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articles du ML1201

du 13 au 19 avril 2000
Le jeudi 13 avril 2000.

https://web.archive.org/web/20031229200734/http://federation-anarchiste.org/ml/numeros/1201/index.html

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Sortie immédiate du nucléaire

Entre le nucléaire et la culture du secret, c’est une longue histoire d’amour puisqu’ils s’apprêtent à fêter leurs noces d’or.

• Septembre 1951, création de la section atomique au sein de la Direction des Études de Fabrication de l’Armée de terre (DEFA)
• Juin 1952, décision de construire les premiers réacteurs plutinogènes de Marcoule
• 1958, décision de la construction de Pierrelatte pour l’uranium enrichi
• Février et avril 1960, premières bombes atomiques françaises
• Décembre 1960, première loi de programmation militaire.

La République française, si fière de se proclamer démocratique vote en 1960 un projet débuté dix ans plus tôt !

Si l’origine militaire du programme nucléaire français explique en partie cet amour du secret, elle ne l’explique qu’en partie. Le délire du nuage radioactif de Tchernobyl qui s’arrête à nos frontières, l’absence remarquée d’informations à propos des accidents et incidents nucléaires (plus de 400 en 1998 en France), le black-out total sur les séquelles en Ukraine de l’explosion de Tchernobyl ou plus récemment sur l’explosion survenue au japon (le nuage dégagé a sûrement dû s’arrêter encore à nos frontières !). Autant de mystères non militaires. Une autre question se pose alors : comment peut-on espérer que la communauté nucléophile, habituée depuis 50 ans au secret, deviendra subitement une adepte de la transparence pour tenir au courant la population des moindres modifications du sous-sol en cas d’enfouissement ?

Résister à la technocratie d’EDF et de l’État

Car transparence il devra y avoir pour être sûr-e que les eaux souterraines ne soient pas contaminées, pour être sûr-e qu’il n’y ait pas de fuites et surtout pour garder la mémoire du site pour les quelques 25 siècles durant lesquels les produits seront encore autrement radioactifs ! Ce projet politique (concernant les nouveaux sites d’enfouissement des déchets nucléaires) est d’autant plus dangereux : soit il est conçu pour aboutir et est donc redoutable, soit il est destiné à mieux nous faire avaler une autre couleuvre : envoi des déchets nucléaires dans le tiers monde…

Mais rassurez-vous, la France est une Démocratie. Mais une démocratie qui s’obstine à ne rien dire sur le nucléaire, ou alors le strict minimum. Alors que d’un côté les dirigeant-e-s nous demandent d’être « citoyen-ne-s », de l’autre ils adoptent une attitude complètement déresponsabilisante. Seulement, pouvait-on attendre autre chose de personnes attachées à leur pouvoir ? Le secret n’est-il pas un excellent moyen pour asseoir leur pouvoir ?

Dans leur logique, qu’importe si les liquidateurs de Tchernobyl, les irradiés de Forbach, les irradié-e-s japonais, ou les exploité-e-s dans les mines d’uranium crèvent du cancer, pourvu que ce soit en silence !

Après l’autorisation en août 1999 d’un site destiné à préparer un stockage en grande profondeur à Bure, le gouvernement a lancé une mission de recherche d’un second laboratoire d’enfouissement dans un site granitique. Pour l’industrie nucléaire (dite propre !), il s’agit de cacher les déchets le plus discrètement possible. 15 sites sont repérés : Finistère, Côte d’Armor Mayenne… La technique des hauts fonctionnaires de l’État et de EDF est simple. Dans un premier temps on cherche à convaincre les élus de l’absence de danger et surtout on fait miroiter une manne financière importante, un potentiel de travail… Pour aboutir on met les sites en concurrence et on impose aux municipalités, aux conseils généraux une prise de décision rapide. Or face à cette tactique et cette méthode rodée, seule l’action directe sans compromis peut permettre de gagner. Participer à leurs commissions, à leurs rencontres (avec la tournée des trois hauts fonctionnaires de la commission de concertation granite) est une tactique vouée à l’échec.

Fin janvier les sites sont rendus publics. Les élus critiquent la méthode, critiquent les choix (sans remettre en cause le nucléaire) : tout en gérant son potentiel d’électeur-rice-s, l’élu ne propose aucune alternative autre que celle de la concertation avec le lobby nucléaire. Fort heureusement dans nombre de régions la population n’accepte pas cette logique de la compromission qui n’est qu’un logique de collaboration. La Mayenne reste certainement le meilleur exemple du mois de mars : les trois hauts fonctionnaires n’ont pas pu s’expliquer le 13 mars dernier et après quelques heures de séquestrations il durent repartir sous les huées et les œufs de 3 000 manifestant-e-s. Les manifestations se succèdent et prennent de l’ampleur : 1 000 personnes le 28 février dans le Finistère, 2 000 à Dinan le 18 mars, 5 000 à Brennilis le 19 mars…

Refuser l’enfouissement, c’est aussi refuser le nucléaire

Pourquoi nous imposer une industrie non rentable et dangereuse si ce n’est pour nous contrôler en nous empêchant d’accéder à une autonomie par le biais des énergies renouvelables et décentralisées. Refuser le nucléaire c’est refuser l’irréversible. Le nucléaire a une vie qui dépasse l’échelle des siècles. Les éléments radioactifs ont une durée de vie de plusieurs milliers d’années et aucun technocrate, scientifique ne peut assurer que l’on puisse assumer ces risques. Alors effectivement refuser le nucléaire, c’est dans un premier temps revenir à l’utilisation des énergies fossiles. Mais dans un second temps arrivent deux pistes : la première est celle des énergies renouvelables, la deuxième est celle d’une remise en cause de nos modes de productions et de consommations : produire plus rationnellement et en fonction de nos besoins.

Union régionale Bretagne de la Fédération anarchiste


Nucléaire et logique capitaliste

Entre les sympathiques écolos des années 70 et les Verts d’aujourd’hui, beaucoup d’eau nitratée a coulé sous les ponts. Prenant acte de leurs échecs répétés dans les scrutins majoritaires à deux tours, les Verts décident de se rapprocher du PS avec pour ambition d’en être un partenaire incontournable. En 1997, les Verts obtiennent quelques sièges de députés et un poste de ministre pour Dominique Voynet. Pour en arriver là, les Verts ont négocié des désistements réciproques, ainsi que l’arrêt de la centrale SuperPhénix et l’abandon du canal Rhin-Rhône. Cependant, ces deux projets sont abandonnés parce qu’ils sont économiquement ruineux et n’ont d’intérêt que pour les lobbies du béton et du nucléaire, qui ont su attirer à eux certaines populations au nom de l’emploi.

En outre, les Verts ont bien évidemment signé pour la solidarité gouvernementale (« un ministre, ça la ferme ou ça s’en va », dixit Chevènement) et accepté le principe de l’arbitrage ultime par Lionel Jospin. Sur les dossiers qui ne concernent pas directement Voynet, ils servent de caution au libéralisme économique de D. Strauss-Kahn, aux lois xénophobes et sécuritaires de J.-.P Chevènement, aux bombardements du Kosovo et de la Serbie par les avions de l’OTAN, etc. Sur les dossiers concernant directement l’Environnement, D. Voynet est régulièrement désavouée par le reste du gouvernement, au point d’en être ridiculisée. Certes, elle obtient un oratoire sur la question des Organismes génétiquement modifiés (OGM). Mais force est de constater qu’elle ne fait pas le poids sur les dossiers liés au nucléaire. Voynet et les Verts se déclaraient opposés à l’utilisation militaire du nucléaire : on la voit visiter gentiment les installations de l’Ile-Longue. Les Verts se déclaraient contre l’enfouissement des déchets nucléaires : Voynet signe avec quatre autres ministres le décret (nº 99-687 du 3 août 1999) pour la prospection de sites. Plus qu’un échec politique, c’est une faute.

Pour une rupture avec la logique de consommation

Dernièrement l’accident de l’Erika est une conséquence directe du capitalisme (de la confiscation de toutes les richesses, y compris naturelles, par une classe dominante), de la logique de profit. La logique de profit a poussé Total à réaliser plus de 10 milliards de bénéfices tout en réduisant au maximum ses coûts de transport. Le capitalisme, par sa recherche effrénée du profit, se rend responsable de la plus grande partie des atteintes à l’environnement. Mais la logique de profit engendre une autre logique : celle d’une consommation irrationnelle qui ne répond en rien à nos besoins. La logique de profit conduit le capitalisme à devoir faire écouler le maximum de marchandises. Pour cela, il s’est doté d’outils très performants :
 créer des nouveaux besoins avec la publicité ;
 diminuer la durabilité des biens de consommation et de leur réparabilité ;
 produire des objets consommant beaucoup d’énergie.

En matière d’électricité, les constats sont multiples. « Nous » n’utilisons pas les ampoules qui consomment le moins (ampoules à basses tensions). L’État et le patronat ne favorisent pas une politique d’isolation des habitats… la logique libérale est claire : il faut consommer.
Ceux et celles qui croient résoudre les problèmes écologiques sans éliminer le capitalisme se trompent lourdement.

