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éditorial du nº 1621

Le jeudi 3 février 2011.

En Tunisie, les bons commentateurs généralement informés de ce qu’on veut qu’ils sussent en haut lieu, prédisent, enfin laissent entrevoir, craignent un peu, mais pas tant que ça, que le mouvement des jeunes et des chômeurs soit canalisé, voire récupéré : mines gourmandes et larmes de crocodile. Pauvre Ben Ali, s’il avait su, il se serait un peu plus accroché à son pactole ; il n’aurait pas fui comme un minable devant quelques milliers de loquedus braillards même pas armés. Il aurait dû – oh, comme il regrette maintenant – couper le flux sous le pied aux iPod et autres internautes, et continuer à faire tirer ses snipers dans le tas. On n’en serait pas arrivé à tout ce gâchis. Ailleurs, en Algérie, en Égypte, les gouvernements reconnus par la collectivité internationale et au caractère mieux trempé, font preuve d’un petit peu plus de « virilité ». On n’est pas dupes, sans en avoir l’air mais en fredonnant la chanson, les « informateurs » patentés préparent le populo à ce que les choses – bon an mal an – rentrent dans l’ordre des choses qui sont en ordre. Car cet élan démocratique commencé en Tunisie, répercuté en Algérie, en Lybie où les gueux résolvent à leur manière les problèmes de logement, et jusqu’en Égypte, produit un effet remarquable sur les hobereaux et les winners locaux de tout poil : celui d’une goutte d’acide insolemment lâchée sur la vermine grouillante, la vermine affolée qui crisse sur le tas brenneux exsudé d’une fosse à merde crevée par quelque séisme bienvenu. Pour ces beaux messieurs et dames, la « démocratie » c’est tout bon, surtout dans les titatas des fumeux discours électoraux ou dans les creuses déclarations d’intention faites pour ne jamais être suivies d’effet. Celles qu’on peut lire dans certaines presses aux employeurs douteux. Mais faudrait voir à pas mettre la charrue avant les bœufs : certes, la justice sociale viendra avec sainte démocratie – représentative, ça va de soi – mais un peu plus tard, quand la dette au FMI sera étanchée et quand les multinationales, ainsi que les régimes bananiers à leur service, auront peaufiné la machine magique : la pompe à aspirer le pognon pour les riches et à refouler le travail sur les pauvres. Ah, les contorsions minaudières de tous les éternels défenseurs de tous les éternels pouvoirs, les Védrine, les Juppé, les Obama, les Alliot…, ces partisans honteux d’un certain silence décent sur leur indécente réalité des choses, qu’ils nomment non sans un effronté cynisme la realpolitik. Il reste bien de la besogne aux anarchistes et aux hommes libres dans leur tête pour couper court à toutes ces grimaces et rendre enfin leur sens aux mots et aux organisations humaines.