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Le Pacifiste

février 1960.

J’ai peu connu Albert Camus, trop peu connu (on connait toujours trop peu de tels hommes).

Faut-il ajouter que, si rares que furent nos rapports, ils n’ont pu me laisser insensible à sa claire intelligence, à sa simplicité et à son sens de l’humain.

C’est qu’à l’inverse de beaucoup de ces individualités chez qui les connaissances tarissent la sensibilité, dont l’humanisme dessèche l’humain, rien chez Camus ne pouvait étouffer l’homme. […] [1] embrigader, de laisser rogner sa personnalité vivante aux limites d’un parti, d’une secte ou d’un clan.

Ce refus on le lui jettera au visage comme un reproche, comme un désintéressement de la question sociale.

Cependant dans le même temps où cette pitoyable accusation lui était imputée, il répondait spontanément à l’appel des Forces Libres de Paix poursuivies pour leur action contre la guerre d’Indochine.

Avec le calme et le courage qui lui était coutumier, il témoignait devant les robots de la justice et sa parole passait au-dessus de leurs têtes et de leur entendement.

Il dénonçait le danger guerrier, déplorait les trop rares hommes qui se dressent contre lui, et disait sa solidarité pour leur idéal et leur combat.

Quelques années plus tard, lorsque Lecoin lança son comité pour le Statut Légal de l’objection de conscience, c’est encore à lui qu’il s’adressa pour en faire partie, et une fois de plus Camus répondit « présent ».

L’on sait les multiples lettres adressées au gouvernement pour lui arracher une mesure de justice et pour tirer de ses geôles les hommes qui ont dit « Non ! », ces multiples lettres dont il était co-signataire et dont certaines portent par endroit sa griffe comme un marque de sa présence.

Aujourd’hui où Camus n’est plus, combien son vide est grand pour tous ceux qui veulent la Paix et qui lutte pour elle !

Combien on le sent ce vide entre nous tous ! Ce vide que l’on voudrait combler par plus d’énergie, plus de désintéressement, plus d’amour pour la cause des hommes et pour l’homme lui-même.

Chacun voudrait dire son deuil de celui que nous perdons et en le faisant aujourd’hui, j’ai le sentiment de reconnaître la dette de tous les pacifistes envers celui qui fut plus qu’un grand homme : un homme !

Maurice Laisant


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