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La Volonté de comprendre

février 1960.

France III, National, 9 janvier, 21 h 15. Ici pas de détails atroces pour décrire la voiture homicide. La seule magie de la bande magnétique est mobilisée pour épauler ceux qui ont voulu rendre à Camus l’hommage qu’un tel génie appelle. Des morceaux d’interview, des bouts de bandes coupés ça et là dans des émissions déjà anciennes, le bon goût d’une équipe de la R.T.F. et voilà une lacune comblée. La voix de Camus, grave, pleine, nous lisant des passages de ses principaux livres, donne à cette émission tout sa valeur. Il explique comment la lecture des autres, de tous les autres, a décidé de sa carrière. « Le rôle de l’artiste, dit-il, est de comprendre au lieu de juger ». Des extraits de L’Étranger, de Caligula, de La Peste, nous sont lus par cette voix d’outre-tombe, à laquelle il nous faudra un jour donner toute sa place dans un futur « Palais de la Culture ».

Le plus poignant est sans doute le dialogue de L’Étranger entre Meursault, condamné à mort pour un crime dont il est innocent et un prêtre venu dans sa cellule. Les deux homme face à face, l’un voulant imposer sa foi et l’autre résigné devant l’adversité mais refusant ce qu’il ne considère pas comme un secours mais comme un rouage de l’appareil qui le broie, ont des échanges de mots superbes. Le langage accessible de Camus n’a fait de lui qu’un journaliste et un romancier, mais bien qu’il s’en défende sa pensée s’élève à la philosophie. Il faut entendre aussi avec quel amour il parle du théâtre, son théâtre dont quelques-uns de ses interprètes donnent des extraits. Fidèle à sa pensée, la fidélité étant chez lui la vertu maîtresse, il l’a été jusqu’à sa fin, modeste aussi il nous dit qu’il considère son Prix Nobel comme le danger qui guette l’écrivain.

Nous conclurons, comme les auteurs de l’émission, par une phrase de Camus lui-même apprenant la mort de Gérard Philipe : « Toutes paroles sont vaines. »

Jean-Ferdinand Stas