement du prochain recensement par des sociétés privées qui devront en principe détruire les fichiers en fin d’opération).

L’informatique peut apporter aux personnes qui composent la société, à condition que ses traitements soient universels et respectueux de la liberté et de l’égalité des personnes. Évidemment, ce n’est pas l’informatique qui crée les discriminations, mais bien les pouvoirs que se servent de cet outil. Pour en arriver à une informatique respectueuse des personnes, il faut changer le système. En attendant, il est nécessaire de dénoncer, chaque fois qu’un cas est connu, le caractère liberticide et différentialiste de tel ou tel fichier informatique. En particulier, la balle est d’une part dans le camp des personnes cibles des logiciels informatique (mais comment faire quand on est dans la situation d’être dans ces petits souliers, face à la police, à la justice ?), d’autre part chez les professionnels de l’informatique (information et utilisateurs) qui devraient collectivement remettre en cause certaines applications : une opération de désobéissance civile.

Hervé


CGT : une courroie de proposition ?

Le récent congrès de la CGT fut, comme on s’en doutait, sans surprise, et achève une évolution dont l’une des étapes significatives fut, en décembre 1995, lors du 45e congrès, le retrait des statuts de la confédération de l’objectif de " suppression de l’exploitation capitaliste ". Un tiers des délégués avait voté contre cette décision.Soucieuse de se restructurer et de s’adapter aux normes européennes, afin d’être admise dans la Confédération européenne des syndicats, la CGT a quitté la Fédération syndicale mondiale lors de ce même congrès.Le congrès de la semaine dernière s’inscrit totalement dans cette perspective et a confirmé la volonté de la direction confédérale de s’inscrire dans un syndicalisme dit " de proposition ". C’est pourquoi il nous semble utile de dire quelques mots sur ce contexte européen qui a largement déterminé les débats.

Temps nouveaux, syndicats nouveaux

[ image cassée : rapprochement C.G.T-C.F.D.T ]

Du 5 au 7 février 1998 a eu lieu une conférence organisée par la Confédération européenne des syndicats, intitulée " Temps nouveaux, syndicats nouveaux ". Les principaux thèmes qui reviennent constamment dans le discours syndical revu et corrigé version Europe capitaliste tournent autour de la nécessité, pour les syndicats, d’" adapter leurs structures ". " La modernisation des syndicats est absolument indispensable Il faut parvenir à un débat offensif ", déclara un des participants. " Nous voulons faire en sorte que les syndicats puissent aider l’Europe. […] Est-ce que les syndicats peuvent contribuer à la cohésion sociale ? " Selon ce participant, " les syndicats ont des structures qui correspondent au monde du travail des années 50 et 60 ". Il faut que les syndicats nationaux s’européanisent. (Reiner Hoffmann, directeur de l’ISE.)Les syndicats sont de plus en plus gérés comme des entreprises, l’exemple de la CFDT étant particulièrement significatif, où Nicole Notat exige de ne pas être tutoyée par ses proches collaborateurs. Le recrutement syndical consiste à convaincre les travailleurs à s’insérer dans une relation de collaboration avec les employeurs : " Nous voulons faire en sorte que les syndicats puissent aider l’Europe. […] Est-ce que les syndicats peuvent contribuer à la cohésion sociale ? " dit l’un des participants à cette conférence (Reiner Hoffmann). Dans cette perspective, le syndicaliste est un marchand qui vend un mode de relation au travail au même titre qu’une agence de voyages vend un mode de vacances.

Rentabilité syndicale

Il ne faut pas s’étonner si, par conséquent, la rentabilité syndicale fait son entrée dans le monde du travail : " Un syndicat, ça coûte cher. C’est pour cela qu’aux Pays-Bas il y a des fusions de syndicats. Avec les fusions, on peut offrir des services (sic) que l’on ne pouvait pas avant. C’est la rationalisation comme les banques le font " (Jelle Visser, Université d’Amsterdam). Un syndicat n’est donc plus une organisation dans laquelle les travailleurs, comptant sur leurs seules forces, se rassemblent pour lutter, mais un prestataire de services et, comme tel, soumis à des considérations de rentabilité.

Ceux qui ne partagent pas cette optique sont stigmatisés pour leur archaïsme : " Dans les réunions de comité de groupe, il y a des syndicalistes purs et durs qui ne sont pas à un niveau de compréhension terrible. C’est vraiment une barrière qu’il faut lever " (Bernadette Tesch-Segol, EURO-FIET, Bruxelles). Ces syndicalistes " purs et durs " sont sans doute ceux qui s’obstinent à ne pas adhérer aux nouvelles normes du bien-penser néo-libéral.Ce genre de déclaration est évidemment relayé par un représentant de la CFDT : " Il y a une première vision profondément liée à un syndicalisme limité à la contestation, qui rentre très peu dans les négociations et les compromis et qui est opposé à la conception de la CES. Et il y a l’autre vision liée à la CES ", celle de la CFDT, évidemment. Le " méchant " stigmatisé par le représentant de la CFDT est évidemment la CGT, qui fait pourtant de gros efforts pour se mettre aux normes.

[ image cassée : Photo de Louis Viannet ]

La principale préoccupation de ces syndicalistes européens semble de se conformer aux exigences patronales en matière d’organisation du travail, particulièrement pour ce qui concerne la flexibilité : ainsi, Giuseppe Casadio (CGIL, Rome) déclare-t-il qu’" il faut dépasser de façon définitive le conflit idéologique sur la flexibilité du travail. Il y a des éléments positifs qu’il faut savoir utiliser dans ces nouvelles formes de travail. Il est évident que ce n’est pas facile pour l’ouvrier qui a fait 30 ans le même travail. Cela affectera à terme les structures des syndicats ". Il ajoute : " la flexibilité peut avoir un côté positif, y compris pour les travailleurs ". Reinhard Kuhlmann (FEM Bruxelles) " La décentralisation et l’européanisation, ce n’est pas une contradiction. " Dans le secteur métallurgique " nous sommes tombés d’accord de ne pas mettre l’horaire hebdomadaire mais l’annualisation. Nous travaillons à définir un temps de travail par an qui servirait de référence pour les négociations collectives décentralisées. "

Tout cela va avoir des conséquences importantes dans l’activité syndicale quotidienne et dans l’organisation : " Il y a le problème de la coordination de la rémunération. L’Euro va retirer les négociations des rémunérations du niveau local. Nous voulons mettre en œuvre des négociations collectives régionales. La Rhénanie du Nord, les Pays-Bas, la Belgique travaillent ensemble en mettant en réseau leurs négociations. Le transfert du niveau régional vers le niveau européen doit se faire. " " Décentralisation et européanisation ne sont pas contradictoires, ce sont les deux faces d’une même médaille. " (Reinhard Kuhlmann.) De cette façon, se trouve légitimée la fonction de super-bureaucrate syndical.

