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éditorial du nº 1625

Le jeudi 3 mars 2011.

Une révolution mondiale est en cours, elle nous conduit de l’ancien monde… vers l’ancien monde. Beaucoup pourraient en effet croire que quelque chose de révolutionnaire est en cours : les conflits ouverts entre des peuples et leurs gouvernements qui ont éclaté dans le monde arabe ont donné des exemples concrets de soulèvements, pour certains couronnés de succès, nés de la contestation de l’autorité étatique. Et un peu plus loin du pourtour méditerranéen, en plein Atlantique nord, le petit pays islandais, dont le volcan a contribué à la Révolution française, connaît lui aussi des mouvements populaires sans précédent. Quand la crise a touché l’Islande, la dette du pays atteignait presque six fois son PIB et ses créanciers principaux, le Royaume-Uni et les Pays-Bas, menaient des négociations pour récupérer les pépètes, avec force intérêts, cela va sans dire. Début 2009, de grandes manifestations avaient conduit à la démission du gouvernement, signant la fin du « règne » du parti de centre-droite installé depuis les années 1950. Un gouvernement de gauche est élu, c’est la « révolution des casseroles ». En mars 2010, les citoyens islandais ont été appelés à voter par référendum à propos du remboursement de l’incroyable dette – 93 % des votants étaient contre, une décision qui a pesé lourd dans le cours des négociations, en faveur de l’Islande. En octobre 2010, une assemblée constituante de citoyens devait être formée. 520 candidats se présentent, 25 sont élus au suffrage universel. Mais, comme ceux qui protestaient devant le Parlement à Reykjavik, ces constituants sont issus de la bourgeoisie islandaise ; pas question de revoir le système économique ! De même qu’en Tunisie et en Egypte, cette « révolution » – ne nous privons pas de guillemets – est cependant un exemple de révolte, certes réformiste dans les faits, mais finalement plus fructueuse qu’une certaine lutte contre l’allongement du temps de cotisation pour les retraites… Toutes ces révoltes, violentes ou non violentes, renversent avant tout de petits groupes d’individus, pas des castes, encore moins un système. L’Irlande est elle aussi pressurée par le FMI et les dernières élections de vendredi dernier ont chassé le gouvernement. Petite anecdote croustillante : le responsable du FMI pour l’Europe, est un ancien de chez Goldman Sachs, où il travaillait avec un politicien proche du parti qui a remporté les dernières élections et qui avait conseillé le précédent gouvernement sur la façon de gérer la crise. Ça fleure bon la collusion, non ? Mercredi dernier, les Grecs ont été audacieux : les syndicats du privé et du public ont déclenché une grève générale, bloquant tous les transports, de nombreux services publics et même des petits commerçants avaient fermé boutique en solidarité. Les grévistes contestaient l’ingérence du FMI et de l’Union européenne qui impose au pays la fameuse austérité et la libéralisation plus en profondeur de leur économie. Cette grande crise économique, dont on nous dit qu’elle est derrière nous (alors qu’on sait bien que les crises ne passent pas, mais qu’elles s’accumulent, comme le capital), a déclenché la colère des victimes. Peut-être que le prochain « domino », comme aurait dit Eisenhower, tombera chez nous et que d’éventuelles « émeutes de banlieue » auront une senteur de jasmin. Dans un climat mondial de tension sociale, les anarchistes devront savoir profiter de tels déclics, dénoncer le Spectacle récupérateur et démontrer aux révoltés que la pire erreur est de laisser d’autres dominants remplacer les dominants déchus.