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éditorial du nº 1177 et autres articles du ML1177

du 21 au 27 octobre 1999
Le jeudi 21 octobre 1999.

https://web.archive.org/web/20030422162357/http://www.federation-anarchiste.org/ml/numeros/1177/index.html

[ penser à récupérer les images ]



Éditorial

Un milliard de petits chinois et moi et moi et moi… disait la chanson. Dans les années 60, l’explosion démographique à la chinoise faisait trembler sous ses draps l’européen frileux. Quarante ans plus tard les freelers démographiques ne font plus vraiment recette. Pourtant à l’annonce du franchissement du cap des 6 milliards d’êtres humains, on tente à nouveau, statistiques à l’appui, de propager des thèses catastrophistes. Comme toujours ces projections réductrices et foireuses sont le terreau très favorable des politiques bourgeoises les plus antisociales.

Cette stratégie, faire peur pour dominer, a déjà un long et triste passé. Ainsi, les malthusiens prévoyaient la saturation des ressources planétaires et préconisaient un rééquilibrage naturel qui soumettaient les ouvriers aux lois que le capitalisme applique aux marchandises. C’est à dire qu’un excédent de main d’œuvre devait se résorber par la disparition pure et simple de cette surpopulation affamée. Cette thèse venait donc justifier la plus inique des politiques sociales. Après coup on a pu se rendre compte de son manque de pertinence, les performances dans l’agriculture ayant progressé plus vite que la population. De plus les changements sociaux ont renforcé la tendance à la baisse des taux de natalité, qu’aujourd’hui seule l’Afrique ne connaît pas encore.

Maintenant, évoquer le risque de surpopulation ne suffit plus. On brandit donc le « papy-boum » qui vient justifier des craintes pour les retraites et des politiques d’épargne privée qui ont permis la constitution des puissants fonds de pension dont on parle tant aujourd’hui. Cela évite de poser les problèmes en terme de répartition et de remettre en cause un système basé sur les inégalités économiques, qu’il serait possible de résorber avec les richesses produites actuellement. La projection-fiction démographique a donc déjà largement servi les intérêts capitalistes et elle a encore malheureusement de beaux jours devant elle.

L’argument démographique joue également un rôle lorsqu’on évoque les dépenses de santé qui augmentent avec le vieillissement de la population, mais aussi lorsque l’on parle du patrimoine écologique. Là encore, on peut envisager les problèmes d’une toute autre façon. La santé dépend plus des conditions de travail vécues, y compris lorsque l’on est retraité, et c’est plus le productivisme à tous crins et son corollaire la production industrielle incontrôlée qui met en danger la planète que la surpopulation. Enfin la démographie est intimement liée à la vie sociale des individus et évolue avec elle. Ce que nie le déterminisme démographique c’est en fin de compte la capacité des sociétés humaines à s’organiser collectivement, l’autonomie possible des individus et l’établissement d’un projet commun.

Ne nous laissons pas berner par ces nouveaux millénaristes dont les fausses prophéties restent un instrument de culpabilisation destiné à éteindre toute forme de révolte face à la classe dirigeante.


Pacte civil de solidarité

La liberté sexuelle reste à conquérir !

Cela n’aura pas été sans mal. La loi instituant le Pacs (Pacte Civil de Solidarité) destinée aux couples de sexes différents ou de mêmes sexes, hors mariage ou concubinage, aura mis un an à voir le jour et comme pour la réforme du code de la famille cette loi s’inscrit dans une démarche institutionnelle visant à « moderniser » les cadres par lesquels l’État maintient son contrôle sur la vie de chaque individu. Ce qui ne peut nous laisser indifférent !

D’ailleurs les tenants de l’ordre moral version vieille France ne s’y sont pas trompés et se sont mobilisés contre toute modification législative. Dès avril 98, les nombreux débats à l’Assemblée, au Sénat et dans l’opinion sont freinés par une pétition signée de 12 000 maires hostiles au projet. Rapidement, il est clair qu’il s’agit d’un coup monté par Michel Pinton, proche de l’extrême droite et du lobby français « provie », dont la très conservatrice « Association pour la promotion de la famille ». Ce coup médiatique des réactionnaires est soutenu par la très homophobe « Association Avenir de la Culture ». Les représentants des trois principales religions françaises se joignent au cortège qui condamne un texte qui devient alors dans les médias : « un projet de mariage homosexuel ».

Pour barrer le projet de loi, la droite parlementaire homophobe et réactionnaire sort l’artillerie lourde : Christine Boutin, députée UDF et fervente militante anti-IVG. En janvier 1999 et non sans mal, elle réunit 100 000 personnes lors de la manifestation anti-Pacs. Elle aura dû y drainer les pires réactionnaires : les courants familialistes et d’extrême droite. La mobilisation est loin d’égaler celles des années des débats-polémiques sur le divorce, l’avortement, la peine de mort voire l’école libre.

Pourtant, Christine Boutin se sent alors assez forte, pour, en première lecture du texte à l’Assemblée, tenir le crachoir plus de cinq heures. Et c’est à bout d’arguments, que comme une hystérique, elle brandit sa Bible devant des députés médusés. Une Assemblée ce jour là désertée par la majorité des députés de la gauche plurielle, certainement occupés à d’autres activités électorales… La loi est rejetée à l’Assemblée. Juste avant les vacances parlementaires, c’est le Sénat qui réussit à ajourner le projet de loi. Six mois plus tard, c’est donc en deuxième lecture, que le Pacs est adopté, le 12 octobre 1999, par 315 voix contre 249.

De nombreuses associations homosexuelles sont déçues par un texte assez éloigné de leurs revendications initiales qui tendaient à voir reconnaître par la société le mariage homosexuel. Nous autres, anarchistes qui revendiquons la liberté pour chaque individu à choisir sa sexualité et son mode de vie, ne pouvons que constater que cette loi signifie le verrouillage pour longtemps d’un réel accès à l’égalité sociale pour les homosexuels.

Une reconnaissance civile au rabais !

Que les « Pacsés » se sentent frustrés par rapport au statut des « mariés » ou qu’ils soient des citoyens moins égaux et moins libres que ceux qui optent pour l’union libre ou le mariage, reconnus par l’État ou le curé. Ce n’est pas vraiment notre problème ! Que les Pacsés le soient à la Mairie, au Tribunal d’instance ou ailleurs, que ça flatte les intégristes ou que ça heurte les légalistes. Ça nous indiffère quelque peu ! Que les Pacsé aisés n’aient pas les mêmes droits immédiats, fiscaux notamment, que les mariés. Ce n’est pas pour nous étonner puisque la norme reste la famille hétéro ! Que les Pacsés doivent prouver deux ans de vie commune pour faire partager leurs droits. Cela sent fortement la hiérarchie des valeurs morales en cours !

Mais au delà de cette réglementation qui codifie l’incodifiable il faut stigmatiser cette volonté de maintenir une situation de sous-statut pénalisant pour celles et ceux qui seront encore des hors normes pas très fréquentables puisque vivant des relations affectives et sociales non reconnues pour ce qu’elles sont. Sinon comment comprendre :
— Que les Pacsés gardent leur statut de célibataires.
— Que les Pacsés ne puissent pas prétendre à une reconnaissance légale en dehors des frontières françaises.
— Que les Pacsés se voient privés de certains minimaux sociaux de solitude et qu’ils aient à choisir entre le maintien de ces allocations et la reconnaissance du couple. Sans compter que cette amputation est effective dès la signature du contrat, alors que les droits nouveaux (imposition, succession) sont soumis à un délai de deux ans.
— Que les Pacsés n’aient pas le droit au séjour et à la nationalité. Puisqu’il est signé au Tribunal d’instance, le Pacs devient un « élément d’appréciation » laissé à l’arbitraire des préfectures. Une menace permanente de séparation par reconduite à la frontière, pour les Pacsés sans papiers.
Que les Pacsés homosexuels ne puissent pas adopter, avoir droit aux procréations médicalement assistées et avoir un statut de beau-parent, comme tous les autres couples. Ainsi se clos, pour la gauche plurielle, un débat de société qui depuis des décennies anime tous les acteurs d’une réelle émancipation sociale et individuelle. Mais soyons sûr que la légitime aspiration à la reconnaissance sociale de la liberté sexuelle et d’association de vie saura se manifester peut-être plus tôt qu’ils ne le pense !

Patrick Schindler, Christophe Tzotzis
Claaaaaash F.A. Paris Bastille


Santé : l’hôpital malade du libéralisme !

Depuis les années 80, la santé nous est présentée soit comme un coût, soit comme un service à rentabiliser. Sous prétexte d’éviter les pertes et donc de faire des profits, c’est de plus en plus, une logique comptable impitoyable qui domine. La CNAMTS (Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés) propose, dans le cadre d’un gigantesque plan d’économie de l’assurance maladie, un volet qui vise à économiser 62 milliards de francs dont 32 sur l’ensemble des hôpitaux. Ce plan a été soumis à un vote au conseil d’administration de la CNAMTS au sein duquel certains syndicats comme la CGT se sont exprimés contre. Les décisions par rapport à ce dernier ne sont pas encore finalisées. Rien n’est donc encore joué et nous pouvons peser par nos luttes sur le choix des pouvoirs publics. Il reste à être vigilant, car c’est à l’automne que gouvernement et parlementaires prendront une position à ce sujet dans le cadre de la loi de finances 2000 de la Sécurité sociale. Dans l’état, le volet « hôpital » de ce plan équivaudrait à supprimer prés de 160 000 emplois dans les établissements du service public. Ces attaques interviennent, alors que les besoins en matière de santé sont immenses, que la qualité des soins recule, et que de vastes champs restent à développer, notamment en matière de prévention et de suivi postcure.

