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articles du ML1191

du 3 au 9 février 2000
Le jeudi 3 février 2000.

https://web.archive.org/web/20040506180257/http://www.federation-anarchiste.org/ml/numeros/1191/index.html

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Marée noire : le gachis capitaliste

18 mars 1967, première marée noire en Bretagne avec un pétrolier libérien. Instant de panique car aucun expert jusqu’à ce moment n’avait pu imaginer qu’un pétrolier puisse s’échouer : en Angleterre, on utilise du détergent pour nettoyer la côte en détruisant tout organisme vivant ! Les bénévoles sont mis à contribution alors que l’on ne verra sur le terrain aucun politique. Lors des marées noires qui suivront, même s’il sera toujours fait appel aux bénévoles, l’État reprendra sa place (avec intervention de l’armée…). Son objectif est de montrer qu’il est indispensable et qu’en dehors de lui point de salut.

Après de longues (trop longues !) tractations financières avec un remorqueur qui devait l’éloigner des côtes, le 16 mars 1978, c’est au tour de l’Amoco-Cadiz de défigurer les côtes bretonnes. Le plan Polmar est pour la première fois mis en place sans réussite particulière : 300 kilomètres de côtes sont englués. Dix ans après le 1er accident, c’est la colère, l’indignation et la révolte qui gagne les breton-ne-s. Les politiques, qui souhaitent se maintenir à leurs postes, ont nommé (comme ils l’ont aussi fait il y a quelques jours) une commission d’enquête parlementaire. La multinationale Standard Oil, comme Total, présentera ses profonds regrets. Depuis les statistiques de la préfecture maritime de Brest sont implacables : 17 pétroliers se sont trouvés en difficulté au large des côtes bretonnes depuis 1979. L’Erika ne peut donc en aucun cas être présenté comme un accident.

Logique de profit = logique de mort

Les statistiques sont terribles car elles mettent en évidence le risque généralisé de pollution D’ailleurs, depuis trois marées noires sont à déplorer : Turquie, Irlande et Brésil. Toujours d’après la préfecture maritime de Brest, lors des dernières inspections, 50 % des navires présentent de graves défauts, 80 % des accidents sont survenus avec des navires de plus de 15 ans. L’Erika bien évidemment n’échappe pas à cette logique. « L’Erika est un bateau vieux de 25 ans qui a changé huit fois de noms et trois fois de pavillons, passant d’un enregistrement à Panama, puis à Chypre avant de finir à Malte (1). » Le lien de causalité entre l’exigence de résultat, la course au profit maximum et la marée noire est évident. Tellement évident que ce constat fait unanimité à gauche comme à droite. Lors de sa visite bretonne, Chirac déclare : « il n’est pas acceptable que la collectivité subisse de plein fouet des dommages causés par la course effrénée au profit (2). » Devant Demarest (PDG de Totalfina), au conseil régional à Nantes, des élu-e-s du Parti Socialiste à ceux du RPR, tous ont « exprimé leur volonté de mettre fin à un libéralisme économique sauvage qui fait fi de la vie des gens et de leur environnement (3) ». Passage obligé pour ces tenants du capitalisme afin de ne pas se mettre à dos l’ensemble de la population écœurée des pratiques de Total et des grandes multinationales en général. Comment ne pas être choqué par le groupe Total qui casse ses coûts de transport (en prenant des risques au niveau de la sécurité) alors que cet été, après un feuilleton à rebondissements, Total a racheté Elf. Grande campagne publicitaire qui a permis à Demarest de devenir le PDG de l’année !

Avec le chômage, la mondialisation… le libéralisme a mauvaise presse. Même Madelin estime que l’État doit encadrer le libéralisme. Même Pasqua a voté pour qu’il y ait une commission d’étude sur la taxe Tobbin au parlement européen. Mais on se contente de dénoncer vaguement le libéralisme sauvage (ou outrancier…) car cela évite une mise en accusation du capitalisme lui-même. Quelle est donc la différence entre « libéralisme », « libéralisme sauvage » et « capitalisme »… ? Aucune ! Le capitalisme est un système où les moyens de production et de distribution sont détenus par une classe sociale. La bourgeoisie tente à son niveau d’en avoir un contrôle absolu. Son objectif est simple : augmenter ses profits ! Ainsi quand on licencie dans une entreprise, les actions grimpent en Bourse. Les actionnaires sont contents : la masse salariale diminue et les profits augmentent ! Ainsi une compagnie pétrolière a aussi tout intérêt de réduire ses coûts de transport, quitte à prendre des risques qu’il conviendra d’estimer et d’assurer.

Quand les riches polluent, les pauvres nettoient !

Dès le premier jour de pollution, les bénévoles ont afflué. Dégoûtées par la situation, c’est par réaction émotionnelle que des centaines, des milliers de personnes se sont proposées. Les stations côtières, ces villes faisant des bénéfices énormes avec le tourisme et qui par ce biais ne respectent aucunement l’environnement (urbanisation du front marin…) les ont accueillies à bras ouvert. La question de la protection sanitaire n’a jamais été posée. Effectivement le fioul ça pue… Au bout de quelques heures, on peut avoir des formes d’étourdissements et/ou de nausées, mais les pouvoirs publics nous ont rassurés : les dangers sont limités. On leur fait confiance : le 15 décembre, ils nous disaient que tout risque de pollution était écarté ! En direct sur France Inter, le PDG de Totalfina, un peu gêné devant de tels dévouements, a donné une journée de son salaire aux bénévoles. Sans préciser la somme ! Quelle générosité quand on sait que le chiffre d’affaire horaire de Total est de 40 millions de francs ! Quelle générosité quand on nous ressasse sans arrêts les fondements de la citoyenneté : quand on commet une faute, on se doit de la réparer.

Les bénévoles étant moins nombreux après les vacances scolaires, des membres du Conseil Général de Loire-Atlantique ont parlé de mettre en place des CES spécifiques de trois mois. SOS Racisme a proposé que des « brigades » de jeunes volontaires (bénévoles) nettoient la côte. Dans un élan révolutionnaire, ses acolytes du PS ont tout de même proposé que Total fournisse cirés et pelles. La justice a été contactée et les TIG (travaux d’intérêts généraux) ont été multipliés en direction de la côte.

Que le nettoyage de la nature se fasse au détriment de la nature elle-même ne gêne pas outre mesure. Sans être particulièrement expert, se pose la question du stockage et, dans la précipitation, le fioul a été déposé dans des sites intermédiaires sans protections particulières vis-à-vis des sols. Un élu de la commune de Tharon Plage (44) s’en explique : « Il faut comprendre. Tout le monde était sous le choc lorsque les premières plaques de fioul sont arrivées. Instinctivement, on a commencé par ramasser avant de se poser la question du stockage. » (4) De même, des anciens sites de 1978 ont été étrangement retrouvés, comme oubliés par miracle : à Donges (44), on a trouvé 4 000 tonnes ainsi qu’à La Rochelle… Et au-delà même des déchets, le nettoyage ne prend pas en compte l’écosystème. Effectivement, on observe des passages répétés d’engins, des nettoyages avec des jets d’eau très puissants, des enlèvements massifs de sable sur les plages… L’objectif n’est pas de respecter l’environnement mais de sauver la saison touristique : il faut donc que dans les apparences tout soit propre.

En 1978, cela devait être déjà la dernière. Les politiques réclament des réglementations. Même le PDG de Total y va de sa prose : « Il faut aussi augmenter la fréquence des arrêts techniques des navires de plus de 20 ans… Il faut créer un organisme européen de contrôle des sociétés de classifications… (5) » Il faut en quelque sorte assagir le capitalisme, expliquer à un-e bourgeois-e, qu’il serait souhaitable qu’il cesse de vouloir se faire toujours plus d’argent.

La dernière marée noire ?

Capitalisme et écologisme sont incompatibles. Et, au sein des différents collectifs, on peut et on doit lutter contre toute forme de récupération politique. Mais cela ne doit pas nous empêcher de poser les questions de fond au risque de revivre la même chose dans dix ou vingt ans.