Centralisation accrue

[ image cassée : Si t’es pas sage… ]

Autrement dit, l’initiative de l’action va devenir de plus en plus centralisée, avec pour corollaire la centralisation accrue des moyens financiers : les structures de base du mouvement syndical n’auront plus aucun moyen d’action. Jean Lapayre (secrétaire général adjoint de la CES) : " Le syndicalisme est défenseur de l’intérêt général et pas seulement des salariés qu’il représente. " Lapayre semble oublier qu’en principe, un responsable syndical est censé avoir été élu et qu’à ce titre il est censé représenter ses électeurs et leur rendre un tant soit peu de comptes. Mais il vaut mieux ne pas trop chercher comment le camarade Lapayre a été nommé à son poste.En langage décodé, cela veut dire que seuls les dirigeants syndicaux de haut niveau, c’est-à-dire au seul niveau européen, sont habilités à décider ce qui est l’intérêt des travailleurs, et que toute décision, toute initiative concernant l’activité syndicale relève de la seule compétence des dirigeants : les syndiqués de base se voient retirer toute capacité de décision. Un mouvement revendicatif, ou la moindre initiative qui n’auront pas l’aval de la direction seront par conséquent condamnés parce qu’ils ne correspondront pas à l’idée que se font les dirigeants de " l’intérêt général " des travailleurs.

Une telle centralisation des décisions ne semble pas se faire sans tiraillements : " Il y a le problème du transfert de pouvoir. […] Je comprends que l’IG-Metall ait du mal à transférer des pouvoirs à la CES. "Les modifications de l’organisation des syndicats consistent à aligner ces derniers sur l’organisation étatique : " Les États sont en train de voir certaines parties de leur souveraineté transférées au niveau européen. Si nous voulons être conséquents, le mouvement syndical doit voir certaines parties de sa souveraineté transférées au niveau européen. C’est au niveau européen qu’il nous faut un transfert des responsabilités. " (Emilio Gabaglio, secrétaire général de la CES.)

La tentation d’adapter les structures des confédérations syndicales aux nouvelles formes d’organisation administrative et aux regroupements ministériels ne s’arrêtent pas aux frontières étatiques. Les regroupements des fédérations professionnelles sont en préparation à tous les niveaux, s’adaptant au mouvement de libéralisation des marchés, laquelle libéralisation implique la disparition des obstacles que constituent les conquêtes sociales acquises la plupart du temps de haute lutte.Ainsi, selon News Internationale des communications, quatre secrétariats professionnels internationaux, l’Internationale des communications (IC), la fédération internationale des employés et techniciens (FIET), la fédération graphique internationale (FGI), et l’Internationale des médias et divertissements (sic) (MEI) étudient la création d’une nouvelle Internationale pour " les services, les communications, les médias et les cadres ". Le but visé est de " se donner la capacité d’améliorer les services aux adhérents ", aux niveaux mondial et régional, en créant un siège central commun, en travaillant ensemble dans les régions, en partageant la technologie de l’information, les systèmes en matière de finances et d’administration.Il s’agirait ainsi de " renforcer la voix des travailleurs dans les institutions mondiales et dans les structures régionales de collaboration économique ".

S’adapter aux structures mondiales, se couler dans les structures régionales " dépassant " les conventions collectives et accords de branche nationaux, participer aux organisations de collaboration économique, cela a évidemment peu à voir avec le syndicalisme indépendant, s’appuyant sur les acquis sociaux professionnels et interprofessionnels pour les étendre. On peut aisément deviner que s’il y a une normalisation, au niveau européen, en matière d’acquis sociaux, elle ne se fera pas à la hausse sur les exemples les plus avantageux pour les travailleurs…

Le projet de la CGT : réduire le nombre de fédérations

Le projet de la direction confédérale CGT s’inscrit totalement dans cette évolution. Comme le dit Bernard Thibault, le successeur de Louis Viannet, " il faut accélérer le processus de renouveau syndical " (Cité par Le Monde, 30 mai 1998).

Dans Le Peuple, le mensuel de la CGT (nº 1475-1476, 25 mars 1998), on apprend qu’on ne peut pas " éviter de poursuivre nos réflexions sur la notion de syndicat interprofessionnel ".Cette restructuration implique en particulier la réduction du nombre des fédérations, ainsi que la remise en cause du concept de convention collective : " La référence aux conventions collectives et aux accords collectifs constitue un des critères fédératifs essentiels ", lit-on. Mais " ces situations ont fortement évolué dans le temps du fait des transformations d’organisation économique – du développement des groupes notamment –, du développement d’activités nouvelles, des transformations d’activités traditionnelles ". " Dans cette perspective, la commission considère qu’il faut procéder à une révision des champs d’activités sur lesquels sont adossés les regroupements fédératifs. " " Une telle révision […] aura pour résultante la réduction du nombre de fédérations et le redimensionnement de celles-ci. "

Partant d’un constat réel – la constitution de secteurs importants du salariat dont la physionomie ne ressemble plus du tout au salariat habituel (ce qu’un participant à la conférence de février appelle " travail atypique "), la direction confédérale envisage de restructurer l’organisation afin que son champ de recrutement puisse toucher ces " travailleurs atypiques " ; mais dans ce processus elle remet en cause non seulement les modes d’organisation des secteurs de travailleurs " non atypiques " qui avaient prouvé leur efficacité, mais aussi leurs statuts et leurs conventions collectives, qui sont menacés dans tous les secteurs par la politique européenne. On peut donc être inquiet devant ces " révisions des champs d’activité " des fédérations.Quant aux unions locales et départementales, " les formes du déploiement économique, social, et le décisionnel des activités donnent à la fois une dimension plus large (Europe, monde) et plus locale (bassin d’emploi). " On retrouve le discours syndical européen new look de la conférence organisée par la Confédération européenne des syndicats. Selon Le Peuple, " le niveau décisionnel départemental n’est plus ni aussi effectif ni aussi lisible ".

" La construction européenne contribue à renforcer encore cette dimension régionale, via les politiques structurelles. Au total, n’y a-t-il pas besoin de transformer les structures territoriales de la CGT ? "

Les enjeux réels de cette évolution sont efficacement masqués par un membre de la commission exécutive confédérale, qui noie le poisson sous du verbiage moderniste incompréhensible : " Nous avons à nous débarrasser de notre conception reposant sur la centralité, l’élaboration à divers niveaux d’une pensée commune (ou unique) ciment de notre activité syndicale. La construction par le revendicatif, la pratique syndicale nouvelle dans des rapports nouveaux interactifs et complexes, la mise en commun de nos diversités, mettant en cause notre fonctionnement vertical et horizontal, interpelle le fonctionnement confédéral. "On a l’impression que la négociation pour la négociation, sans établissement d’un rapport de force, devient une vertu et que le fait de signer des accords, n’importe quel accord, même sans aucun contenu, est une preuve de bonne volonté de la part de l’organisation syndicale.Les conventions collectives sont menacées dans tous les secteurs par la politique européenne. On peut donc être inquiet devant ces " révisions des champs d’activité " des fédérations.Quant aux unions locales et départementales, " les formes du déploiement économique, social et le décisionnel des activités donnent à la fois une dimension plus large (Europe, monde) et plus locale (bassin d’emploi) ". " Le niveau décisionnel départemental n’est plus ni aussi effectif ni aussi lisible. "