Pour un contrôle des technologies et des sciences par la population

L’État ne peut pas être considéré comme un outil neutre que l’on peut utiliser à bon ou mauvais escient. Historiquement l’État (avec ses outils de contrôle social…) a été construit par les classes dominantes. Et face aux accidents (nucléaires, écologiques…), privé des réels pouvoirs, le gouvernement a de la peine à masquer sa principale fonction de régulation et de gestion du système capitaliste. Les experts scientifiques, les hauts fonctionnaires.... suivent donc une véritable théologie scientiste : « progrès technologique = progrès social = bonheur pour l’humanité ». Seul le développement scientifique par une société plus égalitaire, préférant le bien collectif à l’aspect financier et/ou au renforcement du pouvoir, et seul un système fédéraliste, autogestionnaire peut répondre à notre souci et notre besoin de contrôle.

Union régionale Bretagne de la Fédération anarchiste


Contre l’enfouissement des déchets nucléaires

L’union régionale Bretagne de la Fédération anarchiste appelle à rejoindre la manifestation régionale à Quintin (22) le 15 avril contre les projets d’enfouissement de déchets nucléaires, organisée par les collectifs locaux et le réseau « Sortir du nucléaire ». Ni ici, ni ailleurs, aucune région n’a vocation à devenir décharge nucléaire. La population n’a jusqu’à présent guère eu son mot à dire sur les choix énergétiques. Rappelons que l’État français a choisi la politique du tout nucléaire sans concertation, appliquant une véritable culture du secret depuis le début des années 50.

Par ailleurs, nous constatons que le décret (nº 99-687 du 3 août 1999) pour la prospection de sites a été signé par une ministre « verte » à l’environnement…

Dans l’immédiat, la Fédération anarchiste investie dans les collectifs se bat pour :
· l’arrêt des projets d’enfouissement des déchets existants et pour leur stockage sur les sites de production, sous la responsabilité du producteur, sous la surveillance des consommateurs et des consommatrices, des travailleuses et des travailleurs, d’associations écologistes et de laboratoires indépendants ;
· l’arrêt immédiat des programmes nucléaires civils et militaires ;
· des politiques ambitieuses d’économie d’énergie ;
· de gros investissements dans la recherche sur les énergies alternatives (éolienne, solaire, géothermie, biomasse…).

Nous souhaitons aboutir à un service public de production décentralisée d’énergie, autogéré par les travailleurs et travailleuses et les consommatrices et consommateurs, dans une perspective de co-développement entre les populations du Sud et du Nord.

C’est pourquoi nous appelons à une forte mobilisation à Quintin le 15 avril, l’un des sites proposés par la commission « Granit ».

Union régionale Bretagne de la FA.


ANDRA et corruption

En démocratie bourgeoise tout est à vendre… Même la démocratie ! Faire accepter au populo l’idée que l’on peut en finir avec les déchets nucléaires en les bennant dans le granit n’est pas chose aisée. Il n’est pas besoins de s’appeler Claude Allègre et d’être bardé de diplômes de géologie pour rire au nez de l’imbécile qui nous raconterait cela.

L’ANDRA (Agence Nationale de gestion des Déchets Radioactifs), pourtant y travaille. Cette organisation, créée en 91 officiellement afin de chercher une solution au problème des déchets radioactifs, semble consacrer une bonne part de son énergie et de son budget à cette œuvre. Convaincre les populations, les élus, le mouvement associatif, etc… de la justesse de ses idées voilà son premier objectif. Pour cela, tout est bon : La communication avec l’aide de cabinets spécialisés est bien sûr indispensable. Mais est-elle suffisante ? Qu’importe, il reste au cas où, un argument de poids : L’argent.

L’ANDRA n’étant pas à son coup d’essai, nous pouvons aujourd’hui décortiquer ses méthodes afin d’y réagir. La communication : Elle consiste d’abord à trouver des appuis chez les notables du coin (un ou deux peuvent suffire). C’est ainsi que dans la région de Fougères elle sut mettre dans sa poches deux maires, l’un de droite et l’autre de gauche. Par la suite, elle s’en sert pour promouvoir ses projets. Arguant de « l’Intérêt National » face aux « égoïsmes » locaux, elle fait à grand renfort de publicités coûteuses avancer son idée (jeux, concours, voyages organisés, maquettes vidéos).

La corruption. Dans un second temps, car bien entendu cela ne suffit en général pas, intervient l’argent. Et de cela, l’ANDRA, financée par le lobby du nucléaire, ne manque pas. Nous nous contenterons de donner quelques chiffres : Dans le département de la Vienne, elle a distribué 50 000 FF en 1995 pour une stabulation de chèvres ; 30 000 FF pour la réfection de vitraux et… près de 400 000 FF pour l’aménagement de bâtiments publics. Dans les cantons de Charroux et de Civray ce n’est pas moins de 3 175 000 FF qui ont été distribués (GAEC, musée, bar, dancing). Dans la Meuse l’ANDRA est allée jusqu’à 20 millions de francs.

On le voit, il n’est pas question de discuter avec une telle organisation. Il faut, bien au contraire, tout mettre en œuvre pour la combattre et la réduire à néant. La gestion des déchets doit être organisée sur les sites de productions. Mais avant toute chose c’est à l’arrêt immédiat de leur production que nous devons travailler.

Christian (Brest)

La plupart des informations que nous citons ici viennent d’un dossier du « COEDRA Pays de Fougères » : « Enfouir de déchets radioactifs en Bretagne ? »


Luttes dans l’éducation en Seine-Maritime

Un bilan en demi teinte…

La méga manif à Paris du vendredi 24 mars aurait pu permettre, à un mouvement enseignant en Seine-Maritime donnant des signes d’essoufflement, de rebondir et de repartir de plus belle. Hélas, c’est le contraire qui s’est passé, pour cause de remaniement ministériel. En ce sens, on peut dire que le fusible Allègre a bien fonctionné. Tous ceux qui ne savaient plus que réclamer sa démission en sont restés orphelins. Pour autant, personne n’est vraiment dupe. On sait qu’on va nous resservir les mêmes plats, parce que bien sûr on nous avait mal expliqué le menu, et que la sauce était certes un peu piquante. On peut compter sur Lang, grand artiste du strass et des paillettes, pour nous la jouer écoutes, dialogues et pédagogie (qui rime bien avec démagogie) face à des représentants syndicaux encartés à la gauche plurielle et qui ne demandent que ça ! C’est malheureusement aussi une réalité de terrain, on sait tout cela mais l’attentisme prévaut… Toutefois, il est encore trop tôt pour tirer toutes les leçons de ce mouvement, car il n’est pas terminé, et si la grève est certes arrêtée quasiment partout, la lutte n’en continue pas moins… On se contentera donc pour l’instant d’un petit bilan d’étape.

Pour la première fois depuis longtemps, il y a enfin eu convergence des luttes entre les différents étages de l’Éducation nationale. Enseignant-e-s de maternelle ou de primaire, de collège ou de lycée (général ou professionnel), tous se sont retrouvés, par delà les revendications spécifiques à chaque degré, pour au final demander le retrait des chartes et affirmer avec force que l’école n’est pas une marchandise.

Ce qui est intéressant, c’est que le mouvement s’est construit autour d’AG décisionnelles regroupant syndiqué-e-s et non syndiqué-e-s, des secteurs géographiques pour le premier degré, d’établissements pour le second degré. Ces AG mandataient (plus ou moins selon les endroits, ce qui posait problème) des délégué-e-s qui ainsi formaient une coordination des écoles et établissements en lutte, à laquelle s’étaient joints des représentant-e-s lycéen-ne-s. Les syndicats, en tant que tels, étaient invités à y participer. Sur le tard, la coordination est devenue départementale. Il est certain que le fonctionnement de cette coordination n’était pas facile, car il oscillait entre comité de grève et donc d’enseignants grévistes, et AG de mandatés divers (grévistes mais aussi parents et lycéens). Il manquait certainement, du moins sur la ville de Rouen, d’AG regroupant tout le monde, ce qui a nui à la dynamique, chose qui s’est passée différemment sur Le Havre ou des AG regroupant plusieurs centaines de personnes avaient lieu quotidiennement, et on sait que ça a un effet positif sur « le moral des troupes » quand il y a du monde… C’est vrai aussi qu’il y avait en plus une énorme participation et implication des parents d’élèves, ce qui ne facilitait pas la structuration et alourdissait l’organisation, tout en permettant une meilleure popularisation du mouvement et la mise en place de beaucoup plus d’actions de toutes sortes.

Un rapport de force encore insuffisant

À propos de parents, il est clair que la FCPE a joué un rôle plutôt trouble, du moins au niveau national (avec un discours soutenant les réformes d’Allègre mais avec des moyens pour les appliquer), car sur le département beaucoup de comités de parents et d’enseignants étaient sur la même longueur d’onde. Quant aux syndicats, on a retrouvé le même hiatus entre les contre et les pour, sans oublier les mauvaises habitudes qui reprennent le dessus. On soutient officiellement mais on ne se donne pas les moyens pour, voire même on essaye de freiner des quatre fers. Avec en plus la recherche d’une unité syndicale à tout prix, et on sait dans ce cas là que les plus avancés reculent bien plus que ne s’avancent les mous. Du coup, on a eu le droit aux mêmes pratiques qu’en 95, des grèves reconductibles suivies par une grosse minorité, puis la lassitude aidant une plus faible minorité, avec des journées dites de temps fort. Ce n’est évidemment pas comme ça qu’on crée un rapport de force suffisant (le mouvement n’a jamais réussi à avoir une dynamique expansive) et les résultats obtenus par exemple sur la carte scolaire et les dotations horaires sont encore trop maigres.

