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éditorial du nº 1704

Le jeudi 18 avril 2013.

FOIN DES OFFICIELS sujets de mécontentement comme des prudes réactions entourant d’un halo réprobateur les frasques bancaires d’un Cahuzac ; la mort navrante bien qu’annoncée des aciéries de Florange ; la félonie de Hollande et de Mittal dans cette affaire ; ou, à propos de félons, la disparition de Mme Thatcher, saluée par certains comme une délivrance mais dont la longue liste de forfaits était, pour la plupart des gens nés après 1990, passée aux oubliettes à l’image de l’Alzheimer de la Dame de fer en question.

Qu’il soit ici question d’un fait divers bien insignifiant : un jeu de téléréalité, Koh Lanta, a récemment causé la mort d’une personne, ou plutôt de deux pour être tout à fait précis. D’aucuns, à défaut de se passionner pour ce fleuron de l’intelligence humaine, en connaissent le principe : emmener deux équipes de djeunes, les rouges et les jaunes, sur une île déserte et les faire s’affronter pendant quarante jours au travers d’épreuves d’endurance sadiques où ils sont censés se « dépasser », comme disent les DRH.

Après seize heures de vol, une traversée à la nage de 200 mètres, enfin une épreuve de tir à la corde entre équipes comme au bon vieux temps des patronages et des colos, Gérald fait une crise cardiaque ; il n’est pas soigné assez vite, il décède. Le médecin maison de la prod’, pris à parti par la presse, se suicide. Ça fait deux victimes de ces téléréalités où la lutte de tous contre tous est censée faire les délices des téléspectateurs (audimat oblige) tout en libérant une part de leur cerveau pour Coca-Cola. Dénoncer la bêtise, la démagogie, l’appât du gain, la déliquescence des mœurs, l’imposition d’une loi de la jungle inflexible, serait passer pour un has been : 7 millions de téléspectateurs en moyenne par an suivent ce genre de conneries et ce depuis douze ans. Sept millions qui attendent que le gladiateur crève dans l’arène. Les mêmes qui trouvent normal quand un sportif « de haut niveau » calanche à coup de piquouzes.

Pyongyang et ses titatas nucléaires ou les famines du tiers-monde sont autant d’avatars de ce parti pris délibéré d’abrutissement et d’égoïsme imposés à des populations décérébrées. Koh Lanta n’est pas qu’un jeu inepte et cruel, c’est l’illustration des méthodes employées par les décideurs, les économistes, les experts et les entreprises qu’on présente comme modèles de comportement social. Une règle de vie mondialisée de concurrence malsaine où l’empathie et l’entraide sont moquées, frappées d’interdit, pour faire place à la méfiance et à la traîtrise. Supporter ou trouver naturel un tel jeu, un tel comportement de société, est signe qu’il est grand temps de se révolter.