" La construction européenne contribue à renforcer encore cette dimension régionale, via les politiques structurelles. Au total, n’y a-t-il pas besoin de transformer les structures territoriales de la CGT ? "Il s’agit de l’adaptation de la CGT aux normes syndicales européennes : réformes structurelles exigées par Bruxelles. " Ces évolutions doivent amener à transformer l’approche de la "confédéralisation". "Un membre de la commission exécutive confédérale : " Nous avons à nous débarrasser de notre conception reposant sur la centralité, l’élaboration à divers niveaux d’une pensée commune (ou unique) ciment de notre activité syndicale. La construction par le revendicatif, la pratique syndicale nouvelle dans des rapports nouveaux interactifs et complexes, la mise en commun de nos diversités, mettent en cause notre fonctionnement vertical et horizontal, interpelle le fonctionnement confédéral. " " Au-delà du charabia moderniste, il faut comprendre que le temps est venu de confier l’avenir du syndicalisme aux technocrates. "On pouvait lire dans Liaisons sociales (18 septembre 1998) que la CFDT, " qui discerne des évolutions dans le discours cégétiste sur l’Europe ", n’a pas d’opposition de principe à l’adhésion de la CGT à la CES, laquelle doit intervenir en 1999, avant ou après le congrès d’Helsinki. Mais " Nicole Notat entend tout de même 1) être assurée d’un pacte de non-agression entre organisations françaises ; 2) vérifier que tous les ponts sont coupés entre la CGT et la FSM ; 3) être éclairée sur les relations de Jean-Pierre Page, directeur du département international de la CGT, avec quelques opposants de la CGIL et des Commissions ouvrières ; 4) être sûre que le discours de Bernard Thibault sera celui de Louis Viannet. "On est en droit de se demander si les interrogations formulées dans un communiqué signé Comité intersyndical du Livre Parisien (1) du 19 octobre 1998, mentionné par Le Monde du 23, ne sont pas fondées :" Que ce soit au niveau syndical ou à celui des organismes sociaux, la mode est à "dépasser" les conventions collectives ou les acquis sociaux au nom de l’intégration dans l’Europe capitaliste. On peut aisément deviner que s’il y a normalisation au niveau européen en matière d’acquis sociaux, ce ne sera pas à la hausse." Candidate à l’entrée dans la Confédération européenne des syndicats, la CGT est véritablement devenue l’otage de la CFDT qui, longtemps farouchement hostile à l’entrée de la CGT dans la CES, a enfin déclaré, le 18 septembre dernier, n’y avoir "pas d’opposition de principe"." On est en droit de se demander quel prix la direction confédérale a payé pour cette concession… "

Raoul Boullard


Faits d’hiver

Ni Dieu ni maître d’école !

C’est un fait, le ministre actuel de l’Éducation nationale n’est pas très porté sur la psychologie et à force d’éructer à tous vents comme un adjudant-chef en rut, de rudoyer les derniers hussards rosâtres de la république et de jouer au Zorro " libéral-libertarien " (et que j’te résous le problème de l’échec scolaire en remplaçant les profs par des surveillants RMIsés et les surveillants par des emplois-jeunes smigisés… because la loi du marché), il a réussi à se mettre tous ses administrés à dos.

Ici, là où ailleurs, les hobereaux des classes prépas du SNES et jusque aux manants ordinaires de l’enseignement qui font ce qu’ils peuvent pour des salaires n’ayant rien à voir avec ceux de certains de leurs " collègues ", ont donc sorti les fourches et tentent de nous faire croire que leur jacquerie (" Allégre-démission ") relève de la légitime défense du service public d’enseignement et de l’école de l’égalité des chances.

C’est ainsi qu’une enseignante de Pau a récemment laissé parler son cœur sur une demi-page du quotidien Sud-Ouest et s’est exclamé : " A-t-on déjà vu un ministre de l’Intérieur insulter les policiers dans la presse ? "Fi donc !

Il est des comparaisons et des arguments dont le combat pour un véritable service public laïque, d’enseignement et d’éducation et pour une authentique école de l’égalité des chances, gagnerait assurément à se passer !


SNCF

Mépris de la CGT dirigeante contre les salariés du CCE

A l’époque, nous étions quelques uns à avoir dénoncer la reprise de la gestion des activités sociales aux mains des syndicalistes. Le Monde libertaire a déjà fait l’écho des problèmes rencontrés par ces salarié(e)s. Cela continue. Les grèves passées n’ont pas assaini les relations puisque celles-ci ne sont pas au beau fixe. Elles sont même exécrables. L’attitude de certains dirigeants est méprisante a leurs égards. La hiérarchie est omniprésente. Si on osait la comparaison les patrons d’avant l’année 68 étaient des agneaux !

Concernant directement leurs revendications. Elles se situent principalement autour une augmentation de salaire puisque le SMIC est la règle. Elle a bien voulu négocié après 4 jours et demi de grève mais pour leur proposer, tenez-vous bien !, 38 francs par mois mais qui en fait était financé par la SNCF sur la prime de vacances. Elle est soutenue par Sud Rail et la CGT section syndicale des employés du CCE. Ils ou elles demandaient également un 13ième mois et demi sur la feuille de paie de juin et décembre, une reconnaissance des diplômes et de l’expérience, la réduction du temps de travail sans perte de salaire, aucun jours de carence, des horaires individualisés.

Par ailleurs, les salarié(e)s du CE de Paris Sud Est se sont mis en grève aussi toujours pour une histoire de salaires. La commission paritaire ne leur attribue que 1,74 % alors qu’ils ou elles réclament 3 %. Une pétition circule. Mais à cause d’une mauvaise entente entre la CGT et SUD-Rail, le mouvement fut consommé. Ne nous laissons pas manipuler, autogérons nos luttes.

Pascal Jourdain
Jean-Marc Raynaud


Allègre fait du neuf avec du vieux

À l’orée du XXIe siècle […] l’école de la République doit faire face à de nouveaux défis…

Pour les relever, les auteurs de ce préambule, Claude Allégre, ministre, et sa consœur Ségolène Royal viennent d’avoir une nouvelle idée : " une charte pour bâtir l’école du XXIe siècle ".Cette charte se fixe trois objectifs : un, élaborer de nouveaux programmes pour l’école élémentaire ; deux, modifier l’organisation de la journée scolaire ; trois, " repenser le métier de professeur des écoles ". Pour mettre en œuvre ces objectifs, Claude Allégre a remobilisé ses troupes. Philippe Merieu, l’actuel directeur de l’Institut national de la recherche pédagogique, va piloter l’opération.