À l’hôpital : quelles politiques de santé sont mises en œuvre ?

L’« hyper concentration » de services sur quelques gros établissements, sans moyens supplémentaires, accélère la désertification de certaines régions et une nouvelle réduction de l’offre de soins de proximité. Cette situation entraîne des disparités dans le niveau de prise en charge des patients et une nouvelle dégradation du service public de santé et d’action sociale. Les dotations régionales ne marquent pas de rupture avec les politiques antérieures et vont perpétuer les difficultés budgétaires des établissements. Ces politiques ont des conséquences graves. Dans la région Languedoc-Roussillon, les personnels médicaux et non médicaux, les organisations syndicales CGT, FO, CFDT ont manifesté le 17 juillet devant la préfecture pour rencontrer la directrice de l’A.R.H (agence régionale hospitalière) pour protester contre le manque de 30 millions de francs au budget 1999 et pour embaucher de nouveaux effectifs. Si le CHU de Montpellier arrive au 3e rang du palmarès des 500 hôpitaux français et a pu dégager l’année dernière un bénéfice de 4 millions, le personnel n’a pas le sentiment de remplir pleinement ses missions de santé publique par manque de moyens matériels et humains.

Sur le plan national on constate que la durée moyenne de séjour est en constante diminution et les taux des rotations des lits en perpétuelle augmentation. Cela conduit à une véritable intensification du travail, à l’abandon de nombreuses missions de service public comme la recherche par exemple. Parce qu’elles imposent des réductions de l’offre de soins à la population, ces politiques sont néfastes. Nous sommes certains que les besoins en matière de santé répondent à un service prioritaire qui nécessite un engagement fort et des moyens ambitieux déconnectés de toute contrainte budgétaire ou de but lucratif. Le service public fait partie du combat social des anarchistes. Comme l’écrivait Errico Malatesta, «  la Révolution [anarchiste], c’est la création… de nouveaux rapports sociaux… c’est l’organisation de tous les services publics par ceux-là même qui y travaillent, dans leur propre intérêt et dans celui du public »(1). La gestion actuelle se fait dans une logique capitaliste dans l’intérêt de l’administration et de l’état, qui prépare la casse du secteur public pour le transformer en services à but lucratif à la solde de la bourgeoisie patronale. Dans ce cadre, nous devons défendre l’hôpital public qui reste un outil indispensable pour permettre d’offrir un dispositif de soins de proximité et garantir l’accès à des plateaux techniques de qualité pour tous.

Pour que le service rendu soit bien un moyen de progrès social et non pas de logique marchande et pour redonner son sens à un service public garant de l’égalité d’accès, de proximité et de qualité de soins, il nous faut lutter pour changer de logique :
• Empêcher tous les projets de restructuration et de fusion d’établissements publics qui favoriseraient le secteur privé lucratif et se feraient au détriment des besoins de proximité.
• Défendre un secteur public qui réponde aux besoins sanitaires et sociaux sans contraintes budgétaires.
• Réaffirmer le principe du droit à la santé pour tous, les principes de continuité, d’adaptabilité, d’égalité de traitement.
• Développer de véritables complémentarités entre le sanitaire et le social, ainsi qu’un service de prévention et de suivi post cure.

Pour les personnels : la RTT enfin d’actualité ?

Le ministre de la fonction publique annonce enfin le calendrier de discussions concernant la mise en place de la RTT (réduction du temps de travail) dans le secteur public. En septembre s’est ouvert une concertation avec les syndicats dans le cadre des rencontres bilatérales, afin d’élaborer un protocole inter fonctions publiques et à la suite des négociations seront engagées. Si le gouvernement se décide enfin à rentrer dans le concret, c’est parce que les pressions engagées par les personnels l’y contraignent. Mais au-delà du propos réducteur sur « l’avancée sociale » que représente la RTT pour les personnels, les conditions de mise en place de ce projet restent encore largement obscures. Tout d’abord, l’engagement que la fonction publique soit intégrée dans la deuxième loi Aubry n’a pas été précisé. Ensuite, le problème de l’annualisation de la durée du travail, perçu comme la remise en cause d’acquis, et de la suppression du plancher à 35 heures sans prendre en compte la pénibilité, la dangerosité, le travail posté ou de nuit, qui écartent ainsi certaines possibilités d’avancées sociales n’ont pas donné lieu à discussion.

Aussi et surtout, c’est la question de l’emploi dont il n’est toujours pas question bien qu’il soit au cœur du dispositif parce qu’il est nécessaire aux conditions de travail des personnels, à la qualité et à l’efficacité de l’hôpital public. Dans cette situation, certaines organisations syndicales ont appelé à la mobilisation. C’est le cas de FO avec une grève nationale et de la CGT avec des actions et débrayages en fonction des établissements le 14 octobre. Seule la CFDT est restée sur la réserve dans un dossier pourtant fondamental pour la société civile. À Montpellier, si l’impact de la grève est difficilement mesurable à cause des ordres de réquisitions, le rassemblement devant la préfecture n’a réuni qu’une centaine de personnes. Cela n’est pas rassurant pour l’avenir.

Transformons, vers plus d’égalité !

Les établissements de santé et de l’action sociale sont des secteurs où les coûts salariaux sont plus importants qu’ailleurs, du fait du haut niveau des qualifications et des garanties statutaires relativement fortes. Ce qui provoque un GVT important (Glissement Vieillesse Technicité : ancienneté et déroulement de carrière prise en compte dans le salaire). Renvoyer les négociations sur les établissements, sans leur en donner les moyens, provoquerait une réduction du temps de travail à moyen constant, c’est à dire sans création d’emploi. Ce qui conduirait encore une fois à réduire et dégrader encore plus l’offre de soins.

De plus, les progrès des sciences et des techniques, les profondes mutations qui se sont opérées dans le service public de santé et d’action sociale auraient du créer dans la logique salariale actuelle une véritable renégociation de la grille de la fonction publique. Partout, les compétences deviennent un jugement de valeur qui se traduit exclusivement par la notation, les primes et l’accès aux classes supérieures et exceptionnelles, plutôt que sur la qualification des agents. Il est certain que la hiérarchie vieillissante de la fonction publique est de plus en plus en contradiction avec des tâches techniques, médicales et sociales qui réclament un travail d’équipe pointu.

Il reste beaucoup à faire pour transformer les expressions de souffrance des personnels hospitaliers en revendications et en actions collectives vers une organisation de la société égalitaire et juste. De toutes façons, nous devons en tant que militants anarchistes responsables favoriser cette éducation et porter sur l’esprit d’organisation, la liberté d’initiative au niveau de chaque compétence dans le cadre d’une activité ou d’un travail qui reste fondamental pour la société. Employés et utilisateurs doivent s’unir et s’impliquer dés à présent pour éviter la dégradation d’un service public clé de voûte indispensable pour éviter et soigner chez chacun de nous les souffrances physiques, psychiques et sociales.

Michel Sahuc et Hervé F. ­ groupe « La Sociale » (Montpellier)

(1) Pensiero e volontà, 15 juin 1924.


Procès Papon : la dernière manche

Papon aide de tous les camps

Ce 21 octobre, la Cour de Cassation examine le pourvoi de Maurice Papon. La Chambre d’accusation de la Cour d’Appel de Bordeaux venant de rejeter sa demande de dispense de « mise en état » (c’est-à-dire son incarcération la veille de l’audience) introduite par ses avocats pour raisons médicales (problème cardiaque) et tenant son grand âge (89 ans), il devra donc se constituer prisonnier le 20 octobre sous peine d’être déchu de son pourvoi, auquel cas sa condamnation à 10 ans de prison deviendrait aussitôt définitive. Alors, Papon enfin en prison, lui le responsable de l’arrestation et de la déportation de 1 410 juifs bordelais entre juillet 42 et mai 44, il y a plus de cinquante-cinq ans maintenant ?

C’est le 6 mai 1981, alors qu’il est ministre du Budget dans le gouvernement Barre et que nous sommes entre les deux tours de l’élection présidentielle qui consacrera François Mitterrand, que Maurice Papon est rattrapé par son passé avec ce titre à la Une du Canard Enchaîné : « Quand un ministre de Giscard faisait déporter des juifs. Papon aide de camps. » Ce dernier crie à l’imposture mais plainte est déposée. L’instruction va durer seize années, parsemées d’embûches et de revirements, mais grâce à la ténacité de deux hommes principalement, Michel Slitinsky, l’une des victimes, et Gérard Boulanger, son avocat, Papon sera renvoyé devant la Cour d’assises de Bordeaux pour y être jugé à partir du 2 octobre 1997 sur le fondement de sa « complicité de crimes contre l’humanité », a propos de faits commis dans l’exercice de ses fonctions de secrétaire général de la préfecture de Bordeaux, chargé du Service des questions juives, sous le régime de Vichy. Seul. Mort naturelle ­ Maurice Sabatier, Jean Leguay ­, ou mort violente — René Bousquet ­, ses trois supérieurs hiérarchiques de l’époque, respectivement préfet régional de Bordeaux, délégué général à Paris du ministère de l’Intérieur pour les Territoires occupés et secrétaire général de la police de Vichy, ne sont pas à ses cotés mais ils ont été inculpés dans le cadre de l’instruction, ce qui ruine la thèse de Papon qui se pose en « bouc émissaire ».