C’est bien pour cette raison que ce n’est pas fini, et on reparle déjà, à l’initiative de la coordination havraise, d’organiser des « jeudis noirs », c’est à dire des grèves tous les jeudis pour maintenir la pression, et si ce n’est pas suffisant, de repartir en grève reconductible. Les parents ne baissent pas les bras non plus, et ils mènent encore de nombreuses actions (occupations, blocages, écoles ou collèges morts etc.). On verra donc après les vacances de printemps si ce mouvement tiendra ces promesses !

Éric Gava. — groupe de Rouen


Conflits dans l’enseignement

Le règne de la Lang de bois

Les intersyndicales des instituteurs du Gard et de l’Hérault, confortées par les fédérations départementales des parents d’élèves FCPE, avaient donc remobilisés leurs troupes le mardi 4 avril à Montpellier. Cet appel à la grève et à manifester faisait suite à un désaccord avec le rectorat (cf. le Monde libertaire nº 1200) dans le cadre des négociations promises par Allègre avant son départ. Ce sont donc un millier de personnes qui ont défilé dans la capitale académique. Ce même jour le département de l’Hérault enregistrait un taux de grévistes assez bas. Le Gard comptait 30 % d’instituteurs mobilisés, absents de leurs écoles.

Dans le même temps, des entrevues ont lieu au ministère de l’Éducation. Le 4 avril, les délégués rencontraient un conseiller technique qui leur assurait que les spécificités gardoises et héraultaises ne pouvaient être prises en compte, les moyens manquant. Ce qui remet en cause ce qu’avaient promis Allègre et Bancel, l’émissaire ministériel chargé de mener les négociations. Et qui a fait dire à la FCPE gardoise : « Nous avons été floués. » Comme pour enfoncer le clou définitivement, le coordinateur des négociations déclare notamment (1) : « Soyons clair : aujourd’hui, nous n’avons rien à mettre sur le table. Nous n’avons aucune notification du ministère […] ». Et d’appeler à une énième consultation pour avoir un éclairage précis de la situation, comme si le ministère n’avait pas déjà toutes les informations !

Évidemment, la situation est à l’avantage de l’équipe de Jack Lang. Le conflit a cessé même si une grève administrative continue, la mobilisation, malgré de réels efforts, est au plus bas. Moralement, il apparaît clairement qu’il n’y a plus beaucoup d’espoirs pour négocier autre chose que ce que l’administration voudra bien céder. Jospin a donc bien manœuvré avec Allègre et Lang pour casser la contestation sur la base de promesses que personne ne veut assumer, et en saupoudrant moyens et négociations sur les secteurs de la fonction publique en lutte (Trésor public, enseignement professionnel ou secondaire…).

Le secondaire peine à trouver un souffle aussi puissant que le secteur du primaire pour imposer ses revendications, malgré les appels du SNES à une grève académique le 7 avril. Mais une jonction est-elle à nouveau possible entre le primaire et le secondaire en butte aux mêmes difficultés à obtenir des moyens auprès de l’État ? Une partie de la réponse fut livrée le 8 avril, puisque les syndicats appellent à une manifestation départementale du primaire et du secondaire, à Nîmes. Si le souffle puissant de la grève générale se remettait à souffler, cela pourrait faire des dégâts à Matignon, puisque cela en a déjà fait ici, dans les esprits de ceux qui on le cœur à gauche.

Daniel. — groupe Gard-Vaucluse de la FA.

(1) Midi libre du 6 avril 2000.


Faits d’hiver

Debout ou assis ?

C’est un fait, se rendre aux chiottes après le passage d’un mec expose par trop souvent à quelques désagréments du style quelques gouttes d’urine tenant sur le couvercle de la cuvette (le secouage de zizis après usage n’est pas une science exacte) ou des petites mares jaunâtres et malodorantes souillant le carrelage (réussir à pisser pile poil dans une lunette de chiotte n’est pas à la portée du premier mâle venu). Bref, en un mot comme en cent, pisser debout c’est particulièrement cradingue et dégueulasse, et c’est sans hésitation aucune que nous faisons nôtre cette juste lutte que doit être l’incitation des messieurs à faire pipi assis !

Les féministes radicales de Berlin s’y essayent depuis plusieurs années en tapissant le petit coin de pancartes sans équivoque « Interdiction de pisser debout », « Messieurs : Levez-vous pour vos droits, mais asseyez-vous pour pisser ». Mais, on ne change pas comme ça une « mâle » attitude qui plonge ses racines dans le cerveau reptilien de l’Homo erectus. Et ce d’autant plus que nonobstant la résistance virile de cohortes d’abrutis adeptes de la quéquette pollueuse, l’art et la manière de pisser debout continue d’être enseignés aux petits hommes dans la plupart des écoles maternelles de France et de Navarre.

De là à se réjouir que la société immobilière de Radeburg (près de Dresde) qui gère 500 logements ait (après s’être aperçue que l’une des causes de rouille des radiateurs placés dans les toilettes provenait d’éclaboussures d’urine) intimé l’ordre à ses locataires de n’utiliser les toilettes qu’en position assise sous peine de faire payer les réparations des radiateurs aux contrevenants, il y a cependant un pas que nous ne franchirons pas !

Parce que la répression précipiterait immanquablement les zizis récalcitrants dans les bras de la réaction et du conservatisme, nous nous devons. une fois de plus, de proclamer : « L’émancipation des zizis sera l’œuvre des zizis eux-mêmes ! »

Jean-Marc Raynaud


Les sans-papiers réveillent l’université

Les vacances de Pâques ont provisoirement suspendu (selon les zones concernées), les actions des collectifs de défense des étudiant-e-s étranger-e-s… Les différents collectifs qui se sont organisés renvoient l’université à sa vocation d’universalité et non de subordination à la préfecture. Ces collectifs pourraient être le petit coup de fouet ramenant la combativité dans le mouvement des sans-papiers… (?)

À Rennes et Nantes (1), le cas concret d’étudiant-e-s en danger immédiat d’expulsion a cristallisé un collectif de soutien, dont les actions (rassemblements, manifs, occupations de présidence…) ont servi à régler des situations individuelles. Le collectif nantais étudiant de défense des sans papiers… (CNED des sans-papiers…) veut poursuivre sa lutte et a donc rejoint la toute jeune coordination comprenant également Toulouse, Paris et Lille. À Toulouse (occupation du Rectorat), Lille (occupation de l’IEP par le collectif des sans-papiers) et Paris (d’où est venue la mobilisation), les occupations se sont terminées par l’intervention de CRS… Rappelons que suite aux arrestations à Saint-Denis, 4 personnes sont poursuivies et devront bientôt comparaître…

Quand la préfecture juge des études…

L’affirmation première, «  carte d’étudiant-e = carte de séjour » est bafouée de plus en plus ouvertement par les préfectures qui n’ont pas peur de faire du zèle en la matière, de traquer les prétendu-e-s fraudeurs-ses, et d’ajouter l’humiliation à l’angoisse « Quatre ans pour obtenir un DEUG… Vous ne croyez pas que vous seriez mieux » chez vous « au lieu d’essayer de faire des études ici ? » (sic). Comme le fait justement remarquer le GISTI, les universités ne sont pas les responsables de la situation de ces étudiant-e-s étouffé-e-s sous l’amoncellement de lois et circulaires, les enfermant dans une situation de précarité ingérable : pour obtenir un titre de séjour, il faut être affilié-e à la sécurité sociale et présenter une inscription dans un établissement, alors que l’on ne peut être affilié-e que si l’on présente un titre de séjour, et que l’inscription suppose elle-même que l’on dispose d’une couverture sociale…

Précarisé-e-s/humilié-e-s/expulsé-e-s ; c’est la devise de la République pour les sans-papiers. Devise qui ne concernent pas tous/toutes les étranger-e-s, puisque les universités multiplient les offres d’accueil pour certains publics : mais les étudiant-e-s venu-e-s des pays les plus pauvres ne semblent pas une clientèle intéressante…

Si les universités ne sont pas responsables de cette situation, elles en sont trop souvent complices : les président-e-s d’Université peuvent parfaitement inscrire les étudiant-e-s sans réclamer de titre de séjour ! Qu’ils le fassent ! On ne peut plus se contenter des déclamations humanistes : Ne rien faire, c’est prendre partie. Des professeurs de Paris VIII ont lancé un appel de solidarité avec les étudiant-e-s sans-papiers où ils déclarent refuser d’être transformé-e-s en auxiliaires de la préfecture de police et affirment que la seule manière de régler le problème est de régulariser tous/toutes les étudiant-e-s inscrit-e-s dans les universités. Ce texte circule pour signatures. Initiative simple, à reprendre, permettant de confronter actes et discours…

Quelle est la logique de « l’accueil » à l’œuvre ?

