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éditorial du nº 1219

Le jeudi 2 novembre 2000.

Oui, on peut dire que leurs actes étaient horribles, oui, on peut les trouver terrifiants. Mais doit-on pour autant les lyncher sur la place publique ?

Depuis deux semaines, tous les jours, nous avons droit aux dernières nouvelles du procès du siècle, celui des frères Jourdain.

Il y a la douleur des proches des victimes, celles qui ont de toutes façons perdu tellement plus que ne leur rendra l’institution judiciaire. Il y a leur colère et leur impuissance. Il y a ces deux frères, incapables de s’exprimer, refusant de reconnaître leurs actes, qui savent que quoi qu’ils disent, ce ne sera pas ce qu’il faudra. Et puis il y a la haine qui transparaît de tous les comptes rendus. Un sinistre engouement pour cette sordide histoire semble s’être emparé de tous les médias français, et chaque journaliste a l’air de regretter la fin de la peine de mort.
Non pas que leur geste soit excusable, mais on ne peut jeter la pierre sans prendre un minimum la mesure du contexte. Comment se fait-il qu’après avoir passé tant d’années en prison, ils récidivent de nouveau ? N’y a-t-il pas là vraiment matière à réfléchir ? Dans un absolu utopique, ne serait-ce pas là le travail du journaliste ?

Mais ici comme ailleurs, le sensationnel prend le pas sur un véritable travail d’information. Rarement les termes employés auront été aussi violents. Tous les curés pédophiles qui se retrouvent aussi sur le banc des accusés ne sont jamais traités d’animaux. Pourtant l’horreur que soulèvent leurs actes est la même. Sans doute le prestige de la soutane, et le poids d’une institution telle que l’Église empêche nos joyeux chroniqueurs de déverser leur chape de haine. Pour les frères Jourdain, tout y passe, jusqu’au village terrorisé par la présence des deux ferrailleurs. Ils sont traités de barbares, d’animaux. Toujours décrits comme des sauvages, aucune circonstance atténuante ne leur sera accordée.

Pourtant, ce sont aussi des individus. Quels que soient leurs actes, ce sont des humains, et refuser de le reconnaître ouvre la porte à de dangereuses dérives. La déshumanisation des éléments rejetés d’une société est une méthode bien connue de certaines politiques en chemise brune. L’appel à la haine aussi. Alors, il ne s’agit pas de traiter tous les journalistes de fascistes en herbe, mais de pointer du doigt le traitement médiatique et social des déviants. De pointer du doigt un discours qui fait appel au ressenti et non à la raison. Il est vrai qu’il est bien plus facile de nier la réalité de tels comportements, de faire comme s’ils n’étaient pas de la même espèce que nous. Mais c’est faux. Et il faudra bien un jour arrêter de se voiler la face. Et se poser la question du traitement de tels individus, car même pour les animaux, il ne suffit pas de les mettre en cage pour faire disparaître le problème.