Car depuis décembre dernier, la gauche plurielle très discrètement instaure un permis de polluer. Certes, la revendication « Total doit payer » ou « pollueur payeur » est légitime devant l’urgence de la situation mais, dans le principe, elle est aussi dangereuse. Cela revient à légitimer le droit de polluer pour les possédants. Certes les matières premières n’existent pas en quantité infinie mais instituer un seuil d’utilisation au-delà duquel on doit payer est un système pervers. Le patronat intégrerait cette donnée pour la faire répercuter ailleurs. Le patronat négocierait dans un premier temps des réductions des coûts sociaux (réductions des charges sociales par exemple réclamé par le patronat du transport face à l’augmentation du gasoil). Dans un deuxième temps, il intégrerait dans ses prix de vente le coût de la taxe et la pollution serait ainsi entérinée. Mais le système du permis de polluer, proposé par les États-Unis et que s’apprête à signer le gouvernement, est encore plus pervers (6). En achetant et en entretenant des parcelles de forêts, on pourrait ainsi s’acheter des droits de polluer par ailleurs. Si on estime qu’une aire de forêts absorbe tous les ans 1 tonne de CO2, il ne reste plus qu’à faire le calcul. Ce système est en train de se mettre en place au niveau du continent sud-américain… Bien évidemment, selon la direction commerciale de Peugeot, son achat récent de 12 000 hectares de forêt au Brésil est une pure coïncidence. Libéralisme sauvage ou tout simplement capitaliste ?

Régis B. — groupe FA de Nantes

(1) Le Monde libertaire nº 1188 du 13 janvier 2000.
(2) Ouest-France du 20 janvier 2000.
(3) Ouest-France du 23 janvier 2000.
(4) Le Parisien du 19 janvier 2000.
(5) Libération du 24 janvier 2000.
(6) Présenté à l’occasion du programme de lutte contre les effets de serre le 19 janvier 2000.


Transport maritine : toujours la loi du profit

Le problème posé par le naufrage de l’Erika est celui du transport maritime des hydrocarbures. Pourquoi celui-ci a-t-il pris des proportions considérables ? Parce que l’énergie, la houille d’abord, puis le pétrole et l’électricité sont devenus indispensables à toute activité agricole, industrielle, commerciale, à la vie domestique, aux loisirs. Plus précisément, le système capitaliste, toujours à l’affût du profit, découvre, avec le pétrole, une nouvelle source de gain, et oriente dès lors la société vers une production accrue, et même un gaspillage organisé de cette énergie. C’est sans nul doute l’essor de l’automobile, symbole fort du capitalisme, qui a amorcé la pompe des 500 millions de véhicules circulant dans le monde et qui sont les plus grands consommateurs d’énergie fossile. De 1950 à 1970, la consommation totale d’énergie double en Amérique du nord et triple presque en Europe occidentale. En 1970, les Occidentaux, qui ne sont qu’un sixième de la population mondiale, consomment à eux seuls plus de la moitié de l’énergie produite dans le monde. Chaque année, l’humanité consomme une quantité de combustibles fossiles équivalente à celle constituée en un million d’années !

Le pétrole ouvre la perspective d’une rente considérable : royalties pour les pays producteurs, taxes à la consommation pour les États des pays consommateurs, mais surtout profits pour les compagnies pétrolières internationales. Le fameux or noir ! Quelle qu’en soit la couleur, l’or n’a jamais profité aux pauvres. Le fait que, d’une part, les principaux pays producteurs soient arabes, et que d’autre part les pays gros consommateurs sont l’Europe occidentale et le Japon, nécessite une organisation gigantesque du transport des hydrocarbures. Ce trafic maritime pétrolier important va se développer selon la loi du profit.

Le transport maritime au moindre coup

Il faut, on l’a vu un, volume global de « production » de plus en plus important. L’organisation de la société s’établit donc dans le sens du gaspillage : matraquage publicitaire pour créer des besoins artificiels, usure programmée des biens de consommation, politique des transports privilégiant la voiture individuelle au détriment des transports en commun et du rail. Il faut des navires de plus en plus gros puisque la tonne de pétrole transportée par un bâtiment de 550 000 tonnes coûte 3 à 6 fois moins cher qu’avec un bâtiment deux fois moins gros.

Il faut réduire les coûts d’entretien, louer des bateaux le moins cher possible, au voyage. D’où la multiplication des navires-poubelles, ne répondant pas aux normes techniques et responsables des marées noires (il faut savoir que 60 % des catastrophes en mer concernent des navires âgés de plus de 15 ans et que le contrôle technique obligatoire tous les cinq ans n’existe pratiquement pas ; en outre, les experts des sociétés de classification qui délivrent les documents garantissant le bon état de navigabilité, sont financés par les armateurs !). C’est le cas de l’Erika : une des citernes du pétrolier, âgé de 25 ans, était dévorée par la corrosion (corrosion d’ailleurs signalée par la société de classification italienne Etna). C’est la fissure d’une cloison qui a fini par provoquer la cassure du navire en deux parties.

En 1980, un rapport officiel du ministère des transports, le rapport Chassagne, mettait en évidence l’impérieuse nécessité de renouveler la flotte pétrolière française (les besoins étaient estimés à 15 navires de plus de 200 000 tonnes pour le pétrole brut, et autant de 20 000 à 40 000 tonnes pour les produits raffinés). Il faut réduire les coûts de main-d’œuvre. D’où le développement des pavillons de complaisance (qui représentent 60 % de la flotte mondiale) et qui permettent aux grandes compagnies d’exploiter les marins des pays pauvres, les « négriers des temps modernes », parce que les paradis fiscaux que sont Panama, Chypre, Malte et autres Bahamas offrent des avantages considérables et une réglementation des plus laxistes. La France ne peut d’ailleurs pas se permettre de donner des leçons. C’est Chirac, alors Premier ministre, qui a créé en 1987 le « registre blé » des Kerguelen, qui permet, tout en restant sous les couleurs nationales, de ne pas appliquer le code du travail maritime et d’employer des marins étrangers à des conditions qui ne sont pas celles des marins français.

Des législations bidons

Comment réagit la classe politique ? Comme d’habitude. D’abord, on minimise avec des phrases telles que « Une pollution majeure mais pas catastrophique », puis on se lance dans les vœux pieux. Le PS propose sans rire de créer une commission d’enquête parlementaire sur le transport maritime. Nos ministres plaident pour le renforcement de la sécurité dans les transports maritimes ; ils veulent porter la limite des eaux territoriales françaises à 200 miles nautiques et durcir les sanctions à l’égard des donneurs d’ordre. La commission de Bruxelles envisagerait d’imposer aux navires un contrôle technique annuel.

De qui se moque-t-on ? Voilà plus de 20 ans que les premières alarmes ont été lancées concernant le transport maritime des hydrocarbures (voir La Nature dé-naturée de J. Donet en 1965). Rien ou presque n’a été mis en œuvre depuis. Ce ne sont pourtant pas les textes, les délibérations d’initiatives européennes qui ont manqué. En 1993, un contrôle accru des pavillons de complaisance et des sociétés de classification était déjà prévu. Les eurocrates entendaient aussi faire appliquer le principe « pollueur-payeur ». L’absence de volonté politique a permis aux navires-poubelles de proliférer. Faudrait-il croire qu’une nouvelle législation modifiera la situation alors que l’existante n’est pas appliquée ? Faudrait-il croire à la volonté du gouvernement de préserver l’environnement alors qu’il s’engage dans la voie des « permis de polluer » comme le souhaitent les industriels ? Il faut comprendre qu’on ne peut « réguler » le capitalisme, selon un concept à la mode : on subit sa dynamique ou on la casse.

Jean-Pierre Tertrais. — groupe La Commune (Rennes)


Violence à l’école : toujours plus de sécuritaire dans un monde de brutes

Vols, rackets, persécutions, insultes, agressions, grève de profs et parents d’élèves… Les dernières recrudescences de violence dans les établissements scolaires ont remis ce débat sur la table, récurrent quand les médias n’ont rien à se mettre sous la dent. Alors nos chères têtes blondes auraient-elles perdu la raison ? En tous cas, depuis 1998, la violence à l’école est une priorité du ministre de l’Éducation nationale Claude Allègre, qui devait présenter la seconde partie de son plan gouvernemental de lutte contre la violence, très attendu par la presse, les parents d’élèves et les enseignants.

Du personnel précaire pour améliorer les choses…

Le ministre a commencé par créer cinq nouvelles zones prioritaires : Lille, Versailles, Rouen, Toulouse et Strasbourg, ce qui fait une soixantaine d’établissements du second degré supplémentaires environ. En ce qui concerne le manque d’effectifs (enseignants, infirmières, médecins scolaires, surveillants…), presse écrite et radios pronostiquaient la création de 20 000 aides-éducateurs. En réalité, les chiffres ministériels sont bien en deçà des espérances : en effet, ce sont 7000 postes qui vont être créés, parmi eux 4000 aides-éducateurs, et seulement 100 infirmières, 800 surveillants et 100 CPE. Grande nouveauté : les ATOS (Agent technique ouvrier et sanitaire) seront remplacés par 2000 emplois-jeunes ouvriers, recrutés à niveau CAP-BEP. Et point de postes d’enseignants !