Parfois les pouvoirs publics entrouvrent un peu plus les frontières, sans qu’une logique claire apparaisse : souci de l’image internationale ? Démagogie « humanitaire » quand expulsions et répression ont été trop médiatisées ? Ainsi, le 12 janvier dernier, le ministre de l’intérieur a-t-il annoncé qu’il entendait doubler le nombre des visas accordés aux étudiant-es étranger-e-s (23 500 seulement en 1998, ce qui est très peu : le taux global d’étudiant-es étranger-es a chuté de 50 % en 15 ans).

Quelles seront les spécialités que devront choisir ces étudiant-e-s pour être élu-e-s ? S’agit-il de promouvoir la francophonie ou le rayonnement de la France dans le monde ? S’agit-il de répondre à des besoins de l’économie, (puisqu’après 2005 les enfants du « baby-boom » sont censé-e-s partir en retraite) ? Fulgurante anticipation économique… aidée peut-être par le rapport de l’ONU sur les migrations de remplacement.

Celui-ci prévoit, (si l’Europe veut enrayer le vieillissement de sa population et maintenir le rapport actuel « actif-ves/inactifs-ves »), qu’un apport de 700 millions d’immigré-e-s sera nécessaire d’ici 2050, dont 93 millions seulement pour la France ! Soit 1,7 million par an… Bien sûr, il existe une autre solution que les « experts » de l’ONU estiment beaucoup plus réaliste, et qui consiste à foutre en l’air le système actuel des retraites…

Ouvrir la porte de l’Europe suivant les besoins à court terme, faire travailler plus et plus longtemps locaux comme immigré-e-s : c’est le cocktail du bonheur capitaliste pour le prochain siècle.

Hervé et Jeanne. — groupe de Nantes

(1) Cité par Libération le 22 mars dernier


Lyon : le collectif solidaire des sans-papiers se structure

La première réunion publique de ce collectif s’est déroulée le 8 avril, avec une cinquantaine de personnes, dont des sans-papiers. La présence de la Cimade et de l’association « Les gens de partout » a donné lieu à une discussion sur leur stratégie du « cas par cas » qui, dans les faits, à empêché l’émergence sur Lyon, depuis plusieurs années, d’un collectif autonome de sans-papiers. Devant l’importance du travail à faire, le collectif solidaire des sans-papiers préfère pour l’heure mettre en avant la plate-forme revendicative (des papiers pour tous les sans-papiers avec une carte de 10 ans, abrogation de la double peine et des lois Debré-Pasqua-Chevènement, liberté de circulation et d’installation), plutôt que de s’enferrer avec les tenants du « cas par cas » dans une polémique forcément démobilisatrice. Le collectif, dont l’Union locale de la FA est partie prenante, se réuni donc tous les jeudis soirs et il assure une permanence publique tous les mercredis provisoirement entre 15 h et 17 h à la librairie libertaire La Gryffe. Une initiative est d’ores et déjà prévue, avec un cortège le Premier Mai.

Martial. — groupe Kronstadt (Lyon)

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Rhône : expulsions hors la loi pour le préfet zélé

Le tribunal administratif de Lyon, en s’appuyant sur la loi du 11 mai 1998 qui introduisait la création d’une « commission du titre de séjour » qui « est saisie par le préfet lorsque celui-ci envisage de refuser ou de renouveler une carte de séjour temporaire », a sanctionné mercredi 5 avril la préfecture du Rhône qui n’a eu recours que 5 fois à cette commission alors qu’elle émet 350 reconduites à la frontière par trimestre sur le département. C’est à l’initiative d’une femme sans-papiers turque, qui n’était pas passée devant la fameuse commission et à qui la préfecture ne voulait pas accorder un titre de séjour, que le tribunal a été saisi. Résultat : le refus de sa carte de séjour a été annulé, l’État condamné à lui verser 5 000 FF, et, surtout, ce jugement va faire jurisprudence.

Le ministère de l’Intérieur a d’ailleurs fait appel de ce jugement auprès du conseil d’État, car cela contrarie sa volonté, exprimée notamment dans sa circulaire de novembre dernier où il s’inquiétait du peu de reconduites à la frontière et incitait les préfets à « une action méthodique et organisée ». Il est évident que la situation dans le Rhône n’est pas un cas isolé : dans toute la France plusieurs dizaines de milliers d’individus sont contraints à la clandestinité et subissent de plein fouet l’(in)justice expéditive d’un État raciste. Même si le jugement rendu par le tribunal administratif de Lyon peut être un levier juridique pour faire annuler des reconduites à la frontière, ses limites sont évidentes : l’avis de la commission du titre de séjour n’est pas impératif.

Martial. — groupe Kronstadt (Lyon)


Crise de foi

Notre mort nous appartient !

Le Comité d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé a proposé dans un avis rendu public le vendredi 3 mars d’instaurer une « exception d’euthanasie ». En cas de procédure judiciaire, une commission étudierait les circonstances de l’assistance à la mort. Ces pratiques doivent cependant être réservées aux cas extrêmes et respecter la demande « authentique » du patient. Le professeur François Lemaire affirme que, dans les services de réanimation, « 50 % des décès sont liés à l’euthanasie passive ». En résumé, on débranche le patient quand il n’y a plus rien d’autre à faire. Cette pratique est à l’heure actuelle fermement interdite par la loi. Outre ces cas, nous devons affirmer que le choix de mourir appartient au patient. Nul n’a le droit de l’obliger à vivre, si il n’en éprouve plus l’envie ni la volonté.

Les religieux sont opposés à cet avis du Comité d’éthique. Ainsi, La Croix du 6 mars a consacré deux pages entières sur le sujet, en réaffirmant le bienfait des soins palliatifs jusqu’au bout. Car pour Mgr Billé «  il n’a jamais d’acharnement thérapeutique ». L’argumentation se poursuit ainsi : « Tu ne tueras pas est un commandement de Dieu. C’est aussi le fondement de toute vie sociale respectueuse d’autrui ». Que des croyants veulent obéir aux dogmes de leurs Églises, en refusant jusqu’au bout le recours à l’euthanasie, c’est leur affaire. Mais ils n’ont pas à l’imposer aux autres, c’est cela « respecter la vie d’autrui ». L’Église refuse aux individus le droit de choisir de continuer à vivre ou non. C’est que, pour l’Église, quelles que soient les circonstances et les raisons : l’individu n’a aucun droit, il doit se soumettre à la loi de Dieu, donc de l’Église.

La Croix du 7 mars remet ça avec un dossier de 4 pages sur l’euthanasie. Celle-ci est « une grave violation de la loi de Dieu ». On lit aussi que « La vie humaine est sacrée parce que, dès son origine, elle comporte “l’action créatrice de Dieu” […]. Dieu seul est le maître de la vie de son commencement à son terme : personne, en aucune circonstance, ne peut revendiquer pour soi le droit de détruire directement un être humain innocent. »

L’Église est simplement opposée au droit de disposer de sa vie ainsi que de sa mort. Cela s’appelle du totalitarisme.

Régis Boussières. — groupe Kronstadt (Lyon)


Mots creux pour ventres vides au sommet Europe-Afrique

Réunis au Caire, le 3 et 4 avril, à l’occasion de la première conférence Europe-Afrique, les chefs d’Etat des 67 pays représenté ont donné le spectacle de mots creux pour s’adresser à des ventres vides. En effet, quel sens peuvent bien avoir «  les défis du développement durable », « l’éradication de la pauvreté » ou « assurer la sécurité alimentaire » quand la famine menace a nouveau de ravager l’Éthiopie et que la plupart du continent noir n’est guère dans une situation plus favorable (Madagascar, le Soudan ou le Mozambique sont là pour le rappeler). Le verbiage des corrompus et des sanguinaires venus se serrer les coudes au Caire n’aura pas d’effet sur le naufrage d’un continent que René Dumont estimait « mal parti » dans les années 1960 est qui est à coup sûr mal arrivé. La part de l’Afrique dans l’économie mondiale est en constante diminution. Dans les années 60 sa part du commerce mondial était de 6 %, elle est tombée à 2 %.

La situation est du même ordre pour les investissement étrangers. L’Afrique n’attire que 1,5 % des 315 milliards d’Euros investis chaque année dans le monde. Par contre la dette du continent atteint la somme vertigineuse de 350 milliards d’Euros. Il est bien évident que jamais l’Afrique ne sera en mesure de rembourser cette somme. Le simple remboursement des intérêts saigne des économies faibles et augmente encore la misère pour peu qu’à ces niveaux de dénuement cela puisse encore avoir un sens à nos yeux d’occidentaux. La dette est l’occasion pour le FMI d’imposer ses plans monétaristes et libéraux dont les effets directement dévastateurs pour les populations n’ont même plus besoin d’être soulignés. Pourtant, dans ces conditions tragiques, la revendication africaine d’annulation de la dette est de nouveau restée sans réponse.

