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éditorial du nº 1697

Le jeudi 14 février 2013.

CHOKRI BELAÏD était un leader de gauche. Il est mort, la semaine dernière, d’une crise de saturnisme foudroyante : quatre pastilles dans la carafe. C’était en Tunisie, où il y a deux ans la « Révolution de jasmin » a renversé le dictateur Ben Ali, avant de porter, par la voie démocratique des urnes, un parti de bricoleurs islamistes au pouvoir.

Depuis, la crise économique et sociale ne connaît pas de répit, et les Tunisiens qui réclament du travail et du pain reçoivent des coups de matraque et des gaz, généreusement distribués par la police de l’ancien régime (détestée de tous et équipée par la France), que le gouvernement bondieusard utilise sans sourciller contre les manifestants. Ce gouvernement couvre aussi les activités des bandes de voyous salafistes qui terrorisent les citoyens pour imposer leurs pratiques moyenâgeuses dans la vie quotidienne.

Ce sont ces fascistes que l’on soupçonne d’avoir tué Belaïd. Heureusement, la réaction populaire à ce crime est à la hauteur. Grève générale, policiers et islamistes rossés dans les rues : le peuple relève la tête, et les cafards intégristes filent sous le tapis. À l’heure où nous mettons sous presse, la panique est au sommet et la confusion règne. Le Premier ministre se propose, contre l’avis de son propre parti, de former un nouveau gouvernement, remplaçant la théocratie par la technocratie.

Le peuple fait trembler le pouvoir. Situation à rapprocher de celle de l’Égypte, où, après un processus similaire (chute de la dictature, rapide promotion des partis religieux, décomposition du pouvoir sous l’effet de la crise), les classes populaires sont aussi au combat. Ce qui semble indiquer que, contre l’attente des racistes et des réactionnaires, les peuples de l’autre côté de la Méditerranée, non seulement n’ont pas grand-chose à nous envier quant à l’appétit pour la liberté, mais aussi qu’ils pourraient nous en apprendre beaucoup sur les chemins de l’émancipation.

Souhaitons que ces routes nous sachions tous les arpenter, en nous défiant de la tentation du pouvoir d’État. Car rien de beau, grand et libre ne sera fait que la classe ouvrière n’accomplira elle-même, par ses organisations syndicales ou spontanées, sans l’intermédiaire des politiciens.