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Une Lettre de Yves Peirat

Le jeudi 31 octobre 2002.

Nous avons reçu les textes qui suivent récemment. Le destinataire de cette lettre, qui l’a mise en circulation, nous pardonnera certainement de vouloir lui donner le plus large écho possible. Les voix sont rares qui passent les barreaux…



Le 19 10 2002

Cela fait maintenant 5 jours que je suis sorti de l’isolement. Au total j’y ai passé 15 jours. Ce laps de temps m’aura permis de ressentir ce que jusqu’à présent je ne connaissais que par la lecture de livres comme ceux de Jean-Marc et Knobelpiess. Enfermé 22 h sur 24 avec une seule promenade dans une cour de 10 m par 5, semblable à une cuve en béton avec 3 ouvertures grillagées au dessus de ma tête.

Avec moi le QI était plein . Nous étions 8 en tout. Certains étaient là de leur plein gré : des détenus qui connaissaient des problèmes en détention. Quand aux autres, leurs conversations décousues, leurs cris m’ont fait vite comprendre les raison de leur présence. Le QI est une annexe psychiatrique de la prison, puisque ici il n’existe pas comme aux Baumettes un service spécialisé : le SMPR. Leur journée se passe entre paradis artificiel, attente de médicaments et recherche de cachets, grâce au yoyo, dans les étages inférieurs.

Mon voisin le plus proche, attire l’attention des matons en allumant des feux dans sa cellule. Dès mon arrivée un des surveillants un extincteur à la main venait d’éteindre un feux. Dix jours après un autre détenu s’est pendu. Il est mort. Les surveillants l’on découvert à l’heure de la gamelle vers 17 h 30. Il avait 73 ans et d’après l’aumônier il était dépressif depuis plusieurs jours. Il avait demandé à être placé à l’isolement. Comme l’écrit Gaby Moesca dans son livre Longue Peine, on ne meurt pas en prison, c’est la prison qui tue.

Durant mon isolement, un mouvement collectif de refus de plateau a duré 2 ou 3 jours, 60 à 80 détenus dans le Bt A et la totalité du C. Le mouvement a été suivi dans le B.

L’impact médiatique m’a surpris et dépassé mes espérances. Si je pensais que la presse locale s’intéresserait à notre action, je ne pensais pas que cela prendrait une envergure nationale. Nous avions visé juste en nous emparant du cas Papon pour soulever les problèmes actuels de la détention. Ce qui a permis que j’échappe à de plus lourdes sanctions ( transfert, perte de mes grâces, mitard). Au final j’ai écopé, en commission disciplinaire, de 12 jours avec sursis, de l’ajournement de ma perm. de 10 jours et de 4 jours en moins de remise de peine. Comme me l’a dit le directeur pour m’annoncer sa décision de me placer à l’isolement : « Nous n’avons pas l’intention de faire de vous un martyr. ».

J’ai appris par la presse que notre action a donné des idées dans d’autres prisons : Arles, Clairveaux, Lannemezan… Dommage que nous ne nous soyons pas coordonnés pour augmenter l’impact de nos revendications. Mais tu sais bien comme il est très difficile, au jour d’aujourd’hui, de faire bouger les choses et encore plus en taule.

Au contraire, je pense que l’AP a l’intention de se débarrasser de moi le plus vite possible. J’ai donc reçu ma date de libération définitive, remise de peine confondue : le 10 janvier. J’aurais fait 40 mois sur 60.

Vous pouvez lui écrire à : [Yves Peirat est depuis libéré, en janvier 2003]


Pour un tract diffusé en prison, signé "des détenus du CDR de Salon", Yves Peirat avait été sanctionné.
Ce tract dénoncait les conditions déplorables de détention, demande l’application de la loi sur le droits des malades pour les détenus gravement malades : « Ils sont des centaines de détenus à dépasser les 80 ans et plusieurs milliers à souffrir de maladies graves quand ils ne sont pas en fin de vie. Pour eux pas de comité de soutien, ni de remise en liberté, mais très souvent l’hôpital où on les laisse partir pour y mourir, histoire de ne pas avoir à comptabiliser leur décès dans les statistiques des morts en prison ». Le tract exige par ailleurs la reconnaissance du droit du travail et syndical pour les personnes détenues, et dénonce également les dysfonctionnements au sein du centre de détention de Salon en matière de politique de réinsertion. Alors que Papon est aujourd’hui libre, ayant passé en prison moins de temps qu’Yves Peirat n’en passera, que de partout l’inadmissible situation des prisonniers souligne à quel point, comme l’écrivent les détenus de Salon, « Le détenu reste taillable et corvéable à merci, sans aucun droit. »