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Immigration et sans-papiers

Main-d’oeuvre à bas prix pour les patrons

Le jeudi 18 janvier 2001.

Suite à la démission de Chevènement, il y a eu un léger flou après la nomination de Daniel Vaillant au ministère de l’Intérieur, concernant le sort des sans-papiers. Ferait-il pire, pareil ou mieux ? Eh bien la réponse est claire : Vaillant fait la même politique que son prédécesseur. Dans un premier temps, il renvoie les sans-papiers devant leurs préfectures respectives - ce sont les mêmes préfets qui ont débouté 63 000 sans-papiers de la circulaire Chevènement - ; il refuse de rencontrer les représentants des collectifs ; il ne veut pas abroger la loi Reseda qui pénalise les actes de solidarité par rapport aux sans-papiers ; enfin, il reste muet sur les centres de rétention et les zones de transit, malgré le rapport du socialiste J. Mermaz qui les qualifie « d’horreur de la République ».

Vaillant, et à travers lui le gouvernement Jospin, montre avec ces refus un mépris à l’égard de femmes, d’hommes et d’enfants présents sur le sol français depuis de nombreuses années. Il s’agit d’une volonté délibérée de maintenir la pression sur la population étrangère. À cela deux buts politiques : le premier, signifier à la population française qui a prêté l’oreille aux thèses de l’extrême droite que le gouvernement régule les flux migratoires : le deuxième, c’est qu’il faut garder les étrangers venus et à venir dans une situation de précarité telle qu’ils accepteront toutes les conditions pour avoir un travail leur permettant d’obtenir une possible régularisation.

« Renouveler le stock »
Si le gouvernement Jospin ne régularise pas, alors qu’une partie des pays européens a régularisé « ses » étrangers, c’est qu’il a une logique : écouter le patronat à la recherche d’une main-d’œuvre très bon marché. Depuis deux-trois ans, les patrons multiplient les déclarations du type « il faut inverser les flux migratoires » ou, comme l’a dit plus crûment le porte-parole des patrons du BTP : « il faut renouveler notre stock de main-d’œuvre étrangère ».

Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a plus de chômage en France ou que les patrons vont se tourner vers les étrangers nouvellement régularisés ou vers leurs enfants qui sont sans activité dans les cités. Loin s’en faut. D’une part, le patronat a besoin d’une armée de réserve de chômeurs pour son équilibre économique et pour empêcher toutes velléités revendicatives chez les salariés. Un peu plus de deux millions de chômeurs semble être le seuil choisi. D’autre part, en ce qui concerne les jeunes issus de l’immigration, malgré leurs diplômes, ils sont jugés trop rebelles et trop au courant de leurs droits. Ce qui fait que ces jeunes (à quelques exceptions près, évidemment) se retrouvent plus facilement chez McDo que chez Total ou Vivendi.

Logique du capital
Le patronat connaît actuellement des difficultés de recrutement. Continuant sa politique de faible rémunération, de conditions de travail difficiles, malgré une centaine reprise économique, il crée un salariat très instable. Après avoir supprimé de nombreux emplois, aujourd’hui la recherche de nouveaux salariés est devenue plus forte, du coup la plupart des jeunes embauchés passent de boîte en boîte, cherchant le meilleur poste. Mais aussi lorsqu’on a besoin d’intervenants, pour l’entretien de machines, pour des chantiers, il se trouve prisonnier de sa propre logique : à vouloir faire marcher la concurrence, à vouloir abaisser le coût au maximum, le patronat (mais aussi les pouvoirs publics) se retrouve avec des chantiers qui durent plus longtemps que prévu, du matériel de mauvaise qualité qui casse rapidement et devant des salariés en passe d’être en position de force. Ce rapport de force peut les amener à demander des augmentations substantielles et de meilleures conditions de travail.

Les patrons se tournent donc vers l’immigration pour freiner de nécessaires évolutions salariales dans des secteurs tels que le bâtiment, la restauration, la mécanique et l’informatique. L’Asie fournit pour l’informatique, les pays de l’Est pour les transports, l’Afrique pour le bâtiment, etc. Les viviers existent évidemment, vu l’extrême pauvreté dans laquelle ont été jetés ces pays et continents.

Le patronat veut donc de la « chair fraîche » mais à bas prix et dans des situations telles que toute rébellion est impossible. C’est là qu’intervient le gouvernement : en maintenant les étrangers dans le non-droit, ils deviennent une proie facile pour le MEDEF et consorts, une main-d’œuvre corvéable, docile, qu’on peut jeter facilement. Le patronat et le gouvernement ne font qu’actualiser, à la sauce libérale, l’esclavage et le racisme, en précarisant les étrangers et en fournissant des travaux « ethniquement sélectionnés ».

Le MEDEF parle de liberté de circulation de la main-d’œuvre (au même titre que pour les capitaux), il n’est pas question pour lui que les étrangers s’installent avec leurs familles. Une fois pressées de leur force de travail, les étrangers doivent retourner dans leurs pays.

Il va sans dire que cela n’a rien à voir avec ce que demandent les collectifs de sans-papiers et avec eux les libertaires de tous poils : la liberté de circulation et d’installation, la régularisation pour l’égalité des droits et le partage des richesses.

C’est pour cela que nous manifesterons le 27 janvier prochain à Paris.

Jean-Pierre Levaray. — groupe de Rouen