Accueil > Archives > 2016 (nº 1778 à 1783) > 1777s63, Hors-Série, nº 63 « Démocratie lacrymogène » (janvier-février 2016) > [éditorial du Hors-Série nº 63]

éditorial du Hors-Série nº 63

janvier 2016.

Au rayon des petites actualités de la démocratie, les nouvelles se bousculent : il y a moins de deux mois, un des « buzz » du moment consistait à poster, sur facebook, une vidéo « selfie » se montrant en train de déchirer sa carte d’électeur. Et puis l’horreur est passée dans les rues de Paris, et notre gouverne-menteur, qui a tout compris de la stratégie du choc de Naomi Klein, a très opportunément resserré la-dite démocratie entre les frontières barbelées d’un état d’urgence liberticide, comptant sur l’aveuglement d’un nouvel élan national mystifié sur l’air d’« on est tous Charlie, on est tous Paris ».

On retiendra le son sinistre, symbole de cette démocratie lacrymogène, des pieds cloutés des forces de l’ordre piétinant le mémorial dédié aux victimes des attentats pour mieux faire pleuvoir gaz et coups de tonfas sur la foule… et accusant ensuite les seuls manifestants du saccage. Et, une fois la supercherie révélée par les vidéos des témoins, on n’aura même pas eu droit au traditionnel « c’est pas moi qu’a commencé » ou à quelque autre couplet d’excuse post-bourde du flic en chef. « Dans le contexte, c’était nécessaire », glissera en substance laconiquement un « correspondant anonyme » de la préfecture. Et tout le monde aura bien compris que désormais, toute bavure est nécessaire.

Et puis sont venues les élections régionales, l’impression pour beaucoup de revivre un flash-back de cauchemar où l’on est sommé de choisir entre la peste et le choléra, le cortège des prophètes « qui nous l’avaient bien dit », et pour finir un front républicain même pas honteux chantant triomphalement « la victoire de la démocratie », tandis qu’au fond du chœur de la foule désabusée continue d’enfler une rengaine discordante : « mais on n’est plus en démocratie… »

J’en vois deux qui rigolent là derrière… bah oui, bien sûr, chez les libertaires, on le sait depuis toujours, qu’on n’a encore jamais été en démocratie. Le truc, c’est qu’il semblerait qu’on ne soit plus les seuls : jamais encore on n’avait pu avouer s’être abstenu.es de voter et rencontrer aussi peu de réactions horrifiées ou culpabilisantes. Les petits films expliquant pourquoi « j’ai pas voté », les textes fustigeant ceux et celles qui continuent à se prêter à cette mascarade sont abondamment partagés sur la toile. Comme si la honte changeait de camp pour envahir celui des tenants du « choisir le presque moins pire ».

Et s’il y avait comme une espèce d’opportunité libertaire ? Et s’il était temps de se repencher en détail sur le sens véritable de la démocratie, pour fourbir nos armes, savoir mieux expliquer, disposer d’argument solides, et faire entrevoir un horizon possible à ceux qui n’en sont qu’au constat d’échec de notre démocratie représentative sans trop de perspective sur ce qui pourrait la remplacer, ni comment ?

L’équipe du Monde Libertaire a laissé libre court à plusieurs plumes afin qu’elles s’expriment sur ce sujet. Du coup, loin de fermer le propos, ce numéro propose une vision pluraliste d’anarchistes sur la démocratie, tant dans les points de vue que dans la définition même du terme. Pour certain.es la démocratie est à réinventer, pour d’autres elle est à dépasser.

Mais pour tous, il s’agit de reconstruire un monde sans domination, sans pouvoir oppresseur, un monde dans lequel l’Individu émancipé est directement acteur de la société, à l’égal de tous.

C’est la fin de l’année, et c’est sans doute la fin d’une ère : il ne tient qu’à nous d’en faire une grande fête libertaire !

Pola Key (groupe de Béthune)