Malheureusement, depuis de nombreuses années, professeurs et élèves font grève et manifestent contre le sous-effectif de ces premiers, les non-remplacements de professeurs absents, les classes surchargées, tous ces facteurs qui rendent les conditions de travail des uns et des autres impossibles et survoltées. Mais la priorité est donnée à la création de ce nouveau type de travailleur social qu’est l’emploi-jeune, afin de venir en aide aux équipes pédagogiques déjà sur place. Le ministre assure que, cette fois, ceux-ci recevront une formation appelée « médiation/contact » afin de réagir au mieux une fois confrontés aux situations de violence. Les premières réactions de professeurs et d’élèves ne se sont pas faites attendre et soulignent que le manque de surveillants et de personnels administratifs fait que, bien souvent, les aides-éducateurs sont relégués à remplacer ce personnel manquant (surveillance de la cour, de la cantine, aide aux devoirs, papiers administratifs…). Ceci est d’une part en grande partie contraire à leur convention, et d’autre part les empêche de travailler au projet pédagogique qu’ils s’étaient fixé et pour lequel ils ont été embauchés. Mais l’avantage est que c’est un personnel très flexible, disponible pour boucher tous les trous, et qu’en plus, c’est la seule catégorie d’emplois-jeunes dont le poste ne sera pas pérennisé à la fin de ses cinq ans de bons et loyaux services. Alors que demander de mieux ! L’ensemble du corps enseignant déplore également que sous un préavis d’une semaine ou deux les emplois-jeunes peuvent quitter leur poste s’ils ont trouvé un emploi stable, pour être remplacé par un nouvel aide-éducateur avec qui il faut reprendre tout le travail de formation.

Prévention et répression sont dans un bateau, prévention tombe à l’eau…

Le second volet de ce plan de lutte contre la violence à l’école concerne l’amont du problème : la petite école. Sur ce terrain, Claude Allègre propose le retour en force de l’enseignement de la morale et de la citoyenneté à l’école. Ainsi, depuis septembre 98, des élèves de classe de seconde ont 16 heures annuelles d’Enseignement d’Éducation Civique Juridique et Sociale, assurées non pas par des enseignants supplémentaires, mais par les profs d’histoire-géo à 80 % des cas. C’est apparemment chaque prof qui décide de quoi il va traiter avec ses élèves, et cela semble être plus un espace de discussion et de réflexion qu’un cours formel. Pour ce qui est de l’apprentissage de la morale, le ministre a été avare de détails, on ne sait encore ni ce qui sera au programme, ni comment vont réagir les profs qui retombent 50 ans en arrière (pourquoi pas du catéchisme tant qu’on y est pour apprendre à respecter son prochain !).

Un autre grand slogan de ce plan de lutte contre la violence est la « justice scolaire », qui se traduira à la fois par l’établissement d’une échelle de sanctions scolaires et de punitions disciplinaires que pourra pleinement appliquer le conseil de discipline (jugé jusque-là incompétent car ne pouvant faire appliquer que les renvois supérieurs à huit jours) et également l’application des principes généraux du droit à l’école (sanctions et procédures écrites dans un règlement intérieur qui sera le même pour tous les établissements ; possibilité pour l’élève de se défendre ; proportionnalité et individualisation des sanctions). Encore une fois, il s’agit de rendre plus efficace le système de sanction, calqué sur le modèle d’un tribunal scolaire, alors que ce qui était attendu était de s’attaquer aux racines sociales de cette violence.

Et pour couronner le tout, Allègre a décidé de faire plaisir à Chevènement, lequel déclarait qu’il fallait « des sanctions sévères » à l’encontre des phénomènes de violence. Chose promise, chose due : sa police de proximité pourra donc patrouiller aux abords de 75 lycées très sensibles, voire intervenir à l’intérieur quand une altercation dégénère. On peut présager que ceci n’augure rien de bon et que la présence de policiers va en certains endroits encore plus accroître les tensions et non pas régler les problèmes.

Expression d’un mal-être général

Au-delà des déceptions provoquées par ce plan, une chose intéressante ressort de ces débats autour de la violence à l’école : tout le monde est conscient que celle-ci est poreuse aux violences du monde extérieur, et que ce qu’il s’y passe est le symptôme et le révélateur d’un mal-être chez les jeunes en général. Le fait est que l’on vit dans un système violent dans son ensemble, où le mythe de l’école de l’égalité des chances est balayé par les réalités économiques et sociales don tout le monde a conscience (chômage, précarité, compétitivité, racisme et discriminations, intolérances…). Au final, ce plan de lutte contre la violence à l’école, attendu et monté en épingle par de nombreux médias, est un flop complet. Allègre pense que précarité et sécuritaire vont endiguer le phénomène, il en est le seul convaincu. Même si ce type de mesures existaient déjà, elles ont au moins le mérite de mettre en valeur la personnalité déjà très critiquée du ministre, qui apparaît encore plus comme un homme autoritaire, qui veut que l’on fasse la morale à l’école et qui veut gérer les causes sociales de la violence par encore plus de sécuritaire. Qui respecte qui dans tout ça ?

Séverine. — groupe Jules-Vallès (Grenoble)

« Violences scolaires : Claude Allègre ajourne le traitement de fond », Le Monde du 28 janvier 2000, p. 9.
« Les débuts chaotiques de la nouvelle instruction civique », Le Monde du 27 janvier 2000, p. 9.
« Face aux violences, Claude Allègre veut renforcer la discipline scolaire », Le Monde du 23-24 janvier 2000, p. 7.


Fait d’hiver

La haine

Ils crèchent, zonent, squattent, dans des banlieues, des quartiers, des cités… où c’que c’est généralement blême, morose et rarement rose. Ils en sont à la deuxième génération de rémistes, de chomdus, d’alcolos et de paumés et ils savent que… Ils s’appellent Rachid, Moussa, Pierre, Paul, Jacques et ont la galère tatouée au cœur de leur origine sociale dont il est aisé de convenir qu’elle n’est pas franchement favorisée.

Comme beaucoup de pauvres, aujourd’hui, ils sont attirés par les lumières de la ville. Ils ne pensent qu’aux thunes et comme tous les riches, ils sont prêts à tout pour en avoir et montrer qu’ils en ont. Et, donc, ils dealent, rackettent, braquent des vieilles, s’attaquent aux plus faibles d’entre eux… pour se la jouer bourge, marques, téléphone portable… au grand théâtre d’une frime qui ne trompe personne.

Par ennui, désespérance, révolte, ils s’imaginent qu’en caillassant les chauffeurs de bus, les pompiers, les flics ou en faisant régner la terreur dans une école qui n’a jamais été faits pour eux…, ils niquent cette société qui les rejette. Ils ont la haine. Et c’est peu dire qu’ils ont cent mille raisons de l’avoir.

Mais ils n’ont que la haine. Celle de l’autre comme celle d’eux-mêmes. Celle que les maîtres du monde leur ont mis dans la tête, à la manière d’une laisse, pour mieux les tenir par les couilles de l’adhésion aux valeurs de merde (le fric, la loi du plus fort, le paraître, le machisme, le chacun pour soi) qui fondent leur domination sur le plus grand nombre. Mais, tu sais tout ca !

Que c’est pas en copyrant les maîtres du monde et en mordant le facteur qu’on échappe à son « destin » ! Que c’est pas en s’attaquant aux pauvres qu’on emmerde les riches. Que c’est pas en voulant devenir riche qu’on cesse d’être pauvre. Que c’est pas en étant haïssable qu’on peut se faire aimer ! Que c’est en se battant contre les causes qu’on en réduit les effets. Que le maître n’existe que parce que l’esclave est persuadé du bien fondé de l’esclavage et s’imagine qu’il est susceptible d’en profiter… un jour !

Tu sais tout cela. Que ta haine n’est que le cache-sexe de ta lâcheté. Et que si t’en avais (du cœur), tu saurais la faire aimer.

Alors, n’es-tu capable que d’être un enfoiré comme les enfoirés que tu dis haïr et que tu ne fait que copyr, ou bien…

La réponse t’appartient ! Et tu nous lâche la grappe avec ta haine… qui est aussi la nôtre !