[ image cassée : Allegre sanctionné ]

Dans une première phase, deux mille écoles " volontaires " vont expérimenter la charte, dès septembre 1999. À terme, ce sont toutes les écoles qui devront s’inscrire dans ce " processus d’innovation pédagogique ".À cette occasion, Claude Allègre et Ségolène Royal réaffirment les missions de l’école élémentaire : " apprendre à parler, lire, écrire, compter ". Pas question pour eux d’envisager ces apprentissages sur le modèle allemand : " Il ne doit pas y avoir une matinée avec cartable et une après-midi sans cartable ". Ils insistent sur le rôle de l’enseignant et s’appuient sur les théories de développement intellectuel de l’enfant pour conclure sur le fait que " la distinction du matin et du début de l’après-midi porte souvent davantage sur le style et la forme d’enseignement que sur une question de hiérarchie entre disciplines sur le plan de l’activité cérébrale… "Ce seront donc toujours les professeurs des écoles qui auront la responsabilité des activités proposées sur le temps scolaire. Journée scolaire qui peut débuter dans certaines écoles à 8 heures pour s’achever à 18 heures ou 18 h 30…

Les programmes de l’école élémentaire devront prendre en compte " un des acquis déterminants de cette fin de siècle : la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans ". Ils porteront plus sur des " objectifs " à atteindre que sur des " suites d’instructions rigides ". Et, point port de la charte sur ce sujet : " on ne peut plus penser les programmes de l’école indépendamment de ceux du collège ".

Dernière prétention : celle de repenser " le métier de professeur des écoles "… La charte, sur ce chapitre, est très explicite : l’instituteur a disparu, voici maintenant le prof chef d’équipe : " Désormais, son rôle est double : il dispense l’enseignement et il participe à la coordination d’une équipe. "Puisqu’il est et sera le responsable pédagogique, le professeur des écoles organisera l’activité des aides-éducateurs, éducateurs sportifs, intervenants extérieurs. Claude Allègre entérine ainsi une situation tout à son avantage et sans dépenser un sou.Inutile de créer des postes d’enseignants puisqu’il y a des aides-éducateurs et du personnel culturel et sportif " rémunérés par les villes et les associations ". Il va même jusqu’à employer la formule " d’adultes en surnombre " y voyant " une condition essentielle pour améliorer la qualité des rythmes de l’élève à l’école ". Les professeurs ayant la responsabilité pédagogique d’une classe de 30 élèves en cours préparatoire apprécieront l’expression !

À y regarder de près la charte pour le XXIe siècle n’apporte rien de bien nouveau. La seul innovation est l’institutionnalisation des personnels précaire : les aides-éducateurs. Quant à l’embauche d’enseignants supplémentaires, il faudra attendre quelques millénaires encore…

Alain Dervin — groupe Pierre Besnard (Paris)


Du travail et de sa valeur

S’il est une question de fond qu’a soulevé le mouvement des chômeurs, c’est bien la question du travail et de sa valeur. Aujourd’hui, deux grandes positions s’alffrontent. D’un côté, les défenseurs du travail comme valeur première sur laquelle repose la société des humains, de l’autre, ceux qui pensent que si l’Homme était sur Terre pour trimer, il n’aurai pas inventé la roue et qu’en réalité, l’Homme a toujours cherché à améliorer l’outil pour augmenter son rendement et alléger la peine du travail humain .

Il est vrai qu’on a du mal à imaginer des travailleurs réclament plus d’heure de travail et plus de pénibilité. Ni de salariés faire des heures sup par plaisir.A l’intérieur de ce " courant " d’opinion, il y a bien sûr les incontournables zozos toujours prompts à se servir, à rejeter, refuser mais jamais à construire. Il y aussi ceux qui — anarchistes ou pas — réfléchissent à la question et ont des tas d’idées, de pistes parfois très pertinentes, parfois discutables qui ont le mérite d’aborder courageusement le problème en face : la société du travail, de la production, de la croissance n’a plus d’avenir ; il faut changer d’urgence les règles du jeu social.

Des choix de société sont à faire. De plus en plus de gens conscients voient bien que ce système nous mène vers un chaos. Les anarchistes ont toute leur place à prendre dans ce grand débat.Nous savons bien que la production et la consommation sont organisés selon des règles échappant à tout bon sens, à toute rationalité et que c’est là qu’il faut intervenir d’urgence.Réorganiser la production et la consommation en fonction des besoins collectifs et individuels est une nécessité vitale.

Nous savons bien que l’épanouissement de l’individu ne passe pas par une vie abrutissante faites d’études à marche forcée, de salariat voleur de temps et d’énergie ou de chômage. Il faut créer des emplois, certes, mais il faut aussi en supprimer ailleurs. Combien d’individus sont-ils employés à des tâches inutiles voire nuisibles Police, armée, personnel pénitencier… La liste est longue des emplois qui n’existent que parce que le système est ce qu’il est et à besoin d’administrations ficheuses et fliqueuses pour garder le troupeau et tondre les moutons.Que d’individus libérés ainsi pour des taches plus utiles ! Que de bras pour partager ces tâches ! Que de temps gagné et de stress en moins pour s’épanouir !

Cette société ne tient plus debout. La démocratie n’est qu’une coquille vide de toute substance. Son peuple souverain est sous le joug de la classe possédante par l’action de représentants qu’il a désigné aveuglément, privé de tous moyens d’information sérieuse, de temps pour réfléchir, analyser pour exercer cette fameuse souveraineté.

Un peuple qui aurait le temps de réfléchir deviendrait vite ingouvernable… Les tenants du pouvoir le savent bien, ils ne souhaitent pas qu’on mette de trop près le nez dans leurs petites affaires.Il en est même qui — comme Bourquin président du conseil général des Pyrénées Orientales — préconisent le travail obligatoire pour les RMIstes. Jospin déclarait sur France 3 l’hiver dernier : " J’ai dit que je voulais une société de travail et pas une société de l’assistance ". Aujourd’hui, Bourquin renchérit " … nous voulons remettre les gens au travail, on n’est pas une société de divertissement. "Hors du travail point de salut ! Dans leurs bouches, " divertissement " sonne comme " débauche ", " vice "… Tout un programme ! Décidément, de Noisy à Perpignan, le PS se " Vichyse " !

Reste le mot travail vient du latin " trepalium " (instrument de torture) et que face à ces monstrueux brigands, nous devront proposer un monde qui œuvre plutôt qu’un monde qui trime.Un monde qui bouge et ou l’individu peut s’épanouir plutôt qu’un monde sinistre et abrutissant où l’individu n’est qu’une ressource humaine jetable et corvéable à merci.