Le procès va durer six mois et constituera un voyage au bout de l’horreur à l’examen des rafles et des convois à destination d’Auschwitz via Drancy destinés à « solutionner la question juive » : hommes, femmes, enfants, français, étrangers, vieillards, malades, il n’y aura pas d’exception. Le 2 avril 1998, le verdict tombe : pour 4 des 8 convois la Cour répond « oui » aux questions posées pour les arrestations et les séquestrations, « non » pour la complicité d’assassinat, et condamne en conséquence Maurice Papon du chef de « complicité de crimes contre l’humanité » ­ puisqu’il n’est pas nécessaire que le complice ait adhéré a la politique d’hégémonie idéologique des auteurs principaux, à savoir les nazis ­ à la peine de dix ans de réclusion criminelle et prononce pour dix ans également l’interdiction des droits civils, civiques et de famille.

Papon : la continuité de l’État

Ce procès a notamment mis en exergue le rôle du régime de Vichy qui, avec la promulgation autonome des deux statuts des juifs d’octobre 40 et juin 41 et les accords Oberg-Bousquet de juillet 42, peut être considéré comme co-auteur de l’exclusion des juifs et complice actif de leur extermination. Est également apparu exemplaire le parcours de Maurice Papon, membre de la haute administration et de cabinets ministériels avant de devenir ministre à part entière, pendant 50 ans sans discontinuité, traversant quatre régimes, sous l’égide d’abord des radicaux-socialistes, puis de l’extrême droite vichyste, avant de servir les socialistes et enfin les gaullistes ! Papon, figure emblématique de la continuité de l’État.

Reste enfin posée la question de la responsabilité individuelle : au-delà des ordres reçus, conformes à la légalité interne du moment, tout individu doit conserver sa capacité de choix de dire non. L’éthique de conviction doit primer sur l’éthique de fonctionnement et l’on doit toujours garder à l’esprit cet aphorisme d’Étienne de La Boétie : « Le pouvoir ne s’impose que du seul consentement de celui sur lesquels il s’exerce. »

Jean-Jacques Gandini

Jean-Jacques Gandini est l’auteur d’un livre qui vient de paraître : Le Procès Papon chez Librio, 10 FF.


Écran de fumée sur le tabac

C’est une fausse vraie nouvelle : le tabac tue. Alfred Recours, député socialiste, vient de le rappeler au gouvernement Jospin dans un rapport rendu public début octobre. Il tue de plus en plus : 59 700 morts à l’heure actuelle ; 165 000 décès d’ici à 2025. Cela devient un problème de santé publique au point que ce même député propose d’interdire la vente de tabac aux moins de seize ans. Les jeunes étant particulièrement attirés par la cigarette : « un moyen d’accéder au statut d’adulte et de s’affirmer ».

Petit problème : c’est que cela dérange tout autant l’État que les industriels concernés. Ainsi, les recettes fiscales liées à la vente des cigarettes rapportent aujourd’hui quelques 54,5 milliards de francs à la collectivité contre à peine 35 milliards il y a 7 ans. Pour un paquet de cigarettes vendu 20 FF, l’État empoche 15,20 FF soit 76 % du pris de vente ! En prime, l’État français détient toujours 3 % du capital de la SEITA, autrefois entreprise 100 % nationale… Difficile pour les socialistes d’échapper à la logique du marché !

D’autant que les fabricants de fumée ont le filtre sensible : pas touche aux profits ! Ils ont pour cela développé des stratégies à faire frémir le plus endurci des fumeurs. Outre les campagnes publicitaires qui maintenant sont quelque peu réglementées (interdiction des pubs pour les cigarettes), ils ont su s’adapter pour fidéliser leur client : tabac génétiquement modifié (bien avant le maïs), vente de produits dérivés (briquets…) et autres techniques bien connues des marchands. Ils savent aussi faire pression sur les gouvernements et n’hésitent pas à brandir la menace de la « guerre des prix ». À une hausse non négociée de la fiscalité, certains fabricants ont, par le passé, décidé d’une baisse sauvage des prix de vente avec les répercussions que l’on peut imaginer sur l’emploi dans ce secteur et la baisse des recettes pour l’État… Illustration parfaite du système qui dépasse très largement l’opposition fumeurs-non fumeurs : on ne peut pas fumer tranquille en société capitaliste ! Ne parlons même pas des pétards…

Alain Dervin, ­ groupe Pierre-Besnard


Faits d’hiver

De la servitude volontaire

Les éditions du Monde libertaire sont une petite, une toute petite structure éditoriale. Douze titres par an. Des tirages à 1000, 1500, 2000 exemplaires. Des ouvrages pas toujours (rarement) grand public. Des sujets, des auteurs, des manières de dire qui ne caressent jamais le lecteur lambda dans le sens du poil.

Une conception particulière de l’édition, donc ! Mais qui a fait le choix, respectable, de l’être par rapport au paraître, de l’authentique par rapport au falsifié. De l’essentiel par rapport à l’accessoire. Du singulier par rapport au pluriel. De l’espérance révolutionnaire par rapport aux coucheries de toutes les résignations. Sur de telles bases, les éditions du Monde libertaire n’ont jamais prétendu à la une de la nomenklatura médiatic-toc. Et s’honorent, donc, de certains silences.

Reste que, quand les éditions du Monde libertaire rééditent un texte (1) pas spécialement anar, salué en son temps (2) par certains médias dont il se dit encore (mais jusqu’à quand ?) qu’ils n’en croquent pas, et que nonobstant le sujet abordé (la guerre d’Algérie au quotidien ­ abject ­ d’une armée française composée et d’enfoirés d’engagés et d’enfoirés d’appelés), et l’écriture (remarquable de dépouillement et de densité), c’est le silence radio intégral, il convient d’appeler un chat un chat et de dire les choses crûment.

Oui, c’est un fait, le Canard enchaîné, Charlie hebdo, Le Monde… et quelques autres qui se targuent d’information, voire même d’information différente, alternative ou tout simplement, de signaler que…

Certains s’étonneront sans doute que des culs de jatte ne courent pas le 100 mètres en 10 secondes ! D’autres, dont je suis, ont au cœur la lucidité, l’espoir et la volonté d’un Monde libertaire et de milliers de publications libertaires, tirant à… et osant simplement rendre compte de…

Aujourd’hui comme hier, le silence des muets du sérail ne vaut que par notre impuissance à…
Camarades libertaires, innombrables compagnons du courage et de cette quête d’une liberté sans artifices, quand donc comprendrez-vous que pour pouvoir être ce que nous pouvons être, nous ne serons que ce que voulons être. Ensembles !

Jean-Marc Raynaud

(1) Benoist Rey : Les Égorgeurs, 144 p. 60 FF.
(2) Une dizaine de notes de lecture, dans le Monde, le Canard enchaîné


Mouvement lycéen

Construire des pratiques et un projet libertaire

Au moment où nous écrivons ces lignes nous ne pouvons qu’être sceptiques sur la réussite de la manifestation parisienne prévue le 19 octobre à l’initiative de la FIDL et du tout nouveau « bureau de coordination du mouvement lycéen » dont on se demande ce qu’il peut bien coordonner !

En effet, les nombreux contacts que nous avons interrogés sur tout le territoire sont à peu près d’accord pour constater le peu d’activités et d’initiatives qui agitent les lycées en vue de préparer et réussir cette journée revendicative. Il n’y a presque pas d’assemblées générales, peu de tracts d’appel sont diffusés et pas de signe d’agitation particulière. Cela dit les lycéens nous ont déjà habitués à quelques heureuses surprises dans le passé, alors attendons pour conclure à une fin provisoire des luttes lycéennes en cette rentrée 1999.

D’autres mobilisations sont à prévoir !

En effet, la « modernisation » de l’éducation nationale est loin d’être achevée et les élèves, comme les étudiants, le personnel enseignant et IATOS ne sont pas au bout de leur surprise. Il nous faut donc nous préparer à d’autres mobilisations dans ce secteur en crise depuis de nombreuses années et penser ce mouvement lycéen comme un moment d’une contestation plus générale et globale.

Ce n’est pas pour rien que le pouvoir socialiste a mis en place deux syndicats lycéens, qu’il fait le pression pour fusionner les deux UNEF et qu’il s’appuie sur les divisions des syndicats enseignants. Les enjeux économiques, sociaux et politiques liés à l’ensemble du système éducatif sont tels que cela mérite de sa part des efforts et des stratégies construites sur le long terme pour maîtriser les structures d’expressions et de revendications des uns et des autres.

Le pouvoir surfe sur la volonté d’autonomie individuelle !