Jean-Marc Raynaud


Rennes : le chantier du métro en grève

Le chantier du métro VAL connaît sa première grève. Les deux tiers des salariés de la COGIFER, chargée de la pose des voies, ont voté la grève mardi 25 janvier et se battaient toujours samedi. « Quand le Val avance, le social recule » résume le slogan de la CNT, seul syndicat engagé sur le terrain ; quand la lutte avance, le patron recule pourraient ajouter les militants libertaires très présents dans ce conflit.

La COGIFER, entreprise multinationale, filiale du groupe De Dietrich, est le sous-traitant chargé des infrastructures du métro dans cet énorme chantier dont le maître-d’œuvre est Matra. Derrière l’abri du sous-sol et de l’indifférence bourgeoise de la mairie socialiste, l’entreprise impose des conditions de travail et de rémunération inacceptables à ses salariés, au mépris de la réglementation du travail et des promesses faites à l’embauche. Depuis des mois, se succèdent accidents du travail et pression constante sur les ouvriers de la part d’une direction qui a parfaitement compris les méthodes du « management » capitaliste. Pour faire bonne mesure, l’encadrement manie les brimades à caractère raciste pour entretenir un climat de soumission. Le ciment, le poste le plus dur, est par exemple presque exclusivement réservé aux Maghrébins.

Plus symbolique, mais bien trouvé pour humilier les travailleurs musulmans, un repas de Noël à base de porc, l’absence du salarié se traduisant par une perte d’une demi-journée de salaire. Dans ce climat, la direction a tout simplement, mais totalement, mésestimé la capacité des travailleurs du val à se battre pour leurs droits. Il est effectivement difficile d’organiser la lutte dans ce type de milieux. Aucun des syndicats traditionnels n’est réellement présent sur le chantier et seule la CNT se bat véritablement au côté des travailleurs. Jeunes, inexpérimentés politiquement, éclatés sur plusieurs sites, ceux-ci sont cependant en train de démontrer qu’une grève habilement et fermement menée doit conduire à faire céder les patrons.

Les travailleurs contrôlent leur lutte

Le mouvement a en fait commencé en juillet dernier avec le contact entre un des ouvriers du chantier et le syndicat CNT du bâtiment, le SUB-TP. Suite à son adhésion et à quatre autres qui ont suivi, la section syndicale a fait le bilan de ce qui était inadmissible sur le chantier et qui aujourd’hui constitue la plate-forme des revendication. Pour l’essentiel, il s’agit de faire respecter la loi et les conventions collectives par une entreprise qui s’essuie allègrement les pieds dessus : 35 heures payées 39 (et non 35), élections rapides de délégués du personnel sur le site de Rennes, publicité des analyses antipollution ou encore que figure dans le bulletin de salaire le décompte des heures effectuées dans l’annualisation. Pour le reste, la modestie des revendications contraste avec les difficultés rencontrées pour les faire aboutir : prime d’insalubrité (10 % du taux horaire) et une prime de rendement de 3000 F par trimestre. Les négociations sont en cours depuis le début du mouvement et devaient reprendre lundi avec de bonnes chances d’aboutir sur les points essentiels. Pourtant, jeudi, la direction a tenté de briser la grève en faisant appel à du personnel intérimaire pour remplacer les grévistes, de nouveau au mépris de la loi. La riposte des travailleurs qui ont saisi l’inspection du travail et la solidarité des militants du mouvement des chômeurs et précaires en lutte, venus occuper les agences d’intérim incriminées, ont rapidement fait reculé ces dernières et le patron. On touche ici à un point essentiel qui rend ce mouvement exemplaire : la solidarité des militants CNT et chômeurs a été sans faille jusqu’ici mais ceux-ci ont été aussi très vigilants à ce que seule l’assemblée générale des grévistes prenne les décisions, sans manipulations extérieures (FO, CFDT, Parti des travailleurs, etc.).

Frank Gombaud

Pour tous contacts : CNT ­ STIV, Confédération nationale du travail. Syndicat des travailleurs d’Ille-et-Vilaine. 5, square Charles Dullin, 35200 Rennes.
Tél 02 99 53 32 22.


Création d’un collectif contre les abus de la chasse

Cet automne en Cévennes suite à la multiplication d’incidents liés à la chasse au sanglier en battue, un groupe de syndicats, d’associations, de mouvements politiques et de protection de la nature a pris l’initiative de créer un collectif contre les abus de la chasse. Un rassemblement de protestation a eu lieu à Saint-Martin de Boubaux, une personne ayant été atteinte accidentellement par des éclats de balle sur la voie publique de cette commune. Puis le collectif a rencontré le sous-préfet de Florac pour lui remettre une pétition et lui faire part des inquiétudes des usagers de la nature face à l’insécurité grandissante les jours de battues.

Pour la première fois une réflexion collective sur les problèmes du partage équitable de l’espace rural émerge dans notre région. Il est nécessaire de réunir dans un esprit d’ouverture et de dialogue tous ceux qui considèrent que la ligne blanche est trop souvent franchie par un lobby dont les excès se font ressentir bien au-delà du seul domaine de l’environnement.. Rendez-vous le 5 février à Florac (CFPPA, salle Aigoual, de 14 h à 18 h), pour l’assemblée constituante du collectif et pour concrétiser ce rassemblement par une charte débattue et votée démocratiquement, qui définisse les objectifs, les axes de réflexion, les moyens d’action, les modes d’organisation et de financement du collectif.

Patrick. — groupe du Gard


Angoisses et espérances en Vallée d’Aspe

Les travaux monstrueux de l’axe E7 par le Somport reprendront-ils bientôt, un mois après leur suspension ordonnée par le Tribunal administratif de Pau ? La DDE et la préfecture des Pyrénées-Atlantiques s’y emploient activement, tandis que les opposants aux travaux routiers préparent la grande manif du 7 mai. La voie ferrée internationale Oloron-Confrane réouvrira-t-elle enfin ? Le conseil régional d’Aquitaine donnera sa réponse au plus tard à la rentrée de septembre.

La « Goutte d’eau », siège des irréductibles Aspaches, sera-t-elle éliminée comme l’a demandé l’avocat du RFF lors du référé d’expulsion du 26 janvier dernier ? La justice rendra son verdict le 9 février prochain à 14 heures, au Palais de Pau. Dix ans après le début du conflit, tout reste possible en vallée d’Aspe : le pire avec la poursuite des travaux de l’axe E7 et la mise à mort de la Goutte d’eau ; le meilleur avec l’abandon de l’axe E7, la réouverture de la voie ferrée et la survie de la Goutte d’eau.

pour les Aspaches, Éric Petetin


Compression d’effectifs dans les crèches lyonnaises

Combat efficace des parents et des employés

Barre, maire de Lyon depuis la déconfiture de Michel Noir, avait parmi ses grands desseins, en prenant ses fonctions, un credo : « maîtriser la pression fiscale de ses concitoyens ». Connu pour son manque d’humanisme, Barre ne s’endort pas sur son labeur et pond un « Plan de performance » pour les salariées des crèches municipales. Son objectif est de réduire la part que représentent les salaires des employées dans le budget de la ville. Converti de longue date au libéralisme en matière économique et au mépris pour ses administrés en matière politique, Barre veut imposer des règles de rentabilité au service public d’accueil de la petite enfance de Lyon.

Près de trois ans d’agitation déterminée

Depuis sa mise en application en septembre 1997, les conséquences du « Plan de performance » sont catastrophiques pour le personnel et les enfants accueillis : 20 postes sont supprimés suite à des départs en retraite et des congés parentaux, mise en adéquation de l’effectif des salariées (au jour le jour) avec l’effectif des enfants (d’où extrême mobilité d’une crèche à une autre). Le manque de personnel et la mobilité au jour le jour, l’arrêt d’activités d’éveil, tout concourt à la révolte légitime des parents et des salariées. Très organisés, le collectif des parents et les syndicats (CFDT, CGT, UNSA) ont réalisé plusieurs actions, grèves (9 jours en tout) et manifestations publiques, relayées par la presse locale, pendant toute la durée du conflit. C’est finalement le taux d’absentéisme du personnel, en constante augmentation vu les conditions de travail, notamment pour les 70 « roulantes », chargées de remplacer au pied levé toutes les absences des crèches et haltes-garderies municipales, qui obligera officiellement la municipalité à revoir sa copie.