Bruno Daraquy


MA licencié, MA défendu

Salah Sadou a tout connu : l’Éducation nationale, le chômage quand il ne faisait plus bon être d’origine étrangère, de nouveau l’Éducation nationale, en enseignant une discipline, la construction mécanique, qui demande une adaptation toute particulière d’un établissement à l’autre, les établissements difficiles. La dernière étape, le licenciement suite à un rapport d’inspecteur défavorable, il s’en serait bien passé ; d’abord abasourdi (quelle disproportion entre des reproches techniques, que l’intéressé conteste, et une mise au chômage !), il a cherché du secours autour de lui : si ses collègues ont réagi positivement, en se portant garant de la qualité de son travail, les grands syndicats n’ont pas répondu à l’appel. La CNT (avec l’accord de SUD et du Collectif des non-titulaires) a pris en charge son dossier et obtenu, non sans mal, une première entrevue au rectorat de Versailles, avec un rassemblement, le 27 janvier. À la sanction brutale pour des reproches contestés, nous avons dit qu’il fallait préférer le soutien et l’encadrement pédagogique dont Salah Sadou n’a jamais réellement bénéficié jusqu’ici. Cette défense individuelle d’un maître-auxiliaire s’inscrit tout naturellement dans le cadre de notre combat syndical contre la précarité et pour l’égalité.

Jean-Pierre — CNT-Éducation RP


Violence sociale, violence d’État

Chevènement le ressuscité ne dispensera pas l’amour sur Terre mais la répression pour tous les " sauvageons ", proposant l’éloignement pour les délinquants récidivistes et la suppression des allocations pour les parents " irresponsables ". Si Jospin ne semble pas vouloir appliquer cette dernière mesure, il souhaite maintenir l’ordre républicain avec la plus grande fermeté. Bref, la gauche a perdu tous ses complexes en matière de politique sécuritaire, n’hésitant pas à amalgamer jeunesse des banlieues et délinquance. Ainsi la gauche " à l’aise dans ses baskets " (plombées) n’a, comme la droite, que la schlague à nous proposer comme projet de société. Cette agitation des socialistes n’a pour objet que de masquer leur échec en matière économique et sociale. Les 35 heures n’ont pas créé les emplois prévus, mais ont par contre encore accru la flexibilité pour les salariés. De nouveau le gouvernement consolide la misère sociale (RMI, travail précaire, chômage…) qui crée une main-d’œuvre corvéable à merci. Combien de chômeurs sont prêts à accepter n’importe quel boulot sous-payé pour sortir de la galère ? Combien de salariés exploités ferment leur gueule de peur de perdre leur emploi (" y-a plein de chômeurs qui attendent de bosser ", nous disent médias et patrons) ? Quant à ceux qui se révoltent, soit on les ignorent, soit on crie aux " privilèges ", soit on les réprime.

Les violences urbaines : Une réaction face aux violences sociales

Cette misère est hyperconcentrée dans certaines banlieues, mais les médias ne parlent d’elles que lors d’éruptions de violences qu’ils assimilent à de la délinquances gratuite. N’est-ce pas plutôt des actes de révoltes face à cette injustice dont ils sont les premiers à souffrir ? Quant à l’État, au lieu de s’attaquer aux inégalités, il réprime et laisse se multiplier les bavures policières. Bien sûr, nous ne cautionnons pas le fait de brûler bagnoles ou abribus, c’est se tromper de cible en privant d’aussi pauvres que soi et en risquant de se les mettre à dos (déjà des milices d’autodéfense se constituent comme au Mirail, à Toulouse). C’est faire le jeu du patronat et de l’État en justifiant leur politique répressive qui pourrait bien faire oublier les véritables responsables de la pauvreté. Pourtant la société capitaliste, en créant d’un côté la misère et en faisant miroiter ses richesses de l’autre, n’est-elle pas la plus agressive ? Plus l’exploitation et la précarité augmenteront, plus les risques de violences urbaines seront exacerbées.Face aux violences de l’État et du patronat, seule la lutte sociale collective brisera le cycle infernal de la misère et de la répression !

Groupe Durruti (Lyon)


Cinéma

Sombre 

Philippe Grandrieux

À Locarno, août 1998, Sombre fut objet de scandale. Il divisa le jury de manière violente en admirateurs fervents et détracteurs violents. Sombre est un film très sombre qui éclaire pourtant des zones rarement explorées de la psyché humaine. Comment désirer, comment passer à l’acte sans exercer une violence, sans affirmer la violence du désir ?

Dans Sombre nous sommes en présence de deux sortes de jouissance : celle de la peur extrême qu’éprouvent les enfants au début du film qui se tordent de plaisir et de peur a la fois, et celle de la quête de la jouissance… celle des origines (une sorte de retour au ventre de la mère, repasser passer par où on a été éjecté au monde), la matrice, le sexe de la mère obligeant à forcer un passage impossible, le gué fermé pour toujours. Un film sur l’attraction-répulsion, un film sur l’accès barré à la jouissance ?

[ image cassée : Photo extraite du film ]

M.L. : Pour faire simple et court, qu’avez vous montré aux enfants pour qu’ils rient comme ça et pour qu’ils aient peur comme ça ?

Philippe Grandrieux : C’était un spectacle de marionnettes qui était d’ailleurs exécuté par l’acteur par Marc Barbé a qui j’avais demandé d’apprendre les gestes de marionnettiste mais surtout parce que je voulais filmer sur les visages des enfants les traces, les émotions, les affects qui viennent s’imprimer. De la peur, la joie, l’inquiétude, l’attente.Ce n’était pas nécessaire de montrer la source. Parce que la source de ces émotions, elle est bien au-delà d’un spectacle.

C’est effectivement dans ce que vous dites, dans la matière humaine. Elle est dans ce qui fait que nous sommes des hommes vis-à-vis des femmes ; que nous sommes humains… qu’on éprouve aujourd’hui des sensations qui devaient être sans doute éprouvées par les premiers hommes. La peur, l’effroi, la terreur, c’est des terreurs qui devaient aussi être partagées par ceux qui vivaient dans les grottes. Il y a quelque chose de profondément humain.

M.L. : pourquoi avoir délaissé cette piste assez joyeuse au profit de la seule violence de l’approche de l’autre, de l’homme allant vers les femmes, une femme en l’occurrence ?

P.G. : Je ne crois pas que ce soit délaissé. c’est assez compliqué. On peut voir dans cette scène comme une espèce de métaphore de la place du spectateur, de son propre film, quelque chose qui lui serait annoncé sur le spectacle c’est-à-dire sur le fait qu’il va être témoin, un témoin très impuissant, puisque le spectateur est quand même très soumis à la machine du film. Comme les enfants sont très soumis à ce qu’il leur arrive sans qu’ils aient la possibilité vraiment d’en avoir la maîtrise. C’est sûr qu’il y a une dimension métaphorique de la place du spectateur. Mais pas seulement, parce que il y a quelque chose de plus, sans doute de plus lié au désir que je pouvais avoir de filmer ces visages d’enfants, les traces, les émotions. Et que ces traces et ces émotions modèlent les visages avec une très grande vitesse. C’est comme un paysage comme ça, sous un vent très puissant, très clair, ça s’assombrit, ça va très vite.