Les participants ont toutefois décidé de créer une commission conjointe composée de technocrates chargés d’élaborer un rapport sur la question qui sera examiné à un niveau ministériel «  dans un délai raisonnable ». À se tordre de rire ! À croire aussi que les milliards de pots de vins qui ont dû être versés aux familles des requins du Caire ont mis à sec la cagnotte européenne. En fait l’économie a pris le pas lors de ce sommet sur les questions humaines, révélant par là sa véritable nature : faciliter l’entrée de l’Afrique dans la mondialisation et dans la mafia OMC, sous la houlette du parrain Europe.

Les populations otages des grandes puissances

La place de l’Europe en Afrique est en effet de plus en plus incertaine faces aux avancées du géant américain. Le monde d’après la chute du communisme soviétique cherche à retrouver de nouveaux rapports de forces qui remettent en cause les positions acquises. Pourtant, la référence à l’histoire, omniprésente dans cette conférence, rappelle le poids toujours actuel d’une décolonisation mal engagée, mal menée et finalement bien inachevée. Quand ce n’est pas le roi du Maroc qui demande sans surprise un « plan Marshall » pour l’Afrique, c’est le nigérian Olusegun Obasanjo qui appelle de ses vœux une nouvelle « conférence de Berlin », en référence à celle des puissances européennes qui, en 1885, s’étaient mises d’accord sur le dépeçage de l’Afrique. C’est à croire que pour certains chefs africains la colonisation a été une bénédiction qu’ils aimeraient voir se reproduire. Qu’ils ne s’inquiètent d’ailleurs pas trop, ce sont bien toujours les anciennes puissances coloniales (principalement la France et le Portugal) qui tiennent à leur emprise géopolitique sur l’Afrique. Il faut dire que l’Afrique, pour pauvre qu’elle soit n’a jamais cessé d’être l’objet des convoitises géopolitiques des grandes puissances.

Autrefois terrain de la guerre froide, elle est aujourd’hui au cœur de la lutte d’influence que se livrent américain et européens. En Asie et en Amérique latine la messe est dite : l’Amérique règne sans partage. Aux européens reste l’Afrique pour se donner l’impression d’être une puissance qui compte. La partie n’est pas gagnée pour ces derniers mais elle est déjà perdue pour les populations qui sont les otages de ces tractations et rapports de forces.

L’Europe pose ses pions en espérant pouvoir en pousser quelques uns. L’Afrique essaye de grappiller quelques miettes laissées de côté par un prédateur ou un autre. Finalement, dans ce jeu de pouvoir sans pitié, Le Caire n’aura été qu’une réunion de famille. En regardant la photo souvenir, Abdou Diouf le Sénégalais battu aux élections, pourra se rappeler le bon temps en contemplant Mohammed 6 qui fait sont entrée et Kadhafi revenu après une mise au placard de quelques années. Il risque de bien rigoler s’il relit la « déclaration du Caire » et ses promesses pompeuses sur le « développement durable », à moins que les peuples que lui et ses amis oppriment ne leur aient fait passer le goût de la plaisanterie.

Frank Gombaud (Rennes)


Nouvelle cagnotte… à l’UNEDIC

Il n’y a pas que les caisses de l’État qui sont pleines : celles du régime d’assurance-chômage, l’UNEDIC, elles aussi, débordent ! L’excédent pour cette année est estimé à 6 milliards de francs. L’an prochain, la cagnotte s’élèvera à 14 milliards. De quoi réjouir tous les chômeurs qui ne touchent aucune indemnité ! En effet, au fil des années, avec la complicité des grandes confédérations syndicales et sous la pression du patronat, le taux de couverture par le régime d’assurance-chômage des personnes privées d’emploi n’a pas cessé de diminuer passant de 50 % en 1993 à 41 % en 2000. En clair, cette année, 59 % des chômeurs ne sont pas couverts par l’UNEDIC ! Contrairement à la cagnotte fiscale, les excédents à l’UNEDIC, ce n’est pas nouveau. Déjà en 1994, 1995 et 1996, le régime s’était offert quelques surplus (8,7 milliards de francs en 1994 ; 22,4 en 1995 et 10,3 en 1996). Parallèlement, les chômeurs voyaient leurs prestations se réduire : renforcement de la dégressivité des indemnités, durée de cotisation plus longue requise pour obtenir quelques sous, etc.

Les gestionnaires syndicaux, sous la surveillance patronale du MEDEF devaient, mardi 4 avril dernier, se pencher sur l’affectation de ces excédents. Ils ont jusqu’à fin juin pour prendre une décision. À cette occasion, les patrons ont rappelé leurs exigences : pas question d’augmenter les prestations ou d’accroître le nombre d’allocataires. Ils souhaitent mettre en place un « Contrat d’aide au retour à l’emploi ». Cela consisterait à proposer aux chômeurs un bilan de compétences suivi d’une proposition d’emploi ou d’une formation… En cas de refus « répétés », les allocataires perdraient leurs indemnités ! C’est ce que les patrons appellent : le « traitement économique du chômage »…

Toujours plus, le MEDEF veut en profiter pour demander de nouveaux contrats de travail. Il veut en finir avec les contrats à durée indéterminée (CDI). Il revendique des CDI à durée maximum de cinq ans ! Plus grande souplesse du salariat, faire face aux pénuries de main-d’œuvre dans certains secteurs économiques, le MEDEF ne fait pas dans la dentelle quand il s’agit de défendre ses intérêts.

En face, les mêmes clowns syndicaux s’apprêtent à avaliser leurs demandes. La CFDT, la CFTC et la CGC ne sont pas opposées à la fin de la dégressivité des indemnités et verraient d’un bon œil cette obligation à retrouver le plus rapidement possible un emploi. Vieille rengaine social-chrétienne qui sous-tend que tout chômeur est un fainéant en puissance !

Pour ceux et celles qui croiraient encore aux vertus de la cogestion, à l’heure où le MEDEF veut quitter les organismes paritaires, il est bon de rappeler que toutes les galères des demandeurs d’emploi (baisse des indemnités, non recouvrement par l’assurance-chômage d’une large majorité d’entre eux), ils le doivent à tous ces technocrates syndicaux qui siègent dans les organismes paritaires. Un exemple pour mémoire : c’est madame Notat, secrétaire générale de la CFDT, qui, en 1992 avait le principe de l’allocation unique dégressive estimant que « l’indemnisation doit jouer un rôle actif dans le reclassement des chômeurs » (illustration parfaite de la doctrine sociale chrétienne : un chômeur bien payé ne répond plus au Capital !).

À lire et écouter patrons, syndicalistes et ministres, les solutions qui risquent d’être retenues sont les suivantes : on ne touche rien au système d’assurance chômage, aussi injuste soit-il et on prend quelques mesurettes pour « améliorer » la situation des salariés précaires. La philosophie restant la même : galère maxi pour les chômeurs, suivie pour les précaires ! À moins que les organisations de chômeurs bousculent ce triste scénario !

Alain Dervin. — groupe Pierre-Besnard


chronique anarcha-féministe

La gynécologie médicale ou d’éventuelles mutilations !

Cette année 2000 serait celle des femmes ! D’après la Coordination française pour la Marche mondiale des femmes dans la plate-forme qu’elle a signée l’année 2000 est présentée comme une année d’initiatives et de manifestations des femmes. D’ailleurs un grand nombre sont prêtes à se mobiliser concrètement pour avancer réellement contre les violences et la pauvreté. Le 15 janvier a été un moment pour l’avortement et la contraception. Les politiques ont été pléthores, ce terrain reste sensible ce qui n’est pas le cas de la gynécologie médicale. Le 25 mars, une manifestation, à l’appel du comité de défense fort d’une pétition de 800 000 signatures, a rassemblé 9 000 personnes.

Le diplôme a été supprimé en 1986 au nom de l’harmonisation européenne selon les gouvernements. En effet, cette spécialité médicale était une exception française qui a permis un meilleur suivi médical des femmes durant toute leur vie, des dépistages précoces de cancers, moins de mutilations. Par contre dans les pays européens, la gynécologie est une discipline chirurgicale et non médicale. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : une femme sur deux voire trois n’a plus d’utérus à cinquante ans alors qu’en France une sur six à la fin de sa vie. En effet, beaucoup de gynécologues obstétriciens (des chirurgiens, surtout des hommes) proposent des ablations comme premiers traitements : il est vrai qu’une femme à cinquante ans n’est plus une vraie femme puisqu’elle ne va plus enfanter ! De plus détruire cette spécialité sous-entend qu’une femme consulte uniquement si elle est enceinte ou si elle a besoin d’une intervention chirurgicale !

D’autre part cette mesure s’inscrit bien dans la logique d’ensemble d’un-e généraliste référent-e qui donnerait le feu vert pour consulter un-e spécialiste et être remboursée ! C’est la logique libérale qui s’impose toujours plus, la santé des femmes est en jeu mais aussi la libre disposition de leur corps !

Martine va chez la gynéco


Élections à Taiwan

Fin de la Chine unique ?