La lutte a payé

Le 10 janvier, l’adjointe aux relations sociales de la ville de Lyon annonce la réorganisation de l’ensemble du service de la petite enfance : « On va doter chaque crèche de tout l’effectif prévu, une personne encadrante pour trois enfants ; cette nouvelle organisation fait appel à une déconcentration et à une autonomie de gestion des moyens pour mieux répondre aux intérêts des enfants ». Côté syndicats, c’est la satisfaction : « Le personnel attendait quelque chose de fort, c’est une très bonne nouvelle, on attend de vérifier sur le terrain ». 20 « tournantes » ont d’ores et déjà intégré des postes fixes et 25 autres devraient faire de même début avril. Concernant les autres revendications satisfaites : possibilité d’un reclassement pour les salariées usées physiquement et psychologiquement, visibilité du déroulement de la carrière et mise en place d’un numéro vert pour joindre le service enfance de la mairie et les représentants du personnel en cas de difficultés rencontrées par des salariées. À un an et demi des municipales, Christian Philip (poulain de Barre) ne pouvait qu’apaiser ce dossier rendu populaire par la lutte des parents et des salariées et qui ne lui laissait, de toute façon, pas d’autre choix.

Martial. — groupe Kronstadt (Lyon)


Crise de foi

De la croix à la croix gammée

L’Église, ne cesse pas de « s’excuser », pour les différents crimes ou erreurs qu’elle a commis. C’est le cas pour l’antisémitisme. Outre que ses « excuses » servent à relancer le cléricalisme, il convient de rappeler, que c’est dans les actes que l’on voit les changements. Or, l’Église fait comme les politiciens, elle nous endort avec de belles paroles et des fadaises. La preuve nous vient d’Autriche où, en octobre, lors des législatives, le parti d’extrême droite de Jörg Haider a eu un réel succès (27,2 % des suffrages). Jörg Haider a fondé son programme politique sur le racisme et le nationalisme. Il n’a jamais caché son admiration pour Hitler.

Lors de la campagne électorale, le président de la très petite communauté juive autrichienne (12 000 personnes), Ariel Muzikant, a signalé une augmentation sensible des actes antisémites, de nombreux juifs ont reçu des lettres de menaces, des courriers électroniques haineux, des insultes et même des crachats. « Les autrichiens ont toujours été xénophobes, mais il y avait des limites à ce que l’on pouvait dire en public. Jôrg Haider les a repoussées » remarque Ariel Muzikant. L’Église, qui défend les droits de l’homme devrait intervenir, pour condamner, ce qu’elle appelle, dans ses « repentances », l’antisémitisme des Lumières ou païen voire athée que Haider remet au goût du jour, par ses propos racistes. Il n’en est rien, bien au contraire, puisqu’un haut représentant de l’Église autrichienne, Mgr Kurt Krenn a, dans une interview au magazine Profil, exprimé son « estime » pour Jôrg Haider. « Si Haider peut faire quelque chose de bien, il faut le laisser faire », a ajouté le prélat. C’est vrai quoi, il n’a même pas encore ouvert le premier camp d’extermination, qu’on le critique déjà. Comme quoi les « repentances » sont des attrapes-nigauds, à nous de rester vigilants, car l’Église a toujours soutenu les dictatures et les monarchies sanguinaires. Il n’y a aucune raison que cela change, la preuve.

Régis Boussières. — groupe Kronstadt (Lyon)


Équateur

Les politiciens refusent d’entendre la vox populi

L’Équateur revient sur le devant de la scène internationale avec un « putsch » alors que l’on célébrait il y a peu les 20 ans de retour à la démocratie (formelle). Longtemps surnommé « la Suisse des Incas » en raison des plaines fertiles bordées de volcans qui traversent le pays, l’Équateur jouit de deux autres régions aux climats et géographies bien différents : la côte (élevage de crevettes et plantations de bananes et Guayaquil, port du Pacifique et capitale économique du pays) et enfin l’Amazonie (production de pétrole, d’or et de cacao). Malgré ses richesses, c’est l’un des pays les plus pauvres d’Amérique Latine.

L’économie se casse la gueule

Il faut dire que la conjoncture ne lui a pas été favorable ces dernières années : la guerre avec le Pérou avait repris en 1995 sur le problème frontalier de la Cordillère du Condor (des accords de paix ont été signés le 26 octobre 1997), le phénomène climatique du Niño avait détruit en 1997 et 1998 des millions d’hectares de cultures (coûts estimés à 17,4 milliards de F), les exportations de crevettes et de bananes étaient freinées, le prix du baril de brut baissait fortement (45 % du budget de l’État est financé par les revenus pétroliers), ajoutons-y les contrecoups de la crise financière internationale. L’Équateur plongeait dans le rouge, sans que rien ne semble pouvoir arrêter la catastrophe et ce, malgré les « judicieux » conseils du FMI, suivis à la lettre (privatisations, coupes dans les budgets sociaux, licenciements de fonctionnaires). Le « clou » est atteint en 1999 : la monnaie nationale perd encore de sa valeur face au dollar US (dévaluation de 197 %), la moitié des dépôts bancaires sont gelés, les capitaux s’enfuient, l’inflation atteint 60 % (le pire taux de la décennie), 19 % de la population se trouve au chômage, 54 % est sous-employée… Pour enrayer la crise, les autorités décident de ne pas payer la dette extérieure. Le FMI ne s’offusque pas et demande l’assainissement du système bancaire et financier et la poursuite des privatisations.

Le contexte politique n’est pas très reluisant non plus. Le mandat de Duran Ballen (92-96) s’était achevé dans une grande instabilité (le vice-président Dahik avait fui le pays fin 1995, inculpé de détournements de fonds), lui succédait alors Bucaram, (du Parti Rodolsiste Équatorien : populiste et homme d’affaires haut en couleurs) destitué en février 1997 pour « incapacité mentale » (il avait notamment jeté son salaire d’un balcon). Pour préparer les nouvelles élections, Alarcón (du Front Radical Alfariste) était nommé ; en avril 98, Mahuad (du parti Démocratie populaire : démocrate-chrétien) était élu et prenait ses fonctions en août. Dès lors, les accusations de corruption allaient bon train… de quoi en avoir ras-le-bol !

Chronologie d’une semaine agitée

Vendredi 7 janvier, le gouvernement décrète l’état d’urgence face à la nouvelle vague de protestations. Alvarez (ministre de l’intérieur) dénonce alors « le mouvement subversif » qui prépare des actions violentes. 53 % des Équatoriens souhaitent alors la démission de Mahuad. Mardi 11 : le président annonce son « souhait » de « dollariser » l’économie (la parité du sucre est fixée à… 25 000 pour 1 dollar) afin d’enrayer l’inflation. Mercredi 12, la banque centrale approuve l’adoption du dollar comme monnaie nationale (en accord avec le FMI). Jeudi 13, le Parlement des Peuples d’Équateur (800 délégués, issus des secteurs sociaux, syndicaux et indigènes) dirigé par Lunas, archevêque de Cuenca et Vargas (président de la CONAIE, Confédération des nationalités indigènes de l’Équateur) « assume » le pouvoir et appelle à la désobéissance civile.
Ce Parlement a vu le jour à l’initiative de la CONAIE et de la CMS (Coordination des mouvements sociaux). Les manifestations de protestation s’intensifient dans les rues des grandes villes et la CONAIE appelle à la grève générale pour le samedi 15 ainsi qu’à l’assaut pacifique de Quito (la capitale)… l’opposition parlementaire annonce alors qu’elle ne les soutient pas.

La suite, on la connaît : le vendredi 21, le colonel Gutiérrez accompagné d’un groupe d’indigènes (3 000 à 4 000) prennent le Parlement et une junte « de salut national » s’installe formée par Gutiérrez, Vargas et Solórzano (ex-président de la cour suprême de justice) dans le but d’une transition démocratique. Mahuad est démis de ses fonctions. Les trois pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) sont dissous. Tandis que les États-Unis menacent l’Équateur de représailles (« comme pour Cuba »), les hommes d’affaires, la presse, la droite font « cause commune » pour la « démocratie », à savoir : le remplacement de Mahuad par le vice-président Noboa. A Quito, le général Mendoza remplace Gutiérrez (arrêté et détenu)… puis abandonne son poste. C’en est fini : le samedi à l’aube, Noboa prend ses fonctions de président, accompagné du commandement militaire et policier.

Son premier discours est clair : il poursuivra la politique de son prédécesseur : dollarisation de l’économie et « modernisation » de l’État (privatisations). Le Parlement des Peuples est dissous. Les indigènes quittent la capitale et rentrent dans leurs communautés, certains instigateurs du soulèvement sont poursuivis, d’autres, par peur des représailles, passent à la clandestinité. Les organisations de droits de l’homme demandent immédiatement que les instigateurs du putsch ne soient pas poursuivis (malgré les voix des « démocrates » qui souhaitent un châtiment exemplaire).