Si l’objectif essentiel du pouvoir est à coup sûr la privatisation de nombreuses filières éducatives (enseignement professionnel, universités et personnel de maintenance) il lui faut aussi produire un discours qui justifie et légitime cette perspective sous couvert de démocratisation et d’approche personnalisée des problèmes de chacun. Et c’est sans doute l’aspiration à être reconnu comme un individu à part entière qui constitue la revendication première du lycéen ordinaire. Cette exigence est présente de manière récurrente et persistance depuis les manifs anti-CIP. C’est sans doute une des explications du fort rejet de la politique que chacun a pu constater en essayant de discuter ou de donner un tract aux manifestants. La politique est assimilée à une opération de manipulation des individus et par conséquent rejetée avec force pour mieux affirmer son autonomie individuelle. Et c’est sur ce registre que jouent tout à la fois la FDIL et UNL qui entretiennent le corporatisme et le chacun pour soi et qui permettent à Allègre de pondre un manifeste des droits démocratiques et citoyens du lycéen qui doit être largement diffusé.

Proposer des pratiques et une alternative !

Loin d’être découragés par cette opération de contrôle idéologique et politique du pouvoir et conscients que tout reste possible nous devons travailler à constituer des réseaux qui nous permettent d’échanger infos et pratiques militantes le plus rapidement possible. Par ailleurs, les libertaires disposent d’une réflexion sérieuse sur ce que devrait être un système éducatif apte à favoriser la construction d’individus pensants et agissants. Il ne tient qu’à nous de rassembler nos critiques et propositions dans un document facile d’accès et à la portée de toutes les bourses. Ya plus qu’à !

Bernard, ­ groupe Déjacque (Lyon)


Fusion Total-Fina-ELF

Les dictatures carburent au super

Ce vendredi 15 octobre, la première entreprise française a vu le jour : l’assemblée générale des actionnaires de Elf a entériné la fusion entre TotalFina et Elf pour créer le quatrième groupe pétrolier mondial. Créée par l’État et pour l’État en 1967, l’histoire de Elf est jalonnée de coups tordus, de scandales plus ou moins étouffés, de barbouzeries en tous genres ou encore de missions diplomatiques conduites au nom de l’état français. Annexe de l’État, Elf désormais contrôlé par les fonds de pension anglo-saxons, n’a aucune raison pour que ses bonnes relations avec l’appareil étatique français s’arrêtent.

Bras armée de la politique africaine, le France a toujours besoin de Elf pour maintenir les dictateurs africains dans son orbite. Ainsi, au Congo (21 % de la production de Elf) et en Angola (8 % de la production), Elf a favorisé la succession de guerres civiles qui depuis 1997 a entraîné des milliers de mort et a transformé la capital Brazzaville en champ de ruine. Au Tchad et au Cameroun la construction de l’oléoduc de 1500 km par Elf, Exxon et Schell s’est faite au prix de déplacements et d’exactions contre la population. Une partie de la forêt camerounaise a été détruite. Au Gabon, Elf ,avec le dictateur Omar Bongo est le pilier de la corruption en Afrique, notamment à travers la FIBA, banque gérée par Elf au profit exclusif de la famille Bongo. Avec la fusion ainsi opérée, ce nouveau fleuron de l’économie capitaliste étend aussi ses tentacules à d’autres territoires. En Birmanie, TotalFina soutient une narco-dictature militaire. Par un contrat de un milliard de dollars pour la construction d’un gazoduc (projet Yadana), la firme est « le plus fort soutien du système birman » selon le porte-parole de l’opposition birmane. En Iran, TotalFina cautionne par sa présence le régime des ayatollahs. En Algérie, Elf gère la rente pétrolière au bénéfice de l’oligarchie militaire.

En Amérique latine, dans le Caucase, en Indonésie, en Afrique, TotalFina et Elf protègent leurs investissements au mépris des populations. Pour toujours plus de profit, ces entreprises génèrent plus de misère dans les pays producteurs comme elles suppriment des emplois en France dans le cadre de leur restructuration. La lutte s’est déjà engagée dans les pays producteurs. Prisons, assassinats et tortures ont été la réponse des pétroliers à ces empêcheurs de tourner en rond. Aussi, en France, nous n’avons rien à attendre des appels aux pouvoirs publics ou aux actionnaires pour qu’ils s’engagent à contrôler les agissements du nouveau monopole pétrolier français. La moralisation des affaires économiques prônée par certaines bonnes âmes ne peut-être qu’un coup d’épée dans l’eau. C’est la destruction du capitalisme qu’il convient d’entreprendre. Le combat sera long. Nous n’en doutons pas.

Guillaume, ­ groupe Durruti (Lyon)


Crise de foi

Le cas Bouddha

Le bouddhisme compte 300 millions de fidèles dans le monde. Cette religion est en pleine progression en Europe. Certains considèrent d’ailleurs le bouddhisme comme une philosophie. On a les philosophies que l’on peut… Le Dalaï Lama a l’air d’apprécier le monde occidental, malgré les différences culturelles. Il y a de quoi car si le bouddhisme progresse en Europe, dans le reste du monde cette religion est en déclin (ceci explique cela). C’est en Asie que beaucoup de personnes quittent le bouddhisme au profit d’une autre religion, en l’occurrence l’islam ou le christianisme. Ce déclin inquiète nos grands « philosophes ».

D’après les leaders bouddhistes, dont le Dalaï Lama, il y a plusieurs raisons. Tout d’abord, beaucoup de jeunes se réclament du bouddhisme par tradition sans en connaître la véritable signification. Certains même se font bouddhistes pour gagner de l’argent. Bien sûr, cette critique ne concerne pas les pontes du bouddhisme, eux dont le travail est si productif et fatiguant… En effet, qu’il est dur de ne rien faire (prier), voyager, être reçu par les grands de ce monde, et de tout recevoir gratuitement. Afin de répondre aux problèmes, les leaders bouddhistes ont décidé de restaurer huit lieux sacrés en Inde et au Népal (les paysans du coin feront l’affaire) pour relancer la « Voie du milieu en Asie ».

Certains prétendent que le bouddhisme est « la religion de la tolérance ». Certes au Sri Lanka, par exemple, et ce depuis longtemps, il y a dans les temples bouddhistes des pavillons réservés aux divinités hindoues : Vishnu et Shiva. Mais il faut savoir que cela pose depuis quelques temps des problèmes. Ainsi, un moine bouddhiste, le vénérable Soma Thera est parti en guerre avec une campagne de presse à l’appui, contre ce qu’il considère comme « des vénérations superstitieuses ». En parlant de superstitions, voici une petite nouvelle du bouddhisme. En Corée, l’office du contrôle pharmaceutique et alimentaire a empoisonné et décortiqué quelque 52 000 rats, lapins… Prise de remords tout en se demandant si ces animaux avaient des âmes, l’office a organisé une cérémonie religieuse. Cela ne revient pas cher. Des anchois ont été donnés en offrande. Mais au fait : et si les anchois avaient une âme aussi ? Encore une histoire qui termine en queue de poisson.

Régis Boussières, ­ groupe Kronstadt (Lyon)


Angleterre : Thatcher et Blair sont dans un train…

Le système capitaliste est un système qui roule ; c’est un système tout de cohérence et de cohésion politique, économique et sociale.

Le système socialiste est un système utopique, qui ne marche pas, où l’organisation de la cité est trop rigide, absurde. L’absence de démocratie entraîne la paralysie totale et définitive de l’État et des progrès techniques car le socialisme, (lisez l’absence de profits) bride l’élan naturel qui pousse la partie saine de la société (lisez les entrepreneurs) à prendre des risques en investissant l’argent de papa dans d’ambitieux projets pour le bien commun. Le capitalisme, l’économie de marché, la libre entreprise, parce qu’ils sont naturels et éternels, ne peuvent que fonctionner en harmonie avec les besoins humains. Ah, c’est beau le thatchéro-madelinisme ! Ça, pour rouler, ça roule, même que ça ne s’arrête pas aux feux rouges (parce qu’ils sont rouges sûrement), et ça se rentre dedans à fond de train, surtout quand ça file dans tous les sens. Pas clair tout ça.

Les trains anglais de l’ère post thatcherienne seraient bien moins sûrs que les beaux TGV rutilants de l’ère néo-pompidolo-mitterrandienne. Faut voir. C’est vrai, sans chauvinisme, que ces derniers sont plus récents, propres, confortables, jolis et ponctuels. Mais est-ce dû au fait que l’État gère ? Le réseau ferroviaire britannique est obsolète, désorganisé, peu électrifié, les arrêts surprise au milieu de nulle part sont monnaie courante, les « rapides » ne sont rapides que parce qu’ils ne desservent pas les villes intermédiaires et les prix sont plutôt prohibitifs (ce qui explique l’existence d’un réseau d’autocars inter-villes si populaire car c’est à peine moins confortable, à peine plus long, et nettement moins cher). Mais rien de tout cela ne date de la privatisation. C’est vrai de longue date. Le métro londonien que John Major voulait privatiser aussi est en très mauvais état. Il n’est pas une semaine sans que la ligne nord ne soit arrêtée pour incident technique, et si cette ligne est la pire, ça n’est pas la seule à avoir besoin d’un sérieux coup de burette.