M.L. : L’homme qu’on voit est concentré sur la violence sexuelle. C’est un homme qui tue, mais ce n’est pas un serial killer, c’est plutôt un homme qui dégage une grande force et montre son impossibilité d’accomplir le rapport sexuel un peu comme le dit Lacan quand il dit qu’il " n’y a pas de rapport sexuel "…

P.G. : En tous cas ça me fait plaisir que vous ayez vu que ce n’est pas un film sur un serial killer, même si effectivement c’est un personnage qui tue les femmes. Un serial killer est quand même lié à une tradition du cinéma américain. C’est un personnage qui a besoin d’espace qui vient plus au centre de l’Europe, qui vient des bois, qui vient des forets. Un personnage qui est beaucoup plus lié à la mélancolie qu’a la vitesse autant qu’à l’espace.

M.L. : pourquoi le diaboliser alors par rapport au loup ?

P.G. : Parce que c’est comme un conte. Je ne voulais pas qu’il y ait de psychologie. Je souscris complètement a ce que dit Lacan du rapport sexuel. Il se demande au fond ce qui est touché du corps de l’autre, dans l’acte sexuel. Qu’est ce qui est touché qu’est ce qui est atteint dans le rapport à l’autre. La jouissance, c’est évidemment très éloigne de la question du plaisir. Et je pense que ce personnage est quelqu’un d’attaché, de très morbide, mortifère, c’est quelqu’un attaché à une menace ou à une jonction comme le titre l’indique Sombre. C’est à dire qu’il est attaché a quelque chose dont il ne peut se défaire de telle sorte avec un tel enracinement névrotique, quasi psychotique qui fait qu’il ne peut avoir de rapport a l’autre, aux autres qu’il est coupé du monde, qu’il n’y a aucune altérité de possible. Il y a une vraie question quand vous parlez de l’impuissance du personnage, de ce que c’est l’acte sexuel, et qu’est ce que c’est le rapport a la pénétration, le rapport au sexe de la femme… C’est évident, le film est travaille par ces questions-là.

M.L. : Il y a très vite quelque chose du coté du viol, de la violence d’une effraction…

P.G. : je ne crois pas qu’il y ait viol de la part de Jean. Je ne pense pas que ce soit un homme qui puisse violer. La première fois qu’il fait l’amour réellement, dans le sens d’une pénétration, la première fois, c’est avec Claire qui est vierge. De la même manière que dans la grande mythologie, seules les vierges peuvent s’approcher du monstre

M.L. : mais qui sont sacrifiées…

P.G. : qui sont sacrifiées au monstre, mais pas dans le cadre du film. Elle n’est pas sacrifiée, elle passe d’une vie non vécue a une vie vivante, une vie de femme qui aura une fois dans sa vie aimé d’une façon surprenante, délirante. C’est de cela qu’est fait le rapport amoureux. J’avais besoin que mes personnages soient placés de façon très lointaine de la psychologie habituelle du cinéma. Je voulais en faire des caractères au sens du conte, de " La belle et la bête ". J’avais besoin pour cela que les personnages soient d’une certaine façon excédés et qu’ils excèdent eux-mêmes la possibilité d’être ce qu’ils sont.

M.L. : Le choix de Elina Lowensohn pour ce rôle de Claire ?

P.G. : J’ai fait un casting très important d’acteurs et d’actrices françaises. Je ne trouvais personne. On m’a présenté Elina. Je ne l’avais pas vue dans les films de Hal Hartley et heureusement Elle est arrivée comme, ça et son visage semblait porter très timidement quelque chose du personnage. Notamment une espèce d’origine muette du personnage. Ça m’a beaucoup plu de savoir qu’elle était roumaine qu’elle venait de l’Est, des forêts des Carpathes, de Nosferatu…

Claire dégage une force très particulière, dans la scène du lac, quand sa sœur se fait agresser par Jean sa seule présence suffit à Jean… Cette scène était difficile à faire.

Mais c’est l’horizon du film Un film, ca doit s’affronter, se confronter a quelque chose, qu’il y ait une véritable épaisseur, un véritable risque pour celui qui le fait, donc pour celui qui le regarde c’est quand même ça le cinéma.

M.L. : Pourquoi doit-il tuer encore quand il a enfin accompli l’acte avec Claire ?

P.G. : Parce qu’il n’est pas sauvé. Parce qu’il n’y a pas de rédemption possible pour un homme comme ca. Il n’y a pas de rédemption qui ferait parce que cet homme est touché par l’amour pourrait un jour ou l’autre comme ça changer, profondément. Or ce qu’il est profondément, c’est cette nature obscure, opaque, sombre, c’est le loup. Sans doute il retourne, blessé d’une certaine manière, blessé par l’amour, par le fait que ce n’est plus exactement pareil. C’est comme s’il avait per, cu quelque chose de très loin comme une lumière. Quelque chose qui avait pu vaciller devant son regard. Au départ, initialement j’imaginais que j’aurais pu le sauver de façon plus conséquente.C’est quelque chose qui a à voir avec la nature, très profondément. Comme cette histoire du scorpion et de la grenouille. Arrivé à la fin, le scorpion pique la grenouille quand même. Je ne sais si la comparaison vaut. Jean est comme trop attaché à quelque chose dont il ne peut se défaire. Il aurait pu éventuellement avec le rapport qu’il a eu avec Claire, avec l’amour qu’il éprouvait pour elle, toucher pour la première fois de sa vie véritablement. Il aurait pu être sauvé.

On s’est posé ces questions avec les scénaristes, avec la monteuse, assez longuement. Et le film nécessitait que Jean ne soit pas si simplement sauvé, voilà., Ça aurait été trop simple, au sens de trop rapide. Ce n’était pas possible.

M.L. : Le film s’appelle Sombre, elle s’appelle Claire, pourquoi s’appelle-t-il Jean ?

P.G. : Je ne sais pas. Au départ je voulais appeler le film " Selon Jean… " il y a Saint Jean, l’apocalypse et tout ça… Il veille sur elle, il a envie de la protéger, instinctivement, comme un animal. Il y a quelque chose d’une grande animalité chez Jean.

propos recueillis par Heike Hurst — émission Fondu au noir (Radio libertaire)


Cinéma

Vénus Beauté (institut)

Un film sur un Institut de Beauté. Une comédie enlevée. Une pépinière de rôles pour actrices de tous les âges et de toutes les beautés. Les trois esthéticiennes de l’affiche (Nathalie Baye, Mathilde Seigner, Audrey Tautou) sont aussi celles qui en blouses roses s’occupent des clientes plus ou moins en beauté, donc plus ou moins en demande et plus ou moins argentées. Le magasin-vitrine devient une sorte d’aquarium, l’étalage du rose cache l’espace clos d’où l’on les voit travailler, sourire, vivre. Mais d’où partent aussi des stimulis propices au désir et aux rencontres.