Ima Llumpay


Mexico

Solidarité avec la bibliothèque Reconstruir

La Biblioteca Social Reconstruir (La bibliothèque de reconstruction sociale), est un local anarchiste situé au centre-ville de Mexico depuis 1978. La bibliothèque contient présentement 3 000 livres, desquels approximativement 850 sont anarchistes. Certains sont très vieux, comme une édition espagnole datant de 1892 de La Pornocracia de Proudhon. Nous avons aussi 4 700 revues, certaines très vieilles et importantes telle que l’historique Revista Blanca. La bibliothèque possède aussi des dizaines de revues éditées durant la révolution espagnole de 1936, ainsi que d’importante publications anarchistes mexicaines. Des centaines de journaux ne sont pas encore classés, incluant, par exemple, le numéro 13 de la revue Regeneracion, datée du 7 novembre 1900, éditée par les frères Flores Magón (anarchistes et héros de la révolution mexicaine).

La Biblioteca Social Reconstruir est visitée par des chercheurs et des étudiants à la recherche de livres, des professeurs, etc. La BSR est aussi un point de rencontre pour des femmes et des hommes libertaires de Mexico et de plusieurs autres parties du monde. La BSR est le fruit du travail de vieux amis qui ne sont plus avec nous aujourd’hui. Nous étions supporté par les fonds bibliothécaires de Marcos Alcon, Ignacio Portilla, Benjamin Cano Ruiz, Eliseo Rojas et Ricardo Mestre Ventura.

Solidarité

La Biblioteca Social Reconstruir fait face à une situation économique très difficile, à cause des hauts coûts du loyer, du téléphone, de l’électricité, des services Internet, de la correspondance (nous recevons approximativement 50 lettres par mois), etc. Nous sommes frappés par une situation économique si extrême que si nous ne recevons pas une aide financière d’amis qui sont capables de collaborer, il est très probable que ce centre libertaire doivent fermer ces portes à jamais.

Si la Biblioteca Social Reconstruir est incapable de financer ces coûts, cela signifiera la fermeture de ce qui fut peut-être le plus important centre de dissémination des idées anarchistes à Mexico des 22 dernières années pendant lesquelles le centre fut lentement bâtit sur ses modestes racines. C’est pour ces raisons que nous faisons appel à votre solidarité, de façon à ce que la bibliothèque continue d’être un des points de contact pour l’anarchie à Mexico. Pour que ce projet continue de poursuivre sa tâche principale : semer des idées.

Biblioteca social reconstruir Morelos 45 Despacho 206 Col. Centro
libertad@mail.internet.com.mx
www.libertad.org.mx


Belgique

Campagne de régularisation des sans-papiers

La nouvelle loi de régularisation des sans-papiers en Belgique ressemble plus à une loi de recensement qu’à une réelle régularisation.

Elle a fait beaucoup d’appelés et fera peu d’élus. Elle laissera la plupart des sans-papiers sans aucun droits, vivant dans l’ombre et la peur soumis à l’arbitraire et aux conditions d’exploitation du travail clandestin ou pire, exposés aux répressions, aux camps, aux expulsions…

Quelle est la situation aujourd’hui ?
— Un silence médiatique sur la perversité, l’organisation kafkaïenne et les conséquences de cette loi.
— Une absence d’analyse critique du discours et des pratiques politiques en matière de droit d’asile.
— Des milliers de sans-papiers non repris dans les critères de cette nouvelle loi et sans espoir de régularisation.
— Des milliers de sans-papiers dont les tentatives de régularisation vont être rejetées et qui se retrouvent aujourd’hui cachés et exposés aux rafles.
— Une loi qu’on brandit comme une « victoire » pour en finir avec la question et tenter d’étouffer deux années de mobilisation.
— Des promesses par le ministre Duquesne de renforcer des contrôles, de poursuivre les expulsions massives par charters avec plus de fermeté.
— Des discours racistes, amalgame immigration/criminalité, formules du type « appel d’air » ou « effet d’aspirateur ».
— Un profond cynisme des politiques avec le déploiement d’un dispositif impressionnant aux frontières (chiens, détecteurs de personnes, policiers armés), des rafles qui ont déjà commencé dès le deuxième jour des régularisations, des distributions d’ordre de quitter le territoire…

Il nous semble donc urgent de donner une information claire sur cette loi et sur ses conséquences, de briser le discours à sens unique en apportant une autre parole, une parole résistante face à une fascisation de plus en plus manifeste des discours et des pratiques politiques.

Urgent aussi que les personnes qui de près ou de loin ont voulu soutenir les sans-papiers se rencontrent, s’échangent les informations et imaginent ensemble des moyens pour faire barrage aux rafles et aux expulsions qui vont de pair cette régularisation au compte-goutte.

Collectif Contre les Expulsions

État des lieux — État d’urgence
Loi de régularisation ? Loi de recensement !
Journée d’information
dimanche 6 février à 14 heures
au cinéma Nova, 3 rue d’Arenberg, 1000 Bruxelles
• 14 heures — projection du film Sans-papiers sans droits réalisé par l’Atelier vidéo de la maison des enfants d’Anderlecht/Les Corsaires
• 15 heures — débats
• 19 heures — resto populaire


Georges et Louise

Michel Ragon

On est toujours surpris dans les milieux libertaires quand une mairie communiste décide de baptiser une rue ou une place de celui de Louise Michel. Mais bon, le vol et la récupération faisant depuis longtemps partie du dogme et de la culture marxistes, on peut raisonnablement s’en sortir en haussant les épaules en attendant des jours meilleurs. Par contre on est jamais étonnés quand les culottes de peaux ou les vieux grabataires militaristes viennent rendre hommage à ce vieux sagouin de Clemenceau, une fois par an le 11 novembre ça suffira merci, celui-là même dont le seul programme s’était résumé en quatre mots : « Je fais la guerre ! ».

Là où ça se complique un petit peu c’est quand Michel Ragon s’en mêle. Étonnante érudition que celle de cet homme là qui nous avait fait le plaisir, entre autres, de La Mémoire des Vaincus puis d’Un si Bel Espoir ; deux romans historiques qui embrassaient respectivement la période 1914 à nos jours et celle de 1848 à la Commune. Il ne restait plus qu’à faire le joint : de La Commune à 1914. C’est fait et ça tourne un peu la tête.

S’étant rendu compte, lors de ses recherches pour l’écriture d’Un si bel espoir, que Louise Michel et Georges Clemenceau alors maire de Montmartre, avaient eu des contacts répétés ­ Louise était à cette époque institutrice, Clemenceau l’avait aidée recevoir du charbon et des denrées diverses pour les enfants de l’école ­ il essaya de savoir si ces relations s’étaient poursuivies par la suite. Et effectivement, toute leur vie durant, Louise Michel et Georges Clemenceau se sont rencontrés, respectés et, situation sociale aidant, Clemenceau a poursuivi cette amitié fidèle de toutes les manières possibles avec cette Pétroleuse, cette Vierge Rouge, cette virago, cette Passionaria, que sais-je.

C’est cette véritable amitié entre une anarchiste et un renard politique d’extrême gauche, qui n’avait vraiment rien de libertaire, qui cette fois-ci sert de fil rouge à l’écriture de ce nouveau livre, qui, n’est pas un roman : histoire de notre mouvement libertaire émergent après la terrible répression de la Commune, des tergiversations lors de l’affaire Dreyfus, des attentats anarchistes. Et bien oui les militants anarchistes de la seconde moitié du XIXe siècle n’ont toujours eu les couches bien nettes. Mais il en va ainsi de notre histoire…

Etonnant parcours qui croisent aussi bien celui de Victor Hugo (dépeint comme un cavaleur impénitent, on est loin du vieux grand-père à la barbe blanche), de Rochefort le bailleur de fonds, de Blanqui, de Vallès ou de Zéphyrin Camélinat, et qui révèlent quelques pans de l’histoire de notre mouvement pas toujours très clairs.

Nous avons eu le grand plaisir de rencontrer, le samedi 22 janvier, Michel Ragon sur Radio libertaire, (sachons rester parisiens), pour nous parler de son dernier livre et de la littérature prolétarienne et nous en promettre de bien belles pour le printemps à venir (1).

Jean-Pierre. — groupe Poulaille

(1) Michel Ragon nous a convié à d’autres promenades autour de la littérature prolétarienne, avec lecture de textes et découverte pour les plus jeunes auditeurs de cette forme d’expression éminemment révolutionnaire. Car ce sera sur Radio libertaire.

Georges et Louise. éditions Albin-Michel. 230 p. 98 FF, en vente à la librairie du Monde libertaire (+ 10 % pour le port).