Satisfaire les besoins du secteur marchand

A contrario, le réseau ferroviaire français est peut-être à la pointe du progrès technologique, mais les villes intermédiaires sont de plus en plus mal desservies et les gares et lignes non-rentables sont fermées sans plus d’état d’âme qu’outre Manche. Service public ? Mais quel public ? L’État qui gère un service public le fait-il pour le confort des usagers ou pour entretenir le patrimoine dit commun ?
Le réseau de chemin de fer n’a pas été construit, ni en France, ni en Grande-Bretagne, pour que mémère aille au marché mais pour que les marchandises circulent, que la main d’œuvre accède aux usines et que les touristes migrent là où on leur dit de passer l’été. Il s’agit avant tout de satisfaire les besoins divers du secteur marchand.

En Grande-Bretagne, la bourgeoisie, parce qu’elle n’est qu’usufruitière d’un patrimoine qui appartient encore largement à l’aristocratie, n’a jamais choisi le très long terme et n’a été, depuis la Révolution industrielle qu’une bourgeoisie de spéculation. En France, la bourgeoisie, toute rentière qu’elle puisse être, détient elle le patrimoine, soit en propre, soit, depuis 36 (malgré ses réticences premières) par l’entremise d’un État qui n’a jamais failli à lui fournir une infrastructure routière, ferroviaire, portuaire, aéroportuaire, énergétique ou téléphonique dont elle ait à se plaindre. Sous couvert du bien commun, on a tous financé des infrastructures tout à fait satisfaisantes pour l’économie de surproduction/surconsommation qui est la nôtre.

On ne peut donc pas dire que la libre entreprise dans une économie de marché est en soi source de développement. La nature n’a rien à voir là dedans. Il y a, à un moment donné, des choix qui sont pris, soit par la bourgeoisie à la tête de l’État, soit par la bourgeoisie en tant qu’investisseur privé, de construire, rénover, organiser, dans le but, dans le premier cas d’assurer la pérennité du système par les profits annexes que les infrastructures publiques vont créer, et dans le cas second, de tirer profit sur le long terme d’une infrastructure privée qui est un marché comme un autre. En gros, privé ou d’État, l’infrastructure à usage collectif n’est pas aux mains du public et n’a de nom « service public » que pour faire passer la pilule de l’impôt.

Pour ce qui est des privatisations, c’est tout autre chose. La (re)vente des « services publics » déjà en place aux financiers de la classe dirigeante par les politiciens de la classe dirigeante n’a de but qu’un profit immédiat. Le court terme ne peut pas être source d’investissements aussi colossaux que ceux que nécessite la réhabilitation totale du métro londonien ou du réseau de chemin de fer britannique tout entier. Ça n’est rentable qu’à « petite » échelle (tunnel sous la manche, pont à péage, tunnel sous le Mont-Blanc, tronçon d’autoroute) encore que le tunnel sous le Mont-Blanc est un exemple édifiant quarante ans après son ouverture, c’est que l’entretien… ça coûte !

S’il est un domaine où le fédéralisme libertaire à une logique économique et politique sérieuse à opposer à la logique marchande, c’est bien celui des services publics, construits et entretenus par tous et pour tous selon leurs moyens et pour leurs besoins, parce que la circulation des produits (et non des biens) et des personnes ne peut pas être rentable à court terme ni extrêmement rentable à long terme. Pour ce qui nous concerne, ça n’a guère d’importance, elle n’a à nos yeux, pas à être rentable mais efficace et rationnelle.

L’Anarchie, c’est l’ordre moins le pouvoir, donc moins le profit.

Vincent [T.], ­ Ind. Gard


Les impôts et la redistribution des richesses

On ne donne qu’aux riches !

La redistribution est basée sur un mythe. La création d’un État-Providence qui aurait organisé une solidarité entre les riches et les pauvres, au contraire de celle du marché entre les pauvres et les riches. Cette idée est à la base de la social-démocratie et du consensus social qui organise une relative paix sociale dans nos pays. La gauche a puisé là l’occasion d’une gestion dite « sociale » du capitalisme qui l’identifie comme gauche aux yeux des électeurs. Or, la redistribution en question n’a jamais fonctionné comme cela et encore moins aujourd’hui qu’hier. Elle sert surtout à masquer le travail de l’État pour éviter les prélèvements sur le profit en appelant de plus en plus à la solidarité nationale alors que seule la solidarité sociale est, en la matière, à prendre en compte. On peut donc poser la question de l’efficacité et de la pertinence de la redistribution.

D’abord, la notion même d’État-Providence doit être bannie. Cette appellation doit son contenu à une approche libérale pour laquelle il ne saurait y avoir d’accès à la santé ou à l’éducation sans une contrepartie financière individuelle des « clients ». La socialisation est vue comme une forme d’assistance et cela depuis les analyses de Malthus à la fin du XVIIIe siècle. De là vient l’idée d’une « providence » qui n’a, en fait, rien de providentiel puisque ce sont les travailleurs qui cotisent selon leurs moyens et qui utilisent les soins selon leurs besoins. C’est simplement parce qu’on a perdu de vue que les cotisations sont une part du salaire qu’on peut faire croire que les prestations sont fournies gratuitement.

En fait, le salaire est formé de deux parties. Ce n’est pas de redistribution dont il s’agit mais d’une partie du salaire qui est socialisée pour l’accès aux soins, à des prestations familiales et à la retraite. Arrêtons de parler de redistribution qui laisse penser qu’une première distribution du revenu se fait inégalitairement entre salaires et profits et qu’une deuxième distribution corrigerait ces inégalités. Il n’y a pas deux distributions. Ce sont les deux faces d’une même rémunération. La cotisation est en fait un élément du salaire alors que l’on continue de l’appeler taxe sur les salaires. Et c’est en tapant sur les cotisations autant qu’en tapant sur les salaires que la part des salaires dans les richesses produites a diminué depuis 20 ans à la faveur des profits capitalistes.

Deuxièmement, la redistribution en question est factice. Les services non marchands sont sur-utilisés par les classes supérieures. Cela est devenu une évidence que ce soit dans le domaine des études, du sport ou de la médecine. Ainsi, toutes les études montrent que les cadres consomment deux fois plus de médecins spécialistes, de dentistes que les ouvriers. Les accidents de ski ne touchent que ceux qui y vont. De même, les grandes écoles (ingénieurs, commerce, prépas…) représentent un coût de 60 à 80 000 FF par an et par étudiant pendant que la faculté, où se concentrent les enfants issus des petites couches moyennes et des classes populaires, représente un coût de 30 000 FF par an et par étudiant.

À qui profite la redistribution ?

Les emplois aidés se développent et correspondent au fait que les salariés se cotisent entre eux, par le biais de l’impôt, pour produire l’emploi. Il y a là un développement de la substitution de la fiscalité au salaire. C’est le cas pour les emploi-jeunes comme pour tous les emplois aidés, notamment par l’exonération des cotisations patronales. L’État remplace ainsi des exonérations de 80 milliards de francs en faveur des patrons par une dotation de 60 milliards… et l’on s’étonne du soi-disant trou de la Sécurité sociale. Dans la même logique, les allocations chômage, issus de ces cotisations, sont remplacées progressivement par des formes fiscalisées de revenu comme le RMI. De moins en moins de chômeurs sont indemnisés tandis qu’ils sont poussés vers les mécanismes d’assistance fiscalisée comme l’allocation solidarité. La loi Aubry sur les 35 heures ne fait que parachever ce processus en exonérant les patrons du paiement des cotisations sociales pour les salaires jusqu’à 1,8 fois le SMIC, c’est-à-dire pratiquement 10 000 FF. Or, ce sont 70 % des salariés du privé qui sont ainsi concernés. Autant dire que les salaires sont rognés davantage du fait de la fausse redistribution en cours que directement. Les exonérations fiscales et sociales des patrons doivent être rappelées pour fixer la mesure du prélèvement. Au bout de la chaîne, cela explique les efforts de productivité imposés aux fonctionnaires et la moindre prestation offerte par les hôpitaux par exemple comme la mise en place du forfait hospitalier en 1984, déjà par un gouvernement de gauche.

Il y a donc un processus long mais durable depuis les années 80 de remplacement des salaires par la fiscalité dite redistributive et par les fonds de pension. Car le problème des fonds de pension est bien là : parvenir à remplacer un élément de salaire, les cotisations retraites, par une épargne salariale. A chaque fois qu’on fiscalise, les entreprises sont épargnées de leur contribution d’autant plus que l’impôt sur les bénéfices n’a cessé de diminuer depuis 15 ans. C’est en ce sens que la redistribution par l’impôt est une entourloupe totale pour les travailleurs.

On le voit aussi avec la création de la CSG qui devait répartir plus équitablement les prélèvements entre le travail et le capital et se révèle être en continuité avec la protection du capital. Cette réforme de gauche rocardienne aboutit à la création d’un impôt affecté à la protection sociale pour un montant de 320 milliards de francs. En fait, sur ces 320 milliards de francs seulement 30 milliards proviennent du capital. Et encore, il s’agit essentiellement de la petite épargne populaire du type assurance vie ou livret d’épargne, c’est-à-dire de l’épargne des salariés et non de celle des capitalistes constituée des profits. En plus, la CSG correspond à un impôt dégressif car déductible en fonction d’un plafond ce qui fait que plus on est riche et moins on paie cet impôt. Voilà où en est la redistribution aujourd’hui.

