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éditorial du nº 1607

Le jeudi 7 octobre 2010.

La loi Besson m’inspire une profonde haine mêlée de dégoût pour ses partisans. D’une part parce qu’elle isole des gens pour leur retirer ce qui en fait des humains : plus encore que leurs droits, leur dignité. Mais, me rétorquera-t-on, il y a pire ailleurs – la bonne blague. Et justement, ce « pire ailleurs » est une borne seulement plus éloignée sur la route qu’emprunte notre gouvernement bien-aimé. Ce qu’il s’agit de dénoncer, ce n’est pas seulement une décision politique prise isolément, ce n’est pas seulement une tendance politique aujourd’hui à l’œuvre, c’est une catégorie bien plus large de discours dont fait partie celui de M. Besson.

En effet cette loi renforce une injustice qui a pour cible de supposés nuisibles : les étrangers « non intégrés », et pour reprendre les termes mêmes de la loi, les étrangers « non assimilés ».

Ils sont nuisibles au sens où ils ne participent pas à l’accomplissement et à la reproduction des structures qui assurent aux puissants leurs privilèges. Une question m’est venue : alors que ce ne pourrait être qu’un instrument dialectique, cette exaltation nationaliste peut-elle être considérée comme une composante de l’idéologie dominante occidentale ?

À première vue, elle n’est pas cohérente avec la doctrine économique néolibérale au sens où les États et les frontières nuisent à la fluidité des marchés. Cependant à l’intérieur du système de domination différents champs (économique, politique, juridique, médiatique, etc.) et différentes échelles spatiales sont en lutte, de sorte que l’ordre social établi reflète les influences croisées de ces différents champs. Et la mixture idéologique qui en découle et qui cherche à justifier cet ordre social ne s’embarrasse pas d’être cohérente ; le nationalisme y trouve parfaitement sa place, ainsi que tous les systèmes d’idées qui instituent l’élimination de « nuisibles », par exemple les retraités, les chômeurs, les malades, les pauvres en général, et les réfractaires…

Tous les discours qui servent le pouvoir et en particulier ceux qui mènent une partie identifiable de la population à être privée de droits et de dignité annoncent un danger effroyable.

Coupables d’organiser des injustices nombreuses et massives, les dirigeants sont ceux qu’il faut impérativement empêcher de nuire.