Benoist Rey , Raymond Vidal-Pradines

L’anarchisme social, c’est assurément des grandes idées, des principes, des théories, des organisations politiques, syndicales, des mouvements sociaux, des personnages hauts en couleurs, des héros, des héroïnes, des démarches et des gens raides de conviction et magnifiques d’actions… mais c’est aussi des êtres humains souvent très ordinaires qui mettent leurs rêves en actes individuels et collectifs, sans faire de bruit, sans prétendre à, comme si tout cela allait de soi, et qui fondent cet autre futur que nous avons tous et toutes dans le cœur en construisant un autre présent.

La collection « Graine d’ananar » s’est construite sur cette évidence et elle nous livre, par deux, la biographie d’un-e grand-e et celle d’un-e obscur-e de l’anarchisme. Michel Bakounine (1) avait inauguré la collection avec le bagnard Paul Roussenq (2). Et sans vouloir offenser la mémoire du camarade vitamine, c’est la brochure consacrée à Paul Roussenq qui crève l’écran.

Louise Michel et Benoist Rey forment le nouveau couple des dernières parutions de Graine d’ananar. Et c’est du pareil au même. La biographie de Louise Michel (3) écrite par Claire Auzias est remarquable à tous points de vue. C’est original, bien torché, ça dégage, ça fait rêver ; ça laisse pantois. C’est bonheur de la lire, mais… Mais celle consacrée à Benoist Rey est époustouflante.

Benoist Rey n’a pas connu la première internationale, il n’a fréquenté ni Bakounine ni Kropotkine, ni Malatesta, ni la Commune de Paris, ni Makhno, ni la révolution espagnole. Il n’a que la soixantaine qu’il porte belle. Il ne se revendique de rien et s’est toujours contenté de… De rompre avec une origine sociale marquée au fer rouge de la bourgeoisie maurassienne. De choisir le camp des exploités et des opprimés et d’intégrer (en actes et en boulot) celui du prolétariat. De n’être ni un salaud ni un bourreau lors de la guerre d’Algérie qu’il a choisi non pas de faire mais d’accompagner. De rendre compte dans un livre fabuleux (4) de l’impensable d’une guerre et de toutes les guerres. De l’impensable d’une armée de toutes les armées. De traverser 68 et les années 70 comme des milliers de cœurs purs « de gauche » d’aucune organisation, d’aucun parti, d’aucune chapelle… D’avoir toujours été présent là où il fallait l’être. De ne s’être jamais compromis sur rien tout en ayant agi sur tout. D’avoir atterri en Ariège par les hasards de la vie. D’y avoir retapé une ruine. D’y avoir construit un resto d’enfer. Une piscine associative, une imprimerie qui a imprimé tout ce que les luttes libertoïdes du coin avaient besoin d’imprimer. D’avoir assumé pendant plus d’une décennie l’accueil (en liaison avec Olivenstein) de centaines de toxicos en volonté de s’en sortir. D’être toujours présent et disponible dès lors que… D’avoir duré, perduré. S’être obstiné…

Raymond Vidal-Pradines nous conte tout cela de manière magistrale. Un texte autobiographique de Benoît nous raconte l’Algérie. Merci à Raymond pour cette brochure qui se contente de nous renvoyer à l’extraordinaire du rêve libertaire et à l’ordinaire de sa mise en actes.

Jean-Marc Raynaud

Benoist Rey. Raymond Vidal-Pradines. éditions du Monde libertaire, collection « Graine d’ananar ». 40 p. 20 FF. (chèque à l’ordre de Publico, + 8 FF pour le port), 145, rue Amelot, 75011 Paris.
(1) 60 p. 20 FF, rajouter 8 FF pour le port.
(2) 50 p. 20 FF, idem.
(3) 60 p. 20 FF, idem.
(4) Les Egorgeurs, grand prix ni dieu ni maître 1999, 155 p, 60 FF idem.


Princes et Princesses , Michel Ocelot ; Princesse Mononoké, Hayao Miyazaki

« Depuis que Lotte Reiniger a cessé d’animer les ombres, personne n’a pris sa succession. »
Georges Sadoul

Affirmation démentie par la sortie d’un film a silhouettes, réalisé par Michel Ocelot. Grâce au succès de Kirikou et la sorcière, film antiraciste, anti-superstition, anti-soumission, film antidote à la peur et la tradition rétrograde, Michel Ocelot a enfin pu mener a bien un film à silhouettes, constitué de six contes, concrétisant ainsi un projet vieux de dix ans. Par sa technique (les silhouettes découpées font qu’on ne les voit que de profil), Princes et Princesses établit un lien avec Lotte Reiniger, créatrice des films a silhouettes, appelée « la reine des ciseaux » ou « la maitresse des ombres », selon Renoir. Les Aventures du Prince Ahmed, son chef-d’œuvre, anime des milliers de silhouettes et déploie des splendeurs orientales. (Ses films musicaux étaient d’ailleurs programmés dans le cadre de la manifestation « Ciné-Junior » qui se déroulait dans le Val-de-Marne jusqu’au 2 février). Princes et Princesses de Michel Ocelot est un projet antérieur à Kirikou. Mais ce que le film conte relève de la même veine mi-magique, mi-critique sociale. Alors que le petit et vaillant Kirikou brisait la malédiction qui pesait sur son village en Afrique, Princes et Princesses nous plonge dans l’imaginaire de plusieurs pays, voyage dans le temps et dans les époques. Des civilisations anciennes sont visitées.

On rit souvent, car les six contes sont plein d’esprit, de drôleries et de surprises. Un travail d’orfèvre. Car, dans un film à silhouettes animées, chaque image correspond a une prise (de vue) et à un mouvement… c’est un enchantement.

Princesse Mononoké de Hayao Miyazaki est un dessin animé d’aujourd’hui. Le cadre choisi : le Japon rural du XIIIe siècle. Création intemporelle, proche du grand drame historique chère à Kurosawa, Miyazaki atteint l’épopée.

Un monstre terrifiant déboule en direction d’un village et de ses habitants. Le vaillant Ashitaka le vaincra, mais sera marqué dans sa chair et mourra, à moins que… le film conte ses aventures, ses rencontres pour arriver à lever la malédiction. Un souffle épique traverse les paysages, la forêt enchantée et ses créatures à la fois très réelles (des animaux), imaginaires et malicieuses. Princesse Mononoké est un film ou chaque gouache est encore coloriée à la main.

Travail de titan, peinture d’un raffinement extrême. (Comme au début du cinématographe, dans les ateliers de Méliès ou de Alice Guy, qui raconte que ses ouvrières y perdaient la vue.) Ses aquarelles raffinées créent des paysages d’une splendeur rarement entrevue au cinéma. Princesse Mononoké est aussi un film ou les costumes ou le clan des forgerons montagnards ne sont pas des inventions de scénariste.

Ces points d’ancrage dans l’histoire du Japon rendent le film, dessiné et peint par un enfant de la guerre et de la bombe de Hiroshima, encore plus précieux car à partir de trois fortes personnalités, le téméraire Ashitaka, Dame Eboshi, dominant le clan des Tatara et la princesse Mononoké, Hayao Miyazaki construit son épopée intemporelle. Mononoké (qui veut dire démon) chevauche des loups, mais elle a figure humaine.

L’apothéose, le moment culminant du film est une sorte d’explosion du monde minéral et végétal, causée par des humains cupides qui ont violé les lieux. Entraver la métamorphose cyclique de la nature a des conséquences désastreuses. Ce n’est plus une leçon, c’est une évidence.

Heike Hurst (« Fondu au Noir » — Radio libertaire)


Sans-papiers : changeons de cap !

Depuis quatre ans, nous arpentons le pavé des villes de France et d’Europe pour manifester notre soutien au mouvement des sans-papiers. Il n’y a là aucun hasard puisque nous, anarchistes, sommes les ennemis déclarés des frontières, de l’autorité de l’état et tutti quanti. Nous étions donc à notre place jusque dans les églises occupées.

Nous ne nous sommes en général pas posé plus de questions, tout nous paraissait assez simple. Alors, nous avons été confrontés à la réalité. Nous sommes entrés dans les collectifs de soutien, pour voir. Et nous avons vu. Nous avons vu les roses ! nous avons vu les verts, les rouges et les autres. Chacun jouant son propre jeu, mais tous là pour encadrer, surveiller, limiter, diriger, étouffer et j’en passe. C’était écœurant.