Au final, grâce à cette redistribution qui a peu de choses à voir avec l’idée qu’on s’en fait, les capitalistes paient de moins en moins de salaires, les salariés contribuent davantage à l’accès aux différents services publics et la protection sociale devient de plus en plus marchande. Il ne faut alors pas s’étonner que les cotisations et la protection sociale soient de moins en moins légitime aux yeux des travailleurs car il ne s’agit pas d’une protection sociale socialisée à laquelle chacun contribuerait selon ses moyens et consommerait selon ses besoins dans le cadre d’un service public contrôlé et autogéré par ces mêmes travailleurs-usagers. C’est cela que les anarchistes appellent le service public et la redistribution actuelle bafoue tous ces principes élémentaires de la justice sociale.

Most


Accident nucléaire au Japon

Pour une remise en cause de l’industrie nucléaire

L’usine de fabrication de combustible nucléaire de Tokaïmura, au Japon, a dispersé fin septembre 16 kg d’uranium et les produits de leur fission : en mélangeant plusieurs futs d’uranium pur, les ouvriers ont atteint la masse critique au-delà de laquelle la réaction en chaîne s’emballe et dégage beaucoup d’énergie (principe de la bombe atomique). Sont en cause, outre l’erreur humaine qui n’a pas manqué d’être mise aussitôt en avant, le manque de qualification du personnel (pour faire ce qu’ils font, mieux vaut qu’ils ne sachent pas !) et surtout la recherche d’une rentabilité maximum qui incite à escamoter des étapes intermédiaires prévues pour la sécurité. Pour les industriels et les groupes financiers, le nucléaire est une industrie comme une autre dont le principal intérêt est de faire de l’argent, le plus possible.

Accidents à répétition

L’explosion de Tokaïmura, qualifiée par l’agence internationale de l’énergie atomique de « plus importante pollution depuis Tchernobyl », fait suite à d’autres accidents graves au Japon, pays fortement nucléarisé (51 centrales, soit 33 % de l’électricité) : en décembre 1995, une fuite de sodium met le feu au surgénérateur de Monju ; en mars 1997, une explosion à l’usine de retraitement de Tokai irradie 37 travailleurs et contamine la région (plutonium, iode…).

Ces accidents, dont l’effet cumulatif est dramatique pour notre santé à tous, réactivent l’hostilité des opposants au nucléaire, nombreux et violents au Japon. Déjà, il devient impossible de trouver des sites d’implantation de nouvelles centrales : en août 1996, le premier référendum local sur un projet de centrale (à Maki) a abouti à 61 % de non, malgré la promesse d’une manne financière (depuis, toute consultation est exclue…). À terme, c’est toute l’industrie nucléaire qui risque d’être remise en cause, l’imprudence criminelle de ses acteurs et l’absence de mesures sérieuses pour la protection des populations. Les conseils, plutôt tardifs, des pouvoirs publics en direction des populations, relevaient plus de la politique de l’autruche (tout va bien, restez tranquillement chez vous) que de mesures sanitaires efficaces (mais y en a-t-il réellement ?). Les nucléocrates français aussi nous ont habitués à ces méthodes, destinées à ne pas créer de mouvement de panique (autant être un contaminé serein).

Il est vital pour les décideurs de ne pas laisser la contestation du nucléaire s’amplifier (les Verts allemands en savent quelquechose). Déjà, la presse a oublié les victimes et le nuage radioactif de Tokaïmura dont les retombées viendront s’ajouter aux essais atomiques aériens et poser leur empreinte mortelle : dans dix ans, les champignons, par exemple, s’en souviendront… Le Japon et la France sont très proches dans leurs politiques électronucléaires, toutes deux présentées comme un gage d’indépendance énergétique (avec le plutonium des surgénérateurs… qui entre aussi dans la composition des bombes, au cas où) et très souvent imposées violemment aux populations maintenues dans l’ignorance des risques réels. Le « traumatisme » de Nagasaki et Hiroshima n’a pas empêché l’implantation de centrales nucléaires.

La contestation du nucléaire s’amplifie

Depuis Tchernobyl, on sait que les accidents nucléaires, aussi graves soient-ils, ne suffisent pas à stopper les projets nucléocrates, plus inspirés par les délires militaires et la profusion de bénéfices que par la satisfaction des besoins de la population. Certes, des alternatives énergétiques existent, tant pour la production que dans la consommation. Promouvoir les installations solaires ou éoliennes n’est pas inutile : en France comme au Japon tout reste à faire. Mais pour casser le nucléaire, il faut autre chose que du vent : l’énergie atomique est l’énergie du totalitarisme, du contrôle social (avec quelques excursions quand même) de la concentration (des capitaux, du pouvoir, des populations, du savoir).

Seule l’énergie militante de tous ceux qui veulent maîtriser leur vie dans tous les domaines et maintenir une planète viable peut mettre un terme, au Japon comme ailleurs, à la prolifération nucléaire. En sachant que déjà nous en avons pour des milliers d’année à surveiller leur merde.

Bob, ­ groupe du Gard


Tchétchénie : le Kosovo des Russes

La seconde guerre de Tchétchénie ne s’annonce ni moins sanglante, ni moins sale, que celle de 1994-1996 qui s’était soldée par une défaite de la Russie. Elle apparaît comme un mélange trouble de politique intérieure russe, de volonté de revanche des militaires, et de copie rouge sang de l’intervention de l’OTAN au Kosovo. Ce qui a changé en fait c’est la mise en scène, digne de celle des militaires occidentaux. Le Premier ministre, Vladimir Poutine, promet qu’à la différence du conflit de 1994-1996, ce sera une guerre propre, sans trop de victimes russes. À la télévision, les militaires contrôlent toutes les images et paradent lors de conférences de presse qui rappellent le Kosovo ou la guerre du Golfe. Ils y présentent des images satellites et justifient leur stratégie avec l’appui de photos de bâtiments touchés par les frappes aériennes. il faut dire que la guerre du Kosovo, et son contrôle médiatique, ont fait sur les diplomates et militaires russes l’effet d’un électrochoc plus fort encore que l’élargissement de l’OTAN aux pays de l’ex-bloc soviétique. Elle a confirmé les craintes de ceux qui, à Moscou, ont peur des occidentaux et renforcé sérieusement le sentiment d’isolement du pouvoir russe. Il fallait réagir ; le Caucase est apparu comme l’occasion rêvée.

Bataille pour le pétrole de la Caspienne…

Les islamistes caucasiens s’y entendent en dollars aussi bien qu’en théologie coranique. Autant que l’instauration d’une république islamique radicale, ils cherchent à faire main basse sur les richesses liées à l’exportation du pétrole de la Caspienne. Un oléoduc russe passe par le Dagestan et le nord de la Tchétchénie et débouche au port de Novorossik. Les Russes veulent doubler cet oléoduc mais l’incertitude persistante quant à la sécurité de l’ouvrage pourrait faire choisir une autre route aux compagnies pétrolières, passant par la Géorgie et la Turquie. Les buts des chefs de la rébellion islamique, au premier rang desquels se trouve Chamil Bassaïev le vétéran de la première guerre de Tchétchénie, sont difficiles à suivre. Tantôt il s’agit de prendre le pouvoir en Tchétchénie, d’évincer le président Massadov et son clan, tantôt de fédérer les islamistes radicaux du Caucase dans une république islamique fondée sur la charia, tantôt il semble que la priorité soit de gêner les Russes et de les évincer du Caucase.

… et pour le pouvoir à Moscou

Les logiques moscovites sont plus simples à comprendre. L’obsession du Kremlin, bien au-delà de la Tchétchénie, est le contrôle du pouvoir à Moscou. Éviter la déroute annoncée aux législatives de décembre et par voie de conséquences aux présidentielles de juin 2000 ne sera pas facile. La moindre apparition de Eltsine renforce son impopularité et son Premier ministre Vladimir Poutine est un inconnu sorti tout droit du KGB puis du FSB. Ce dernier ne peut en outre compter sur aucun succès, et surtout pas dans le domaine économique. La seule stratégie possible pour le clan au pouvoir, et particulièrement pour la famille Eltsine, est de durcir la situation, d’accentuer la tension. Ils ont un besoin impératif de victoire, d’où l’intérêt du Kremlin à gagner cette guerre. De plus la guerre au Dagestan et en Tchétchénie, républiques qui font encore partie officiellement de la Fédération de Russie, pourraient être le prétexte à une reprise en main musclée. La presse bruisse de rumeurs d’annulation du scrutin et d’instauration de l’état d’urgence. Pour tenir le rôle de dauphin-dictateur, Vladimir Poutine convient parfaitement.

Très sale guerre

La volonté de maîtriser les médias à l’occidentale a conduit Poutine à s’entourer de conseillers en communication pour soigner son image mais cela ne lui évite pas les dérapages, contrôlés ou non. Il promet chaque jour « d’anéantir les bandits, jusqu’aux derniers, où qu’ils se trouvent » quand il ne jure pas de « les butter jusque dans les chiottes ». Le ton est inhabituel à nos oreilles occidentales mais il rend assez bien compte de la réalité. L’armée russe bombarde en effet depuis plusieurs semaines le territoire tchétchène, causant des morts et surtout de considérables déplacements de populations civiles. L’Ingouchie, minuscule République caucasienne voisine en accueille déjà 150 000 alors qu’elle se dit capable d’en nourrir 5 000 et que les Russes interdisent toute aide humanitaire. Qui sait ce qui se passe dans les camps et quelles sont les conditions de vie de ces hommes et de ces femmes ?