Tonie Marshall a le génie d’inventer des rencontres insolites, surtout là où jamais encore personne n’a fait une rencontre, elle en provoque les plus belles : dans Pas très catholique un accident de la circulation créait un instant magique : Anémone, à l’origine de l’accident, dit de sa voix charmeuse : comme je suis contente de vous avoir rencontré ! et ça marche ! Dans Vénus beauté… Tonie Marshall crée une rencontre obstacle au début du film. Un homme est littéralement médusé par la présence ô combien parlante et vivante d’Angèle (Nathalie Baye). Il ne la lâche plus, alors qu’elle essaie de le semer, troublée par tout ce qu’il lui rappelle, d’autant plus qu’elle est décidée à vivre le sexe seulement, avec l’eau froide le matin, en laissant l’amour au vestiaire, on apprendra pourquoi. Mais en matière de cœur, rien ne marche jamais comme prévu, donc, cette belle histoire d’amour est interrompue et entravée par tous les sketchs de toutes ces femmes pas ordinaires qui défilent à Vénus beauté… et se racontent et s’exhibent… comme la cliente d’W nue comme un vers qui se promène que la porte soit ouverte ou fermée… femmes en vitrine qui ne sont pas à vendre, qui voient bien plus qu’elles ne subissent les clientes et leurs caprices. La porte sas s’ouvre en musique et le va et vient n’est souvent qu’un passage. Qui sait ce qu’elles laissent dedans, qui sait ce qu’elles emportent dehors ? Un film qui donne des rôles magnifiques, toniques, douces amers à toutes les actrices qu’elles soient connues ou pas. Elles sont d’ailleurs toutes formidables, même si leur présence ne dure que le temps d’un sketch comme c’est le cas pour Edith Scob, Brigitte Rouan, ou Marie Rivière.

Dérision et tendresse sont les maîtres mots de ce film qu’on s’étonne de ne pas voir sélectionné pour Berlin.

Heike Hurst — émission Fondu au noir (Radio libertaire)


À la petite semaine

Tintin et Astérix

En l’absence de problèmes sociaux d’importance depuis que tout va bien grâce à Jospin, le Parlement, qui en réalité demeure la seule véritable avant-garde éclairée, en a profité pour convier le pays à une réflexion intellectuelle élevée, celle qui de tout temps a fait ici l’admiration du monde entier, en organisant en son palais un colloque qui bien sûr a connu un immense succès. Il s’agissait de savoir si politiquement Tintin, le héros d’Hergé, était un aventurier de droite ou de gauche, un de Gaulle ou un Jean Moulin justicier.

Question toute primordiale, certes, mais on eût davantage apprécié que dans l’enceinte d’une institution de la république le sujet abordé fut plus spécifiquement français. Car Tintin est un peu étranger, rappelons-le, un peu belge, donc un peu immigré. Alors qu’Astérix, lui, est on ne peu plus français.

Mais les vrais amateurs de bande dessinée savent en vérité ce qui a dicté le choix des membres de l’Assemblée. Car opter pour le héros gaulois les eût mis dans l’embarras. Et forcés à reconnaître qu’ils ont tous été croqués, symbolisés dans le personnage du barde parasite Assurancetourix, qui eût pu s’appeler Mondepolitix, ces socialix et communix, ces César et Brutus, ces Cohn-Bendix et Dominix, ces centrix, ces Arletéalainkrivix, qu’il convient, pour que l’histoire finisse bien, pour qu’enfin ils se taisent et n’agissent plus, de ligoter et de bâillonner en les maintenant absolument à l’écart de la Commune libre en fête.

Floréal


Lecture

La loi, pas la justice

Le Dernier Acte de Wiliam Gaddis

William Gaddis, que certains considèrent comme l’héritier américain de James Joyce, publie son quatrième livre-somme en quarante ans (1) , loin des tumultes publicitaires et des sunlights médiatiques qui ont annoncé à grand renfort de trompettes et de dollars la sortie du " dernier " (2) de Jim Harrisson, nouvelle coqueluche du moment.Dès la première phrase nous voilà prévenus : " La justice ? Tu auras la justice dans l’autre monde, dans ce monde tu as la loi. " La loi, qui se veut la codification du concept " naturel " de justice — mais qui n’est que le reflet des intérêts dominants du moment — s’en situe pour Gaddis aux antipodes, tant sur le plan politique, " je parle du fascisme, c’est là qu’aboutit cette obsession de l’ordre de l’ordre ", que social, " ceux qui viennent demander justice au tribunal, tout ce qu’ils voient c’est l’étiquette du prix marqué un million de dollars, le reste n’est que le l’opéra.

La trame principale est constituée par le procès qu’un érudit d’une cinquantaine d’années, assistant en histoire à l’université, intente à un producteur d’Hollywood pour avoir piraté sa pièce de théâtre – sa seule et unique, restée inédite et oubliée au fond d’un tiroir — basée sur les aventures de son grand-père durant la guerre de Sécession, et en avoir fait un film ) succès dont il espère ainsi pouvoir toucher les dividendes. Ayant mis le doigt dans l’engrenage de la machine judiciaire – portrait au vitriol de la caste des avocats qualifiée d’entente de malfaiteurs de première importance " –, il en sortira lessivé et essoré car ne fonctionnant qu’à son seul profit, celle-ci reprend d’une main ce qu’elle accorde de l’autre.Mais ce roman-pavé dans la marre de nos conventions vaut aussi pour la qualité de son écriture à la fois ardue et jubilatoire. Ardue car ses 505 pages s’enchaînent sous la forme d’un dialogue à plusieurs voix d’une seule traite, avec de longues phrases dont les mots se succèdent sans ponctuation (3) et s’entrechoquent en incessants coqs-à-l’âne comme dans la vie quotidienne : " Peut-être que si tu arrêtais juste de penser aux moyens d’économiser de l’argent et que tu te mettais à penser aux moyens d’en gagner, ta manche est dans le bouillon là tu ne peux pas utiliser ta cuillère ? ". Jubilation car l’auteur, qui entraîne tous ses personnages dans un étourdissant tourbillon, fait preuve d’un humour noir et grinçant, faisant fi des préjugés, mettant à nu les conventions sociales, dénonçant l’hypocrisie des charlatans religieux chantres de l’ordre moral (4) et nous renvoie l’image d’une période confuse en mal d’absolus et dont la seule réalité c’est l’argent : " Je veux dire, mon Dieu, il n’y a rien de plus important qu’un compte en banque pour que les gens vous prennent au sérieux. " Devant une telle vacuité que reste-t-il alors à faire au " dernier homme civilisé " ? à disparaître…

J.-J. Gandini

Le Dernier Acte. Willaim Gaddis, traduit de l’anglais par Marc Cholodenko, Plon 1998, 505 p.

(1) Après Les Reconaissances, JR et Gothique Charpentier, traduits et publiés respectivement par Gallimard en 1973, Plon en 1193 et Ch Bourgois en 1998.

