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éditorial du nº 1718

Le jeudi 10 octobre 2013.

C’est l’histoire d’une petite fille. C’est son premier jour d’école. Elle en a longtemps rêvé : enfin, elle va apprendre à lire ! Elle se voit déjà piocher dans la bibliothèque familiale pour découvrir le monde en attendant d’avoir l’âge de pouvoir le découvrir par elle-même. Au début, elle est très accaparée par l’apprentissage de la lecture. Cependant, elle remarque peu à peu que lorsqu’elle pose des questions, l’instituteur lui demande toujours d’attendre, alors que les petits garçons de la classe peuvent interrompre les filles sans difficultés.

Elle remarque qu’elle est plus fréquemment louée pour son bon comportement de petite fille sage que pour ses résultats scolaires pourtant excellents. Lorsqu’un de ses devoirs est moins bon, le professeur lui met quand même une bonne note, car il sait bien qu’elle est gentille et appliquée. Dans la cour de récréation, on lui dit de faire attention, de ne pas courir, de ne pas se salir. On lui dit de faire attention aux autres, surtout aux garçons qui, eux, ne font pas attention. Elle doit aussi apprendre à partager, à aider les autres, à se rendre utile.

Les années passent. Au fil des leçons, elle découvre le monde : un monde où le masculin est la mesure de tout. Où les femmes, qui constituent la moitié de l’humanité, semblent minoritaires. Elle apprend à se taire, sauf si on l’interroge. À être discrète surtout, à ne pas se mettre en avant de peur d’être appelée « Mademoiselle-je-sais-tout ».

Si elle réussit, c’est avant tout grâce à son sérieux, bien plus que son intelligence qui ne semble pas intéresser grand monde. Elle s’en moque. Elle lit toujours autant mais choisit elle-même ses lectures. Cela fait longtemps que la bibliothèque familiale ne l’intéresse plus. Elle rêve toujours du monde et d’indépendance. Et c’est comme ça qu’elle est devenue anarchiste.