Dimanche 18 mars a eu lieu à Taïwan l’élection présidentielle, la deuxième organisée au suffrage universel dans l’histoire de la jeune démocratie de l’île « nationaliste ». Taïwan est en effet une île singulière. Peuplée actuellement de 22 millions d’habitants, elle a pour langues principales le mandarin officiel, le taïwanais et le hakka, et est composée à 65 % de taïwanais, descendants d’immigrés venus il y a 200 ans de la province du Fujian, située de l’autre côté du détroit de Formose, à 15-20 % de hakkas venus à la même époque du Guangdong, situé au sud du Fujian, et à 15 % de continentaux arrivés avec Chiang Kai shek en 1949, les aborigènes comptant pour moins de 2 %.

« Découverte » au XVIe siècle par les portugais sous le nom initial de Formose (1), elle est conquise par l’empire chinois un siècle plus tard. Suite à la guerre sino-japonaise de 1895, elle devient nippone (2) pour un demi-siècle avant de réintégrer le giron chinois en 1945 après la défaite du Japon, allié de l’Allemagne nazie.

Mais les manières corrompues et méprisantes des nationalistes chinois du KMT, parti au pouvoir, qui s’imaginent débarquer en libérateurs, choquent les taïwanais de souche, les comparant ainsi avec les japonais : « Les chiens sont partis, les porcs sont arrivés. » En 1949, fuyant l’avancée communiste en Chine continentale, le président de la République, Chiang Kai shek, également chef du KMT, se réfugie à Taïwan avec 30 000 de ses hommes. Il signe l’année suivante, alors qu’éclate la guerre de Corée, un traité de défense avec les États-Unis et va instaurer jusqu’à sa mort en 1975 une dictature de fer. Sa fin de règne sera assombrie par le vote des Nations Unies qui en 1971 reconnaissent la République populaire de Chine comme le seul gouvernement chinois légal.

C’est son fils Chiang Ching kuo qui lui succède. Nouvel avatar de l’allié américain qui en 1978 reconnaît Pékin comme seul représentant de la Chine. En 1986 Chiang Ching kuo va préparer sa succession en procédant à la levée de la loi martiale et en intronisant comme dauphin un taïwanais de souche, Lee Teng hui. Ce dernier lève l’état d’urgence, encore en vigueur, en 1991 et prend le risque en 1996 de provoquer la première élection présidentielle au suffrage universel : il est facilement élu, même s’il a été aidé pan l’achat de voix par le KMT (3), lequel contrôle en outre largement les médias audiovisuels.

Un scrutin sous tension

Trois candidats sont en lice pour ce scrutin calqué sur le modèle américain (4). Lien Chan, vice-président sortant, est le candidat officiel du KMT, le parti nationaliste au pouvoir sans discontinuité depuis 1945, James Soong, politicien populiste et ancien du KMT, a les faveurs de Pékin, et Chen Shui bian, candidat du DPP, parti démocratique « progressiste » animé par des taïwanais de souche, créé en 1986, a placé sa campagne sous le double signe de la démocratisation et de l’indépendance. (5)

Tout au long des semaines précédant le scrutin, le régime communiste au pouvoir en Chine continentale va faire monter la pression, massant de nombreuses troupes dans le Fujian face à Taïwan et pointant ses missiles. En février, il publie un Livre blanc sur Taïwan et s’arroge le droit de recourir à la force non seulement dans l’hypothèse d’une évolution indépendante mais également en cas d’« enlisement » des discussions sur la réunification, ce qui constitue un véritable diktat. Trois jours avant le scrutin, le premier ministre, Zhu Rongji, va jusqu’à dire publiquement : « Vous n’aurez pas une seconde occasion de le regretter. »

À la surprise de nombreux commentateurs qui pensaient qu’un réflexe « sécuritaire » jouerait en dernière minute, c’est Chen Shui bian qui est élu. Ce dernier a l’aura à la fois du self-made man et du « dissident ». Fils de paysans illettrés, il est devenu avocat tout en participant à la lutte contre la dictature. Il a même passé huit mois en prison et sa femme, Wu Shu jen, est paralysée à vie depuis un « accident » provoqué par un camion à la sortie d’un meeting du DPP ; quant à sa colistière Annette Lu, fondatrice du mouvement féministe taïwanais, elle a passé huit ans derrière les barreaux. Mais habile tacticien, Chen a mis en sourdine en fin de campagne ses convictions indépendantistes, se satisfaisant du statu quo actuel : indépendance de facto, non-reconnaissance par la communauté internationale mais permettant à Taïwan de vivre de manière autonome.

D’ailleurs sa victoire est toute relative. Il n’obtient que 39,3 % des voix, talonné par Soong avec 36,7 %, alors que le candidat officiel, Lien Chan, est laminé avec seulement 23 %. Et au parlement, les partisans sont minoritaires : 71 DPP contre 117 KMT et 15 pro-Soong, alors que la constitution lui interdit de dissoudre, et il va devoir faire face à une administration façonnée par un demi-siècle de nationalisme chinois.

Aussi prend-il ses adversaires de vitesse : alors qu’il n’entre en fonction que le 20 mai, il tend la main dès le 21 mars au régime communiste en se disant prêt à se rendre à Pékin, propose également au président de la république Jiang Zemin et au premier ministre Zhu Rongji de venir à Taipei (6), et offre de négocier immédiatement l’établissement de liens commerciaux et de transport directs, interdits jusqu’ici. Cette dernière mesure est aussitôt votée par le Parlement, et, surprise, le 29 mars, il choisit comme Premier ministre l’actuel ministre de la Défense, Tang fei, membre du KMT, destiné à « rassurer », à s’assurer la loyauté des forces armées, à poursuivre une cohabitation moins heurtée avec le Parlement à majorité KMT, et il s’engage publiquement à ne pas proclamer l’indépendance.

Un risque de poudrière bien réel

Devant cette situation, et même s’ils ont le sentiment d’avoir perdu la face, les dirigeants chinois se sont contentés pour l’instant d’un bref communiqué de l’agence Chine nouvelle, repris par tous les journaux continentaux en bas de première page, sans photo et sans commentaire, annonçant la victoire du candidat Chen Hsui bian, tout en rappelant qu’ils ne toléreraient aucune forme d’indépendance pour Taïwan. Mais ce qu’ils n’ont pas compris c’est l’évolution des mentalités ? l’unification de l’île aux conditions de Pékin a été rejetée par les trois candidats ? et le fossé culturel qui s’est creusé, surtout au niveau de la jeunesse qui se considère d’abord comme taïwanaise. Un véritable mouvement identitaire s’est fait jour, comme en témoigne l’essor des langues locales ainsi que de la musique, de la peinture et des danses ethniques. Et le traumatisme du massacre du 28 février 1947 (7) est toujours prégnant.

La plupart des taïwanais n’acceptent plus le modèle d’unification « un pays deux systèmes » et ne souhaitent pas devenir un autre Hong-Kong ou Macao. Et il faut rappeler que c’est le président sortant, Lee Teng hui, qui dans un entretien avec la radio allemande Deutsche Welle le 9 juillet 1999 avait posé comme préalable à toute négociation la reconnaissance d’une « relation spéciale d’État à État ».

Taïwan revendique en outre le succès (8) de son modèle de développement. Quatorzième puissance mondiale, détentrice d’une des plus importantes réserves mondiale de devises, elle a un PNB de 1750 milliards de francs, un taux de croissance annuel de 6 % et un niveau de vie proche des standards européens avec une moyenne de 80 000 FF par an par habitant. Véritable bloc d’industries de haute technologie, elle est partie intégrante de la nouvelle économie mondialisée.

L’installation dans la durée de ce nouveau « modèle démocratique » risque à terme de faire des émules de l’autre côté du détroit de Formose. Aussi la nomenklatura chinoise est-elle tentée, pour masquer également son propre échec social, de susciter un élan nationaliste auquel les « dissidents » eux-mêmes ne sont pas insensibles, Wei Jingsheng en tête, élan qui mènerait « inéluctablement » à une guerre avec Taïwan. Le mythe de la Chine unique a vécu mais le risque de poudrière est bien réel.

J-J Gandini

(1) Formose veut dire « la belle » en portugais.
(2) Malgré leur comportement brutal ils ont participé efficacement à la modernisation du pays
(3) Parti le plus riche du monde, le KMT est à la tête d’une nébuleuse de 150 entreprises totalisant un chiffre d’affaires de 54 milliards de francs.
(4) Le scrutin se déroule sur un seul tour et chaque candidat a un colistier à la vice-présidence
(5) à noter son « attachée spéciale » lors de ces élections : Christine Deviers-Joncour mêlée au scandale provoqué par l’achat des frégates Thomson par le président Lee Teng hui, lorsque Roland Dumas était ministre des Affaires Étrangères, avec son cortège de commissions pharaoniques…
(6) Capitale de Taïwan.
(7) Ce jour-là un soulèvement local a été sauvagement réprimé par les forces armées de Chiang Kai shek : 30 000 tués parmi la population de souche taïwanaise.
(8) Tempéré par de fortes disparités sociales et une dégradation accélérée de l’environnement.


