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éditorial du Hors-série nº 51

septembre 2013.

C’est la rentrée. On reprend le boulot. On recommence à marner semaine après semaine pour gagner sa croûte, pour payer son toit, pour consommer. La rentrée, c’est aussi la rentrée sociale. Le sujet de cette rentrée sociale (comme des dernières) est la réforme des retraites. Sans entrer dans le détail, il va encore s’agir d’augmenter le temps de travail fourni au cours d’une vie. Fourni pour quoi ? Pour qui ? L’organisation du travail est constamment pensée et optimisée. Mais pas par ceux qui fournissent le travail ; et la variable qu’on cherche à optimiser n’est certainement pas l’émancipation du travailleur.

Les usines de construction automobile, dès les années 20, ont mis en application les théories sur la rationalisation du travail (Taylor, Ford). Taylor prônait de diviser le travail verticalement (les concepteurs en haut et les exécutants en bas) et horizontalement pour minimiser les doublons et les ambiguïtés. Ford a augmenté la division horizontale en parcellisant le travail. La productivité s’en est trouvée augmentée et les ouvriers un peu plus dépossédés de leur autonomie et de leur compétence. Le prix de revient, donc d’achat pour le consommateur, est amélioré au détriment de l’ouvrier.

Maintenant, dans tous les secteurs on déplore toujours plus les raisonnements gestionnaires menés par des décideurs qui ne connaissent pas le cœur de métier. L’individu est contrôlé à coup d’indicateurs, de mesures de performance. Les travailleurs sont pressurisés, sommés de cravacher mieux que le voisin, de turbiner plus rentable pour moins cher. Le travailleur est une ressource pillée comme les autres. Les travailleurs ne reconnaissent plus leur travail. En voyant les vagues de dépressions nerveuses voire de suicides au boulot, on se rappelle l’origine du mot « travail » (tripalium, un instrument de torture).

Encore cette année, un des orateurs de l’université d’été du MEDEF a été le commandant de la légion étrangère. Le discours des idéologues de l’entreprise ressasse un vocabulaire guerrier de conquête, de compétition. Et ils radotent que le coût du travail est trop élevé. Ils demandent toujours plus d’engagement de la part des salariés et revendiquent de pourvoir virer qui ils veulent sur un claquement de doigts, au nom de la compétitivité. Et ces parasites grignotent chaque année un peu plus ce qu’ils sont censés reverser à la collectivité. Et ceux qu’on désigne à longueur de bulletin d’information sont les chômeurs.

Dénoncer cette dichotomie entres possédants et exploités ne suffit pas. Aucun ponte, aussi puissant soit-il, ne serait capable d’asservir toute la main d’œuvre qu’il emploie sans le concours de la hiérarchie d’intermédiaires, de chefaillons ni des flics qui tabassent les ouvriers qui osent se révolter. Comme à chaque rentrée sociale, on va voir des travailleurs défiler derrière la sono qui hurle que « c’est pas à l’Élysée ni à Matignon qu’on obtiendra satisfaction », dans des manifs décidées par les partenaires sociaux (partenaires qui vont à Matignon et à l’Élysée, eux). C’est à se demander si c’est utile de s’accrocher à une usine de merde ; s’il ne vaudrait pas mieux faire crever tous ces lieux d’asservissement tant qu’on est encore en vie, envoyer bouler cette hiérarchie syndicale et productiviste.

Il paraît que, dans les années 30, Keynes avait prédit qu’à la fin du XXe siècle, les technologies seraient suffisamment avancées pour qu’on envisage ne travailler que 15 heures par semaine. On en est loin. Et pourtant… est-ce qu’on n’arriverait pas à vivre beaucoup mieux en travaillant beaucoup moins ? Pour ce numéro de rentrée, Le Monde Libertaire Hors-Série s’est penché, dans son dossier principal, sur le thème du travail.

Jean (groupe de Rouen