Accueil > Archives > 1998 (nº 1105 à 1145) > 1134 (1er-7 oct. 1998), marqué 1er-6 oct. > [« Du rouge au noir : mémoire vive d’un porteur de valise » Gérard Lorne]

« Du rouge au noir : mémoire vive d’un porteur de valise » Gérard Lorne

Le jeudi 1er octobre 1998.

Il était une fois un rebelle, un fils du peuple qui voulait changer le monde. En ce temps là, le Parti communiste français avait fait main basse sur l’espoir et c’est tout naturellement vers lui que le petit plombier-zingueur parisien Gérard Lorne dirigea ses premiers pas. Est-il besoin de le préciser, notre nunuche politique, version Gavroche au pays du stalinisme, s’y comporta en rebelle.

L’heure était, dans la clandestinité, à essayer, via des revues comme La Voie communiste, de « réformer » le monstre. L’heure était également à prendre ses responsabilités par rapport à l’histoire et à endosser le bleu de chauffe de l’action. Aussi, quand au milieu des années cinquante le peuple algérien se mit en tête de secouer le joug colonial que la France lui imposait depuis presque deux siècles et d’habiller ce combat de la gandoura socialiste, notre rebelle n’hésita pas longtemps.

Contre l’opinion du P.C.F., qui était alors contre l’indépendance de l’Algérie, il décida d’aider la révolution algérienne et le F.L.N.

En accueillant des militants en délicatesse de…, en prêtant son appartement pour…, en rendant les mille et un « petits » services qu’ont toujours rendu les « fourmis rouges prolétariennes » du portage de valise… Et il le paya cher. Très cher !

Le Parti communiste français l’excommunia en lui taillant le costume « hitléro-trotskiste-petit-bourgeois » habituel. La police française l’arrêta après avoir trouvé chez lui le « trésor » du F.L.N. (44 millions de l’époque). La bourgeoisie française et sa justice le condamnèrent à vingt ans de prison pour…

En ce temps là les chemins buissonniers de l’engagement politique était pleins de ronces acérées ! Et pour Gérard Lorne ce n’était que le début du chemin. À la faveur d’une permission de sortie pour rendre visite à sa gamine qui était au plus mal (elle avait la maladie du « sang bleu » et avait une espérance de vie extrêmement réduite), il prit la poudre d’escampette et gagna le Maroc où le F.L.N. bénéficiait de l’hospitalité du tout nouveau royaume chérifien indépendant.

Et le combat continua

Sans moyens aucun, sans davantage d’argent, Gérard Lorne s’attela à monter de toutes pièces un collège technique d’un genre un peu particulier. Et il réussit ce challenge.

Des rencontres de tous ordres avec les militants algériens, des personnalités comme Yasser Arafat ou le chef trotskiste Pablo qui avait pris en main l’achat et la fabrique d’armes pour le F.L.N., des discussions sans fin sur la révolution, le socialisme, l’avenir, des actions tous azimuts, émaillèrent bien évidemment ce séjour au Maroc et lui firent comprendre que l’avènement de l’indépendance algérienne, fut-elle drapée dans le manteau de lumière du socialisme, n’était pas exempte des tares ordinaires de la lutte pour le pouvoir.

Bref, le rebelle commença à prendre de la distance par rapport à…, remit une fois de plus son ouvrage sur le métier et arpenta de nouveau les chemins de l’exil. Au Maroc, en Tchécoslovaquie (Gérard Lorne, comme par hasard, était à Prague lors du printemps de 1968), en Amérique latine… Jusqu’à ce que la prescription opère et qu’il puisse de nouveau fouler le sol français.

C’était il n’y a pas si longtemps. Et c’est avec armes, bagages, famille et toujours ses foutues idées qu’il vint s’installer en Ariège du côté de Saint-Girons. Il acheta des ruines. Il les remit en état. Il s’y installa en communauté familiale et il mit en branle un des premiers lieux de vie (Thélème) accueillant des toxicos.

Il s’y usa une nouvelle fois l’espoir sur la pierre ponce de la réalité et il reprit sans hésiter son courage à deux mains pour, une fois de plus, une fois encore, remonter son rocher d’éternel rebelle sur la colline (que certains disent absurde) de Sysiphe. Aujourd’hui, il promène son regard clair de vieux Gavroche partout où ca bouge un peu en Ariège et ailleurs. Et c’est peu dire, qu’orgue de barbarie aidant et engagement libertaire de tous les instants (il se dit même ici et là, alors que ce n’est bien évidemment pas vrai, qu’il est à la Fédération anarchiste), le bougre continue de faire des ravages.

Ce livre, pudeur de l’auteur oblige, nous conte tout cela (ce parcours rare du P.C.F. à l’anarchisme, en passant par le portage de valise, les communautés, les lieux de vie…) dans le cadre d’un roman historique plus vrai que nature.

Lisez ce bouquin. C’est une fresque historique remarquable. C’est un voyage étonnant dans les culs de basse fosse de l’escroquerie du siècle (Marx et crève !). C’est plein d’humour et de gravité. C’est pas mal torché du tout. Et c’est le premier livre d’un jeune homme de presque 70 ans qui ne nous livre rien d’autre qu’un formidable message d’espérance. Celui d’une vie rouge de hasard mais noir de cœur et désormais de conviction.

Jean Marc Raynaud


Éditions du Monde libertaire, 250 pages, 60 FF.