Ouganda

Du délire apocalyptique aux meurtres

Ça y est ! Une secte millénariste et apocalyptique est passée du délire mystique à l’application concrète de sa propagande, à savoir le suicide et le meurtre de ses membres. À l’approche de l’an 2000, on redoutait déjà le pire de la part de ses sectes (cf Le Monde libertaire nº 1189) qui fondent leurs mysticisme sur l’apocalypse de saint Jean. Ainsi la fin du monde qui déclencherait le retour de Jésus… Hélas, ce retour se fait attendre. Pour le provoquer, il faut se suicider afin de hâter la fin du monde. C’est ce qui s’est passé en Ouganda, où la secte chrétienne de la « Restauration des dix commandements » est passée à l’acte. Résultat : des centaines de morts par suicide ou meurtre organisé. Ainsi, 300 adeptes dont 78 enfants ont péri le 17 mars dans l’explosion d’une église truffée de bombonnes d’acide, dans le village de Kanugu. Une semaine plus tard, la police déterrait 153 cadavres ensevelis dans un camp de la secte, une partie d’entre eux portait encore des bandelettes de tissu serrées autour du cou. Et on craint encore d’autre découvertes macabres…

La secte était dirigée par un ancien prêtre. Voila qui devrait faire réfléchir ceux qui prétendent que face aux sectes, les religions sont efficaces. Le mysticisme, religieux ou sectaire, reste le mysticisme. La dévotion entraîne tôt ou tard à l’irrationnel, et cela peut déboucher sur des suicides ou des meurtres, de la part de ceux qui croient et obéissent aveuglement à la place de savoir et d’être. Notons en outre que la secte bénéficiait du statut d’ONG, grâce au soutien d’un commissaire adjoint de district d’Ouganda. Preuve que la secte n’était pas considérée comme suspecte et dangereuse. Quoi de plus normal après tout, puisque à la tête il y avait un prêtre… il ne pouvait s’agir que d’un mouvement religieux, donc respectable !

Qu’on se le dise, l’être humain doit écouter sa raison et ses envies afin de garder un esprit critique et non pas les belles paroles mystiques d’un gourou ou d’un prêtre… Notre salut ne dépend pas des curés ou d’un messie quelconque, mais de nous-mêmes.

Régis Boussières. — groupe Kronstadt (Lyon)


22e édition du Cinéma du Réel

Quatre façons de rendre compte de la réalité

« Quand un pauvre mange, il savoure, quand un riche mange,
c’est pour tromper son ennui.
 »

Quatre films, quatre pays, quatre façons de rendre compte du réel : ma première est iranienne, infirmière, candidate aux élections municipales. Elle donne son nom au film d’Ebrahim Mokhtari Zinat, une journée particulière. Autour d’elle s’agitent ses enfants, ses supporters, ses détracteurs, alors qu’elle fait à manger, prend la tension d’un vieux, prépare une piqûre. Ebrahim Mokhtari la filme quand elle vaque à ses préoccupations quotidiennes, même le jour des élections. Elle lutte contre l’ignorance en matière d’hygiène élémentaire, plaide la cause de l’eau potable, ne s’offusque de rien. Elle sait que sa détermination est venue à bout de bien d’autres épreuves. Seule au village à ne plus porter le ghorbeh, véritable ceinture de chasteté du regard et de la bouche, elle travaille, un point, c’est tout. Elle sera élue, maire.

Deux : Lao tou de la chinoise Yang Li Na regarde d’un œil attendri des vieux adossés à un mur ou sur des chaises au soleil… des vieux dans un quartier de Pékin, que seuls les repas font bouger. Les repas, la maladie ou la mort. La réalisatrice ne pose pas de questions, surprend plutôt des conversations. Sa caméra enregistre la course éperdue d’un chinois très âgé qui exprime ainsi sa joie de voir revenir un ami qu’il croyait disparu. Yang Li Na capte les saisons, les postures, leurs impatiences. Seuls les disputes font apparaître l’autre sexe. Dehors, on est entre hommes.

Trois. En Afrique, entre Yaoundé et son village, c’est Jean Marie Teno qui filme, pose les questions, donne ses commentaires, car dans Vacances au pays, il refait les 30 km qui séparent le village de la capitale, ce chemin qu’il a parcouru, il y a 30 ans, dans le sens contraire. Jean-Marie Teno caresse son Afrique à rebrousse poil car d’après lui, elle a perdu son âme. Son commentaire raille et interpelle ses compatriotes. Vacances au pays montre que seuls les vieux analysent lucidement le côté désastreux du progrès matérialisé par des T-shirts et d’autres gadgets. L’événement le plus drôle ou le plus tragique est sûrement un match de foot que les joueurs ne veulent plus jouer, car leur terrain, par manque d’entretien, est redevenu la brousse.

Quatre : Rithy Panh montre comment le progrès matérialisé par du travail pour des milliers de Cambodgiens d’un côté se mue en gigantesque machine à déplacer des populations, donc d’appauvrir encore les pauvres. La terre des âmes errantes, montre des paysans sans terre, des soldats démobilisés qui creusent la tranchée (où logera à un mètre sous terre le câble de fibres optiques que Alcatel installe au Cambodge). De temps en temps ils déterrent une mine, qu’ils désamorcent, qu’ils entassent en bord de route. Puis ils découvrent des ossements, se croient possédés par ces âmes sans sépulture, condamnés à errer comme elles. Le film de Rithy Panh montre comment des familles avec plusieurs petits enfants travaillent sur le tracé qui parcourt le pays en entier, de la Thaïlande jusqu’au Vietnam. On s’attache aux familles, suit leur lutte incessante pour survivre. Et malgré tout, la vie continue, un enfant naît. Quatre films, quatre pays, quatre mondes. Ou est passé le cinéma ? Il n’y en a pas, ce sont des films documentaires avec leur vérité singulière.

Heike Hurst (« Fondu au Noir »-Radio libertaire)

Le documentaire de Rithy Panh « Cambodge : la terre des âmes errantes passe le vendredi 14 avril sur Arte à 22 h 25.


De la femme à la Femme

Où que l’on soit sur terre, à n’importe quelle époque, la Femme a toujours été considérée comme un agent de Satan. Voici ce qu’écrit Jean Delumeau dans son livre La Peur en Occident : « L’homme a cherché un responsable à la souffrance, à l’échec, à la disparition du paradis terrestre, et il a trouvé la femme. Comment ne pas redouter un être qui n’est jamais si dangereux que lorsqu’il sourit ? La caverne sexuelle est devenue la fosse visqueuse de l’enfer. » Très tôt, le christianisme a intégré cette image de la femme, et s’est fait le chantre de l’antiféminisme pendant des siècles et des siècles. L’Église, passant de la théorie à la pratique, a sacralisé les règles d’enfermement et d’assujettissement en affirmant haut et fort que la femme n’avait que des devoirs et aucun droit. Cela veut-il dire que la femme ait accepté cette situation sans réagir ? Non, si l’on considère le nombre de femmes accusées d’être sorcières et brûlées en conséquence !

Aujourd’hui, avec le mouvement féministe, on pourrait croire que la situation a irrémédiablement changé, que la femme n’est plus un « deuxième sexe », mais un être à part entière. C’est l’arbre qui cache la forêt, car la réalité est toute autre part ce vaste monde. La Famille a pris le relais de l’Église pour perpétrer cette situation d’enfermement ; nous sommes là au cœur du dernier roman de Lyonel Trouillot, Thérèse en mille morceaux.

Thérèse, l’héroïne-narratrice de ce roman, est une jeune femme, au bord de la trentaine, issue de la moyenne bourgeoisie, en Haïti ; elle a été éduquée dans le sens du devoir et de la respectabilité par une mère en proie à la nostalgie d’une situation passée qui, pour éviter la déchéance, mariera ses deux filles au plus offrant. Mais voilà, Thérèse vacille, elle est en proie à ses Thérèse. «  Une femme qui n’a pas pu sauter à la corde jusqu’à cent, marcher seule dans la rue, répondre au salut d’un passant, parler sans s’inventer un double, penser son corps et sa parole sans se le cacher à elle-même, saura-t-elle jamais dire qui elle est ? Toute Thérèse m’est étrangère, celle que Mère m’a concocté autant que celle qui m’envahit. Des deux je ne suis que l’enjeu. Qui dira le je et la mise ? » Cette Thérèse qui s’exprime dans cette sorte de journal à plusieurs voix, Lyonel Trouillot a su, avec brio, en faire une femme en passe de naître Femme, une Femme, qui parle pour toutes ces Thérèse qui existent de part le monde, toutes ces Thérèse qui découvrent qu’elles ont un corps et qu’il parle, toutes ces Thérèse considérées comme des folles dans les familles parce qu’elles osent remettre en cause l’ordre que l’Homme a choisi pour Elles.