Bilan de l’implication des anarchistes

Mais ce qui nous a paru le plus répugnant, c’est encore de devoir composer avec ce marigot. Il faut le reconnaître, nous débarquions. Le problème nous était à presque tous absolument… étranger. Nous arrivions armés de notre bonne volonté, de notre indomptable sentiment anarchiste, mais il y avait comme un grand vide entre nos principes, dont la justesse n’est plus à démontrer, et les modalités de leur application pratique. Bref, nous étions plus ou moins condamnés au suivisme.

Nous suivions, tout est là. Le fond idéologique du mouvement nous échappait. Et ce fond, produit de l’idéologie dominante, était profondément démocratique et « citoyen », c’est à dire veule et autoritaire. Bien plus encore, le mode d’organisation, ces fameux collectifs, nous était imposé.
Organisation plus ou moins spontanée au départ, le collectif a ceci de particulier qu’il réunit des individus en fonction d’un seul critère : leur situation vis-à-vis d’une disposition législative. Il est plus ou moins radical dans ses discours ou dans ses actions, selon les endroits et les moments, et il inclut ou exclut les « soutiens », ces gens souvent intéressés qui aident les sans-papiers. Il oscille entre radicalisme et modération et entre soumission aux intérêts des « amis » politiques et autonomie de la « corporation » des sans-papiers. Le décor est posé, nous sommes dans un rapport de force politique, c’est-à-dire où les acteurs sont définis non par leur situation sociale, mais par leur situation légale, non par la place que leur fait la réalité économique, mais par celle, illusoire et mensongère, que leur désigne la Loi, expression de la domination capitaliste et étatique.

Vous le comprendrez, nous enragions de jouer ce jeu-là. Nous tous, anarchistes qui avons milité dans ce mouvement, avons été confrontés à cela, quelle que soit la région de France. Chacun a essayé sa solution, sans jamais résoudre complètement le problème. Les uns ont joué l’unité, les autres la discorde, certains n’ont rien essayé du tout, laissant au « mouvement » lui-même le soin de régler ces choses.

Pour ce qui nous concerne, nous avons tâché de tourner la difficulté. Nous avons impulsé des comités d’ouvriers sans-papiers dans deux foyers, comités fédérés au Collectif des sans-papiers du Val de Marne, bureaucratie plus ou moins dirigée par des rouges-roses-verts. Mais, isolés et tributaires de ces perfides alliés, nous n’avons pas brisé le cercle de l’ordre bourgeois ; au mieux, nous avons créé un rapport de force favorable à l’élément ouvrier, organisé en tant que tel, dans le collectif, et nous avons battu en brèche un certain esprit de soumission aux « savants » politiques, dépositaires de l’autorité. Mais surtout nous avons appris, nous avons acquis de l’expérience, et nos compagnons de lutte avec nous.

Aujourd’hui, le mouvement partout en France est en piteux état. Quelques collectifs luttent encore. Souvent, ils se sont fâchés avec les politiciens, mécontents de leurs services. Les médias les ont oubliés. Quelques militants radicaux et libertaires essayent de faire renaître des cendres le feu.

Les sans-papiers sont avant tout des travailleurs

Mais il est évident, après ce que nous venons de dire, que nous ne devons pas chercher à reconstruire, à des années d’intervalle, le même mouvement, sous peine de remettre en selle les mêmes politiciens associatifs et humanitaires, et d’assister au même naufrage. Il est de plus absolument improbable que qui que se soit puisse recréer les conditions particulières qui ont vu l’émergence du mouvement en 1996-1997. Ce qui change radicalement les choses, c’est précisément l’expérience que nous avons acquise, et que des travailleurs sans-papiers ou anciens sans-papiers ont acquise. Et nous ne pouvons ni ne devons faire comme si cela n’existait pas. Alors, quoi ?

Peut-être devons-nous, sans bien sûr abandonner le soutien aux camarades encore en lutte, préparer un mouvement d’un autre type, un mouvement non plus politique, mais social. Il ne s’agit pas d’une simple question de mots d’ordre, ou de l’éviction de quelques politiciens. Il s’agit d’organiser des travailleurs et plus des citoyens, même « sans-papiers ». Il s’agit d’inclure les sans-papiers dans l’organisation globale des ouvriers ; et de faire en sorte que leurs revendications particulières soient portées par l’ensemble des travailleurs, comme eux-mêmes doivent porter les revendications de tous. On trouvera une aide puissante dans ce fait que le gros des ouvriers sans-papiers se rencontre dans un petit nombre de secteurs industriels ­ le nettoyage et le bâtiment, en particulier. Que, au sein des organisations ouvrières, des groupes se forment pour traiter spécifiquement les questions de droit au séjour, il n’y a là rien de scandaleux. En revanche, ce n’est pas le rôle de révolutionnaires que de favoriser l’éclosion de collectifs où les ouvriers côtoient les bourgeois ­ nous en avons vu !

Ce n’est pas le rôle de révolutionnaires que de reconnaître la loi et de lui demander protection. Ce n’est pas le rôle de révolutionnaire de fournir des troupes de choc aux partis politiques. Si nous voulons tenir compte de ce que nous avons appris, notre problème n’est plus « l’autonomie » absolue du mouvement des sans-papiers ­ ce mot d’ordre était pleinement justifié dans les phases antérieures de la lutte ­ mais bien sa fusion avec le mouvement ouvrier. Et c’est dans ce sens ­ même si nous n’espérons pas arriver tout de suite ­ qu’il nous faut œuvrer.

Max Lhourson. — groupe d’Ivry


Rencontres nationales des opposants à la vidéosurveillance

Les 22, 23, 24 janvier se sont déroulées à Montpellier des rencontres de collectifs et organisations luttant contre la vidéo-surveillance et plus généralement contre le contrôle social. Ont participé à ce week-end des représentants du collectif « Souriez vous êtes filmés ! » (Paris), de SOS Vidéo-surveillance (Vaux-en-Velin), le groupe de la Fédération Anarchiste du Gard et le groupe « Un Autre Futur » de la Fédération anarchiste (Montpellier). Les collectifs de Limoges et Toulouse, parties prenantes de cette dynamique, n’ont pas pu y être représentés. Cette rencontre se voulait être un lieu de confrontations et d’analyses entre entités qui ont déjà eu l’occasion de se mobiliser de façon coordonnée lors d’une journée nationale contre la vidéo-surveillance le 13 mars dernier.

Ces journées se sont articulées autour d’un débat public à l’Antre Anar le samedi soir, où étaient présentes une trentaine de personnes. Un travail d’explication de nos oppositions à la vidéo-surveillance y a été fourni ; en effet, cette dernière n’est évidemment pas efficace pour diminuer la délinquance (et pour cause, il faudrait d’abord s’attaquer aux inégalités !), au mieux déplace-t-elle les problèmes. Dès lors, on décrypte mieux l’intérêt des tenants du pouvoir pour ce dispositif qui « met en examen l’ensemble de la population », selon l’expression du représentant de SOS Vidéo-surveillance, Jacques Comaret.

Le développement exponentiel de la vidéo-surveillance (il y aurait environ 1,5 millions d’installations en France) dans les lieux publics et privés (systèmes de coveillance) inquiète par le caractère orwellien qu’il revêt. Quand on le met en parallèle avec le croisement des fichiers informatiques, le développement des effectifs de police de proximité et/ou « tabasseurs », les plans de construction de prisons, on comprend le choix qu’ont fait nos gouvernants : nous surveiller, nous contrôler, gérer les effets inévitables de la misère économique et sociale plutôt que de s’attaquer à celle-ci.
Aussi, parce que l’installation de la vidéo-surveillance ne se résume pas à une somme de problèmes locaux mais répond à une logique de gestion généralisée (en France, comme ailleurs), les différentes entités réunies le dimanche ont affirmé la solidarité qui les lie et la nécessité de fédérer les opposant-e-s à ces dispositifs liberticides. Ainsi, l’existence d’un réseau national a été formalisée ; une brochure d’information expliquant le pourquoi et le comment des actions menées par les différents opposants est en travaux. Son but est de susciter des vocations (certains, comme notre groupe à Montpellier, cherchent du relais sur la question) et d’offrir des liens à d’éventuel-le-s nouveaux/nouvelles opposant-e-s.

À noter que le collectif « Souriez vous êtes filmés ! » tente de relancer avec d’autres organisations une nouvelle dynamique sur Paris où plusieurs actions sont prévues courant février. Un compte rendu de nos discussions a été fait le lundi lors d’une conférence de presse qui a rassemblé quelques médias régionaux (Radio France Hérault et Gard, Midi Libre, l’Hérault du jour…).

Gilles. — groupe « Un Autre Futur » (Montpellier)