Il faut toute l’indifférence de populations occidentales repues et tout le cynisme de leurs dirigeants pour qu’on laisse de telles situations se développer sans réaction. Côté russe, la situation n’est guère plus brillante, surtout pour les soldats, enrôlé le plus souvent de force. Depuis 1990, sans vraiment de réaction de notre part non plus, les mères dénoncent les mauvais traitements, les crimes maquillés en suicides, les bizutages pervers et les officiers qui vendent leurs hommes pour travailler sur les chantiers à risques de centrales nucléaires. Dans les deux camps donc, les chefs de guerre font la loi, les barrons font régner la terreur, au nom de la véritable internationale, celle du pouvoir politico-mafieu.

Franck Gombaud. — groupe Sabaté (Rennes)


Suède

Assassinat d’un syndicaliste de la SAC par des nazis

Dans la nuit de jeudi 12 octobre, à Satra, un faubourg de Stokholm, un militant de la SAC, le combatif syndicat libertaire suédois, a été assassiné par trois coups de revolver. Le syndicaliste était depuis longtemps dans la ligne de mire des groupes nazis à cause de son action visant à démasquer l’implication du leader d’un de ces groupes dans l’organisation d’un attentat terroriste contre un journaliste antifasciste. Ces faits extrêmement graves témoignent du dynamisme croissant des nazi-fascistes suédois, qui montrent toute leur violence antihumaine et antisociale dans leurs actions racistes dirigées contre les travailleurs immigrés.

Le secrétariat de l’Internationale des Fédérations anarchistes, tout en affirmant son entière solidarité militante à la SAC et au Mouvement libertaire suédois, si durement touchés, réaffirme avec force l’implication antifasciste de l’IFA. NO PASARAN !

Le secrétariat de l’Internationale des Fédérations anarchistes


Lecture

Ne pas tomber dans la haine des autres

Dans cette rentrée littéraire, qui foisonne de romans, difficile de ne pas parler du dernier Hubert Selby Jr, Le Saule, qui fait un grand come-back après Last exit to Brooklyn, paru en 1970. Dès les premières pages, nous sommes plongés dans un monde fait de bruits, de cris, de couinements de rats, un taudis où le héros Bobby vit depuis sa plus tendre enfance.

Avec ce style qui lui est propre, sorte de distorsion linguistique, nous pensons qu’il va nous faire découvrir cet univers où la drogue, la prostitution, la violence, le meutre régnent, dont plusieurs écrivains noirs se sont fait l’écho ; je pense à Herbert Simmons avec Corner Boy ou encore Charles Perry avec Portrait d’un jeune homme qui se noie, deux romans magnifiques. Paradoxalement, Selby n’en parle pas. Lorsque Bobby sort de chez lui, c’est pour aller retrouver sa petite amie Maria et gentiment aller à l’école ! Mais voilà, Maria est portoricaine et lui est noir, ce qui lui vaut de se faire « casser la gueule » et elle d’être vitriolée par de jeunes Portoricains. Le racisme va-t-il être la problématique de ce livre, avec ses conséquences, la haine et la vengeance ?

Non, Bobby cède aux vertus purificatrices du pardon, telles qu’enseignées par le vieillard qui l’a reccueilli et soigné, un certain Moishe, ancien déporté. Le récit de cette révélation s’étale dans la longueur, l’apitoiement (on apprend que Maria se suicide) et finalement nous énerve avec ses envolées lyriques judéo-chrétiennes : « Des diables, plus puissants que tous les anges du ciel qui drapaient cette petite fille dans leurs affreuses capes de ténèbres, enfonçaient leurs dents pourries et leurs griffes dans sa chair brûlée pour lentement, vicieusement, l’arracher de son corps en lambeaux et jeter ce corps qui ne voulait pas mourir dans les limbes du feu éternel. » Ce roman pourrait s’interpréter comme étant le testament de Selby, Moishe étant lui-même, dans lequel, comme un prophète, il nous annoncerait l’ère de l’amour universel !

Contrairement à Selby, Joseph O’Connor, dans son dernier roman, À l’irlandaise, utilise des personnages criants de vérité parce que humain, c’est-à-dire ayant des vices. C’est ce qui fait la force de ce roman dans lequel on découvre un homme qui vient de perdre sa fille sauvagement agressée, et qui se fait le narrateur de sa haine, de son désir de vengeance pour le jour où sa fille sortira du coma. Le passé et le présent se superposent dans des journaux qui s’entrecroisent, le lecteur devant reconstruire le récit de cette non-vengeance, qui ne passe pas par le pardon mais par la vie. Une identité s’est construite dans la haine, pour la dépasser, pour être.

C’est là le chemin qu’emprunte Jean-Luc Payen dans son dernier roman, Le Hamac rouge, où il nous fait découvrir un narrateur, personnage de fiction, qui revient sur son enfance, son adolescence, sur la formation de son identité dans la haine de son beau-père. C’est en tant qu’adulte qu’il écrit en utilisant une écriture empreinte de tendresse sur ce monde perdu, en construisant un récit à mi-chemin entre le conte de fées noir et la chronique réaliste du monde des adultes.

« Je restais toute la journée dans l’appartement à écouter de la musique et à lire, allongé dans le hamac rouge. Je lisais beaucoup. Des huit, dix heures d’affilée. Je me demandais comment faisaient les écrivains, comment ils s’organisaient, d’où ils sortaient tous ces trucs ? Les dialogues, les descriptions, toute la construction du récit. Quatre cents, cinq cents pages. Comment s’y prenaient-ils ? Il me semblait que c’était ce qu’il pouvait y avoir de mieux à faire dans la vie. Et de plus difficile. Les écrivains étaient des magiciens. »

Mais la haine peut mener à la destruction de soi. C’est ce que nous montre Clémence de Bieville dans son dernier roman, L’Amour en grippe. La narratrice vit retirée dans une petite ville de province avec sa sœur, femme plantureuse, et sa nièce, dans une maison en verre qui n’offre aucune place à l’intimité. Cette vie qui semble sans problème va être rompue par l’arrivée d’un quatrième personnage, un homme que la narratrice a connue il y a plusieurs années, et avec qui elle a eu une aventure. L’amour va s’insinuer dans ce trio et secréter la rancœur, la jalousie, la Haine et son complément la vengeance. « Je songeais que l’amour, à quoi chaque bipède aspire, est la passion la moins généreuse de toutes ; elle isole ceux qui en sont atteints ; elle ne tolère rien autour d’elle et détruit implacablement tous les liens, toutes les affections qui la précèdent ; elle est la source de la discorde, de la haine, de l’amertume. Un torrent de sel. » Le lecteur pénètre dans un roman psychologique noir qui se lit comme un polar, et découvre au fil des pages que cela pourrait être lui, que ce comportement pourrait être le sien, que c’est combat de tous les jours de ne pas tomber dans la haine des autres.

Tous ces romans, à l’exception du Selby, sont servis par une écriture extrêmement rythmée, se lisent avec beaucoup de plaisir et méritent le détour parce qu’ils nous renvoient à nous-mêmes, à la société dans laquelle nous vivons.

Boris Beyssi (« Le Manège » — Radio libertaire)

Le Saule, Hubert Selby Jr, éditions de l’Olivier.
À l’irlandaise, Joseph O’Connor, éditions Robert Laffont.
Le Hamac rouge, Jean-Luc Payen, éditions Joëlle Losfeld.
L’Amour en grippe, Clémence de Bieville, éditions Grasset.


Lecture

Se vouloir vivant

Thierry Maricourt

Parler de poésie est difficile… et peut-être un peu vain. La poésie se vit très bien toute seule et n’a besoin d’aucune explication. Simplement, il en est de vibrante, et il en est d’inutile. La poésie de Thierry Maricourt fait partie, heureusement, des premières, et les éditions Rafael de Surtis offrent à ce nouveau recueil « Se vouloir vivant » son beau papier crème et sa jolie couverture sobre, mettant en valeur cette poésie faite de désirs, de fêlures et de fragilité rentrées, nourrie de quotidien, d’éphémère ou d’amertume, de tuiles à changer et de patins à roulettes. Les années passant, après d’autres recueils remarquables comme « La ville après la pluie » ou « Advienne que jouera », les mots de Thierry Maricourt se font plus précis, ciselés et tranchants. Ce recueil est sûrement le plus beau de tous ceux qu’il a publié à ce jour, et on voudrait ici tout recopier, tant on a envie, après les avoir lues, de partager avec le plus grand nombre ces paroles : « Se vouloir violoniste pour retenir l’averse/arrêter les guerres/éteindre les guirlandes trop roses au-dessus des villes/dérouter les chasseurs d’écureuils/pour tendre sur une note chaque seconde/pour de chaque pluie tisser un premier concerto »…

Se vouloir vivant est une voix différente et rebelle qui ne vous lâche plus. Parfois âpre, parfois sombre, cette poésie, tendue comme un arc, est bénéfique à ceux et celles qui s’y plongent même si, ici ou là, perce un certain désenchantement. Se vouloir vivant, dans un acte conscient, exige en effet une lucidité courageuse, avec parfois pour seule compagne : « La tristesse d’un enfant qui ne veut pas s’en revenir là où on le conduit ». Voilà des mots qui touchent, émeuvent, ne reculent pas devant le silence et laissent finalement émerger un chant profond et libre. « Ma voix se mêle à toutes les mélopées/je les apprends pour n’en retenir qu’une/au fil des mois, des routes et des regards/on ne me les volera pas et le ferait-on/le ferait-on que j’en trouverais d’autres/quelque part, forcément/car je n’ai pas peur de l’eau de l’herbe et des quais/car je marche sur les mains quand je ferme les cils. »

Car qu’est-ce que se vouloir vivant, si ce n’est pas se vouloir debout ?