Mais il est des fois, il est des circonstances qui font que la transgression, la naissance, se fait plus aisément. Avec Carl de Souza, dans son dernier roman Les jours Kaya, nous sommes en Ile Maurice, en février 99, en pleines nuits d’émeutes loin des clichés que suscitent cette île. Une jeune fille de seize ans, Santee, issue de la communauté hindoue, une des nombreuses communautés qui peuplent ce pays, part, sur demande de sa mère, à la recherche de son frère Ram, dans la « grande ville », Rose-Hill. Brusquement, elle, dont le chemin était tout tracé, un chemin marqué par le sacrifice envers son frère afin que ce dernier puisse faire des études, découvre le Dehors. Le lecteur suit alors les pérégrinations de cette jeune fille dans cet univers qui lui est inconnu, un univers qui bascule dans la folie et la haine. Au fur et à mesure, d’autres voix, au hasard des rencontres, s’ajoutent à celle de Santee, et dans ce monde en plein chaos où le melting-pot n’était qu’un leurre, elle découvre la vie, son corps.

« Ses doigts entrecroisés, la rythmique de ses pas disaient mal tant d’humeurs toutes nouvelles pour elle-même. Ils s’embrouillèrent dans des figures inconnues des chorégraphes indiens de Bollywood, il se sentit bien dans la masse de ses cheveux et se laissa aller sur elle dans l’herbe du jardin. Ils restèrent ainsi immobiles, puis roulèrent vers le bas de la pelouse jusqu’à la lèvre de la falaise, elle lui dit des mots qu’il n’avait jamais entendus, expliqués d’un battement de paupières, d’une torsion du cou, il lui raconta… » Un roman initiatique, rythmé, brut, servi par un superbe style empreint de poésie, voilà comment je qualifierais ce dernier roman de Carl de Souza.

Ces deux romans ont été écrits par des hommes et ils nous parlent de la Femme, ce qui n’est pas un mince paradoxe ; ils ont su le relever avec défi, pour notre plus grand plaisir, nous montrant ainsi qu’il n’est point besoin d’être femme pour être féministe.

Boris Beyssi
Lemanege@libertysurf. fr
Thérèse en milles morceaux, Lyonel Trouillot, Actes Sud.
Les jours Kaya, Carl de Souza, l’Olivier.


La cuisine comme évasion…

Le livre qui sera présenté par son auteur sur les ondes de Radio libertaire le dimanche 16 avril au cours de l’émission « Ni dieu, ni maître queux » aurait aussi pu porter ce titre… Comme l’annonce la bande rouge qui l’entoure, « l’auteur et l’éditeur ont vécu, écrit, édité celui-ci en hôtes obligés de cet in-pace insalubre, tant pour le corps que pour l’esprit, mais néanmoins bien parisien qu’est la prison de la Santé ».

À se plonger dans la lecture comme un thermoplongeur dans un liquide, on comprend combien il est important de s’accrocher aux queues de ses casseroles pour tenir le coup de l’incarcération, tout en gardant quelques onces d’humour, mesurées comme les épices de la cantine. Ainsi, vous découvrirez les diverses façons de Philippe Leclercq de s’évader : en bon peseur de denrées, il calcule « qu’ayant, en vingt mois, perdu cinquante livres, il s’est évadé à 16,5 %. Pour fêter cette lipo-disparition, il s’empresse de vous donner une recette qui combinât la célébration calorique et une absence remarquable »…

Il ne faut pas manquer non plus « l’âme du poisson qui s’évade »…

Et, au cas où le risque de l’embastillement se profilerait à l’horizon des militants, ceux-ci ne rateront sous aucun prétexte les cours de construction d’instruments utiles à ladite activité, et donc à leur survie dans ces lieux réputés pour leur inhospitalité.

Car qui d’entre nous s’est vraiment demandé comment mangent les détenus ? Une image fugitive de louchées vite flanquées dans des gamelles, quelques bruits de chariots dans les travées : loin des clichés, que savons-nous du quotidien ? En prison comme dans tous les lieux d’enfermement ­ asiles ou hôpitaux, maisons de vieux ou maisons d’enfants ­ la bouffe tient une grande place dans la vie des personnes qui y vivent : découvrez comment rendre à ce moment une authentique place de plaisir et de partage, avec les moyens du bord. Vous arrêterez peut-être de vous plaindre de votre cantine ou vous agirez pour que cela change… Et bon appétit !

Elisabeth Claude

Émission « Ni dieu, ni maître queux », un dimanche sur quatre de 14 à 15 h 30.
Cuisine entre 4 murs : excursion carcéro-gastronomique. — Philippe A. Leclercq. — Paris, Les Éditions par défaut, 100 FF.


Lecture

Château galère

Qu’est ce qui m’a pris d’accepter ? Quand il a déboulé dans le bureau du comité de chômeurs, j’aurais dû lui dire… « J’aime pas les polars, les histoires de flics me foutent la gerbe et quand ­ en plus ­ on y mêle une organisation trotskiste, même imaginaire et dissoute, j’ai l’ulcère qui me gratouille ! Alors, ton bouquin, tu l’envoie à qui tu veux, mais moi, ça me brouille l’écoute ! » Ben non. Moi, bon con, je lui ai dis : « Pas de problème ! En plus en ce moment je passe du temps dans les trains. Je te chronique ça dans le ML… » Il y a des moments où ma stupidité m’étonne.

Installé confortablement, Melaine Favennec dans le walkman, j’ouvrais à contrecœur le maudit bouquin. Ça commençait mal : glauque, un ancien para héros flanqué d’un flic de merde pour « ange gardien », la brume et l’humidité bordelaise pour décor et beaucoup d’alcool (n’importe lequel). Tout ce que je déteste !

« C’est effectivement un château galère que je m’envoies… et il va falloir se l’enfiler et tartiner dessus… » Très vite, j’étais pris au piège. Éric Tarrade à un cœur qui bat dans la plume et, au-delà du polar, c’est la poésie, la tendresse, l’humanité à tous les étages. Tarrade, tu m’as fait pleurer avec ton para, ton flic, ta brume et tes mauvais alcools ! Ton château galère cuvée 68, c’est vraiment un AOC et les bons pinards… j’aime ça.

Bruno Daraquy

Château galère. Éric Tarrade. Atout édition, collection Pique Rouge.


Festival anticapitaliste à Grenoble

Il s’est tenu à Grenoble, du 27 mars au 1er avril, un festival appelé Fraka (Festival de résistances et d’alternatives au Kapitalisme). On pourrait penser que ce festival a été organisé par des révolutionnaire et avec les moyens du bord, ce n’est pas tout à fait le cas. Premier point : ce festival a été subventionné. Deuxième point : ou pouvait noter la présence de socio-démocrates dans l’association (des gens d’ATTAC, de Ras l’Front…). En fait, le plus gros problème qui s’est posé dans l’organisation est lié à la répartition des tâches et à la difficulté, pour le groupe, de contrôler certains individus : en gros, il a été difficile de mettre en place la démocratie directe.

Malgré cela, je pense que le FRAKA a atteint son objectif qui celui de montrer la possibilité de penser, d’agir d’une manière différente de celle que la logique capitaliste nous impose. Il y a quelques personnes qui se sont bougées pour monter des choses intéressantes, je prend par exemple des conférences sur les squats (avec Maloka, la Valette, le Rhino et le 102), sur l’espéranto, sur l’éducation alternative, et une, la plus intéressante à mon goût, « Qu’est-ce que l’anarchisme ? », avec le sociologue Alain Pessin et le groupe Jules-Vallès de la FA.

Il y avait quelques anarchistes dans l’organisation (des militants du Scalp et de la CNT 2e UR). La conférence sur l’anarchisme a attiré plus de 200 personnes. De plus, on a volontairement donné une allure festive au FRAKA et on choses montré que les militants ne sont pas des gens austères et qu’ils sont capables de faire des choses alternatives voire révolutionnaires tout en s’amusant.

Petits (gros) regrets, certains avaient l’idée de faire une action directe durant la semaine, idée tombée à l’eau. Quoi qu’il en soit, il ne faut se leurrer car si genre si ce genre de festival était vraiment dangereux pour l’État et le capital, il aurait été interdit. Ce qui est positif, se sont les prises de contacts et les constructions de réseaux qui peuvent en découler et je pense que c’est comme ça qu’on peut arriver à la révolution un jour.

Julien. — CNT 2e UR (Grenoble)


Encore un procès contre le CIRC

À peine le tribunal de Béthune prononce-t-il un non lieu (une absence de preuve donc !) dans l’affaire des « Très riches heures du cannabis » publié aux éditions du Lézard, que c’est au tour du procureur de la République de Paris de venir chercher des pucerons dans la tête fleurie de son directeur de publication. Michel Sitbon se voit en effet convoqué le 21 avril par la brigade des stupéfiants, pour répondre de la publication d’un ouvrage au combien subversif : La Culture en placard, de Ed Rosenthal.

Ce bréviaire du jardinage d’intérieur n’a pourtant d’autre but que de lutter contre la dangerosité de certaines variétés de haschisch coupées aux colles ou solvants, et de permettre aux cannabinophiles de ne pas reverser au crime organisé leur argent, en produisant tout simplement eux-mêmes leur chanvre.

L’État, qui, on le sait, voit toujours très loin, s’inquiéterait-il du fait que l’autoproduction pourrait un jour faire concurrence à un monopole ? Ou s’agit-il plus probablement d’un de ces derniers sursauts d’une bête gravement blessée et agonisante : la prohibition ?

CIRC