(2) " Au fait quel est le titre ? " " Peu importe mon cher, demandez à votre libraire le dernier Harrisson ! "

(3) Qu’hommage soit ici rendu au traducteur.

(4) " Le petit cafard de père Stépan qui comparait en tant que confesseur de maman et qui présentera sa facture pour soixante ans de prières pour empêcher ce qu’il a le culot d’appeler son âme de sortir du purgatoire ou d’y entrer Dieu seul sait lequel des deux. "


Qui sont les anti-pacs ?

[ image cassée : Souhaitons la malvenue au PACS ]

Le 31 janvier, les anti-pacs étaient dans la rue. Chaudement emmitouflés, les beaux quartiers défilaient. Par le nombre tout au moins, ils n’ont pas été ridicules, même s’il faut déduire une ribambelle d’enfants des 100 000 manifestants décomptés.Les organisateurs insistaient sur le caractère " apolitique " de cette manif. Pourtant, cela fait plusieurs mois que tous les journaux d’extrême droite appellent à se mobiliser contre le PACS. Pour l’occasion, le quotidien Présent (organe des catholiques traditionnalistes fidèles à la fois au pape et à Le Pen), généralement opposé à tout œcuménisme religieux, a même fait l’effort d’interviewer un pasteur protestant, il est vrai membre du mouvement La Droite de Millon.Quand à Boutin qui, devant les médias, joue la vierge effarouchée quand elle voit Mégret à " sa " manif, elle ferait mieux de se souvenir qu’elle a accordé récemment un interview à l’hebdomadaire d’extrême droite Minute où elle appelait tous les lecteurs à se mobiliser contre le PACS.

Mais Christine Boutin répond aussi aux injonctions directes du pape. qui déclarait en octobre dernier à propos du PACS : " dans la recherche de solutions légitimes pour la société moderne, la famille ne peut pas être mise sur le même plan que de simples associations ou unions, et celles-ci ne peuvent pas bénéficier des droits particuliers liés exclusivement à la protection de l’engagement conjugal et de la famille, fondée sur le mariage, comme communauté de vie et d’amour stable, fruit du don total et fidèle des conjoints (en décodant : "non au divorce"), ouverts à la vie (en décodant : "non à l’avortement et à la contraception") ". Ouf, c’est terminé !

Malgré les consignes des organisateurs soucieux de respectabilité, " il y a les médias : ne tombez pas dans le piège de l’homophobie ", cela a vite " dégénéré " : chassez le naturel, il revient au galop. Ainsi, quand Act Up a déroulé une grande banderole avec ce simple mot : " homophobe ", des hurlements " les pédés aux bûchers " jaillirent du cœur du cortège. Il est vrai que le bûcher fait partie des bonnes vieilles traditions chrétiennes, un peu perdues depuis la fin de l’Inquisition.

Mais reprenons les slogans de cette manif à " idées ", comme osait le prétendre le quotidien catholique La Croix. En voici un florilège : " vous n’aurez pas le PACS, l’Alsace et la Lorraine ", " avec PACS citron, la famille est nettoyée à fond ", " mon Dieu, délivrez-nous du PACS ", " homos, socialos, tous crados ", " pas de neveu pour les tantouses ", " en mariée t’es belle, en pacsée t’es poubelle ". Sans commentaires…

Comme l’a dit quelqu’un avec beaucoup d’humour : " un puritain est un homme hanté par l’idée que quelqu’un, quelque part, est heureux ". C’est cela qui a hanté la manif de dimanche : le fait que l’on puisse vivre différemment et en être heureux.

Régis B. — groupe Kronstadt (Lyon)


Les copains, les coquins…

En 1979, Jacques Chirac, alors maire de la capitale, déclarait " J’estime qu’aujourd’hui le logement des classes moyennes doit devenir l’objectif prioritaire de notre action "…La loi du marché allait faire le reste et les loyers purent grimper. La mairie de Paris disposant d’immenses pouvoirs pouvait dès lors filtrer et régir les trois quarts des attributions. Certaines d’entre elles du reste permirent de transformer, en toute illégalité, des logements en… bureaux !C’est un agent immobilier peu scrupuleux un certain Stéphane Delouvrier qui se chargea de la magouille.En 1988, Delouvrier va vider son sac et mouiller au passage cinq personnages " clef " de la chiraquie parisienne : C. Cabana, J.P. Quéré, M. Roussin, D. Naftalski et R. Pandraud (Le Canard enchaîné nº 4084 du 3 février 1999).Il est alors question de " permis de construire frauduleux " de " pots de vin " " d’argent versé à Zurich sur un compte détenu par un collaborateur à Chirac "…

De 1989 à 1991, les affaires vont submerger le monde politique. Les ventes d’armement, le Carrefour du développement, URBA-Gracco autant d’histoires pas nettes qui vont se terminer par des " non lieu ", autant d’occasions offertes aux " coquins " de s’en sortir sans égratignures !Pour l’essentiel les faits furent blanchis par la loi du 15 janvier 1990, laquelle, dans son article 19, amnistiait toutes les infractions en relation directe ou indirecte avec le financement des partis politiques.La collusion entre l’argent et la politique, aussi ancienne que le capitalisme, allait dès lors se trouver légalisée, légitimée.À tel point que " l’affaire Elf ", 1,5 milliards de francs détournés entre 1988 et 1993 qui éclabousse, parmi d’autres personnages importants, M. Dumas, ci-devant Président du Conseil constitutionnel, ne semble pas le conduire à démissionner de sa charge…Mazette, Dumas un des tous puissants de l’État accusé de sordides fraudes qui s’accroche à son poste et qui amnistie a priori Chirac, le premier personnage de l’État embringué dans d’autres affaires aussi sordides que frauduleuses… Voilà de quoi réconcilier le bon peuple avec le monde pourri de la politique politicienne.

Juppé pour les emplois fictifs du RPR et beaucoup d’autres, de l’extrême droite nauséeuse la gauche salonnarde, se trouvent mis en examen et poursuivis par la justice et pourtant… les affaires finissent le plus souvent par être enterrées.Dans ce contexte, les intentions avouées de Mme Guigou et M. Strauss-Khan de renforcer la législation contre la corruption semblent relever du gadget.Les politiciens se satisfont d’un monde fait d’inégalités, d’exclusions en tout genre, d’hypocrisie et… de promesses de vie meilleure, promesses jamais tenues.Lors des échéances électorales ils viendront nous raconter que ce ne sera pas (ou plus) comme avant mais très vite ils feront tourner la machine encore et toujours à leur seul profit.La classe politicienne est une classe fondamentalement conservatrice, contre-révolutionnaire, et ses représentants les plus en vue empêtrés jusqu’au cou dans des affaires tordues ne peuvent plus faire illusion.

La politique au sens large c’est notre affaire. Nous devons gérer nous-mêmes notre quotidien de la Commune à l’échelon européen et international. Pas d’intermédiaires, pas de chefs, pas de crapules… seulement des individus conscients et solidaires.

Edward