Cathy Ytak

Se vouloir vivant. Thierry Maricourt, postface de Philippe Lacoche. Illustré par Florian Maricourt. Éditions Rafael de Surtis, collection « Pour une Terre interdite ». prix : 60 FF.


Cinéma

Moloch 

Alexandr Sokourov

Alexandr Sokourov est un des grands artistes de notre temps. Quand il déclare à Cannes où son film était en compétition « le phénomène de la culture russe est un phénomène profond, le temps n’a pas pu le tuer », il poursuit l’œuvre des grands auteurs, Eisenstein, Tarkovsky, mais en tant qu’artisan et humble travailleur, où tout se fait ensemble. L’image crépusculaire, la mise en distance, la beauté visuelle, comment obtient-on l’effet brume ? « On ne voulait pas animer les personnages, on voulait l’ombre des personnages, de sorte qu’ils se dissolvent dans la lumière ! » Cette rigueur artistique correspond à une éthique sans complaisance avec la tyrannie. Moloch, une journée ordinaire dans la vie de Hitler et de Eva Braun, dissèque le monstre historique dans sa banalité. « La dictature est toujours le résultat des erreurs de millions de vient pas comme ça. La source est à chercher parmi nous… Les gens du pouvoir sont des gens ordinaires qui deviennent très dangereux, car nous les gonflons par notre admiration et notre idolâtrie. Les hommes politiques doivent être à l’ombre et travailler… Sans comprendre le visage “simple” du nazisme, on ne peut comprendre le mal… Le mal n’a pas de mystère… Une médiocrité militante est à l’origine du nazisme. »

Un énorme travail sur les archives russes montre ­Hitler et Eva Braun regardent les actualités allemandes ­ sur quelle mystification de l’image (les troupes avancent toujours victorieusement) le nazisme s’est appuyé. Sokourov a sélectionné dans ces matériaux des séquences significatives de l’année 1942. Le travail extraordinaire des comédiens ­Hitler : Leonid Mosgovoi, Eva Braun : Elena Rufanova ­ est à l’image de la perfection atteinte par le cinéma de Sokourov. La mise en scène crée l’illusion de la ressemblance, alors qu’il n’y en a aucune. Quand on évoque cette performance, Sokourov répond simplement « nous avons fait ce film ensemble ». Le film ressemble à rien de connu et de convenu. L’envoûtement que produit le cinéma de Sokourov ne jaillit pas de l’imagination d’un illuminé, c’est le fruit d’un travail, porté à des sommets par son cameraman Alexei Fedorov, dont Mère et fils était déjà une puissante illustration. Vu l’impact des images, il est curieux que son scénariste, Yuri Arabov, et l’adaptatrice des dialogues en allemand, Marina Koreneva, aient été primes à Cannes. Même si l’originalité du travail de peintre et de plasticien exceptionnel qu’est le cinéaste Alexander Sokourov, n’est plus à démontrer, une reconnaissance internationale ne pouvait qu’aider son œuvre et la carrière de Moloch.

Heike Hurst (« Fondu au Noir »)


La Fédération municipale de base de Spezzano Albanese

Pratiques du communalisme libertaire

Domenico Liguori est membre de la commission de correspondance de la FAI (Fédération anarchiste italienne), et est un des fondateurs de la Fédération municipale de base (FMB) de Spezzano Albanese, ville agricole de Calabre, dans le sud de l’Italie, de 6 000 habitants et où l’on parle encore l’albanais ancien. Nous l’avons rencontré à l’occasion de la « 6e foire de l’autogestion », dont l’hôte à justement été la FMB de Spezzano Albanese (cf ML nº 1172).

ML : Pourquoi la foire de l’autogestion à Spezzano Albanese ?
DL : Déjà après la première foire de l’autogestion qui a eu lieu à Alessandria, on nous a proposé d’accueillir une de ces foires à Spezzano, vu l’intérêt que suscitait la FMB. Mais la carence de structures adéquates pour l’acceuillir nous a fait attendre jusqu’à cette année, où malgré la difficulté que cela représente à organiser, nous avons fait prévaloir les échanges entre la FMB et les autres expériences autogestionnaires.

ML : Quelles activités la FMB développe en ce moment ?
DL : La FMB est une structure qui regroupe différentes « sous-structures » : les Syndicats de base autogestionnaires pour ce qui est de la thématique du travail, et l’Union civique qui regroupe tous les citoyens adhérents et agit sur la thématique territoriale. Les luttes menées en ce moment sont liées à l’environnement, par exemple pour ce qui est du ramassage des ordures, la mairie veut engager une entreprise privée, tandis que nous tentons d’imposer une coopérative de jeunes chômeurs de Spezzano pour s’en occuper.

ML : Aujourd’hui nous savons que la la FMB s’interresse à la création de comités de quartiers. Pourquoi ces nouvelles structures ?
DL : L’Union civique avait déjà proposé plusieurs fois l’idée des comités de quartiers, mais c’est lors des dernières élections municipales que la FMB a lancé une campagne pour leur création. En effet, comme elle se veut une structure de masse, la FMB ne mène pas de campagnes abstentionnistes, mais affirme que, que l’on aille voter ou non, l’important est de ne pas donner des chèques en blanc aux administrateurs, donc pour cela de créer un maillage fin de l’organisation alternative qu’est la FMB grâce aux comités de quartiers. Cela afin d’avoir un contrepoids réel au pouvoir municipal. Cette proposition a été très bien accueillie par la population : un comité existe déjà et un second est en cours de création.

ML : Justement, quelle est l’implication des citoyens dans la FMB ?
DL : Bonne ; une partie des citoyens adhère à la FMB (environ 130-140, ndlr.), et autour il y a un grand mouvement de sympathie qui se transforme peu à peu en adhésions. Les comités de quartiers en sont l’illustration parfaite : d’abord créés par des gens non-adhérents, ils sont aujourd’hui fédérés à la FMB.

ML : Pourquoi, en partant d’un syndicat de base, on est arrivé à la création de la FMB et aujourd’hui des comités de quartiers ?
DL : L’évolution est née sur une réflexion critique sur les luttes menées pendant les années 70-début 80 d’un côté ; et de l’autre côté sur l’expérience historique et le projet communaliste propre à l’anarchisme. De cette réflexion est née l’exigence de créer une organisation de masse territoriale, embryon de la sociéte libertaire, capable d’organiser non seulement le monde du travail, mais toute l’activité humaine : c’est là notre municipalisme.

ML : Est-ce que ce type d’organisation vous permet de ne plus dépendre des hauts et des bas des luttes sociales, mais au contraire d’installer une sorte de « climat de lutte permanent » ?
DL : Certainement, puisque en partant d’une revendication immédiate on créé un projet alternatif à long terme. Au contraire des marxistes qui utilisent les luttes des travailleurs pour leur prise de pouvoir, les anarchistes ont toujours été pour l’abolition de l’Etat et la création d’une société horizontale et fédéraliste, qui ne se fera pas toute seule : je pense que le municipalisme est la réponse a ce type d’organisation sociale adopté par les anarchistes.

ML : Le modèle de la FMB s’étend dans la région (San Lorenzo del Vallo, San Giovanni in Fiore). Quel a été l’apport de la FMB de Spezzano Albanese à ces nouvelles organisations ?
DL : Pour San Lorenzo il y a une proximité géographique et en plus des personnes proches du groupe anarchiste de Spezzano, qui ont suivi l’évolution de la FMB. Il ont ressenti le besoin de faire naître la même structure dans leur ville. La situation de San Giovanni est différente : il n’y avait pas de présence libertaire. Des jeunes ont connu notre expérience par des relations personnelles avec des adhérents de la FMB ; ils ont ensuite fait plusieurs réunions ensemble pour développer la question, et c’est comme cela qu’est née une FMB à San Giovanni. Cela démontre que pour la création d’une FMB la présence d’un groupe anarchiste n’est pas indispensable, et que la loi de l’exemple fonctionne bien.

ML : Comment est perçue la FMB par la FAI (Fédération anarchiste italienne) ?
DL : La FAI est une fédération de synthèse et pas de tendances, en son sein il y a différentes approches des thématiques sociales. Elle est partie prenante du projet communaliste comme du projet autogestionnaire au sens large. Beaucoup de copains fédérés sont présents pour l’organisation de la foire de l’autogestion, d’autres travaillent dans le syndicalisme de base, d’autres développent des thématiques antimilitaristes, anticléricales… La FAI montre le même intérêt à toutes les interventions menées dans le social par ses membres, interventions qui en perspective sont toutes utiles à la construction de la société libertaire qui nous tient à cœur.

Propos recueillis et traduits par Marisa et Xavier, ­groupe Proudhon (Besançon)