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« L’École ou la Guerre civile » Philippe Meirieu, Marc Guiraud

Le jeudi 23 octobre 1997.

Disons le tout net, ce livre fait partie des grands livres sur l’école et l’éducation.

Oh certes, il n’a pas la flambloyance de L’Émile de Rousseau, la bonhomie roublarde des textes de Rabelais, la martialité prolétarienne des bouquins de Freinet, l’ironie désenchantée des poèmes extrêmes de Fernand Deligny, mais !

Mais, comme eux, il a cette densité rare et simple de l’essentiel. Comme eux, il nous immerge dans ce qu’on ne cesse d’oublier et de nous faire oublier, c’est à dire le pourquoi des choses et de la vie. Comme eux, il ose l’aventure au cœur du sens. Et en cette fin de vingtième siècle qui voit les ronces aigres de l’individualisme, de la loi du plus fort, de la peur, de la résignation, de la hargne intégriste… buissonner hardi tiens bon sur les cimetières de l’espoir, c’est peu dire que, comme eux, il fait désordre dans le paysage.

Premier temps de ce livre, il constate que la société du moment, parce qu’elle est vérolée par la misère, le chômage, la précarité, l’implosion des repères familiaux, des solidarités traditionnelles de voisinage ou de classe et par le passéisme religieux, nationaliste, xénophobe, raciste, individualiste, claniste, est au bord de la guerre civile.

C’est assurément un fait, mais encore convient-il de l’annoncer clairement et d’en prendre toute la mesure.

C’est ce que font Philippe Meirieu et Marc Guiraud quand ils nous expliquent que l’École, parce qu’elle est partie prenante et intégrante de cette société, parce qu’elle est devenue incontournable dans la perspective d’une réussite sociale de plus en plus rare et de plus en plus dérisoire (pour un emploi-jeune rémunéré au SMIC il faut avoir le bac), parce qu’elle se voit investie de la part de familles en perdition de missions éducatives pour lesquelles elle n’a pas été préparée et qu’elle n’a peut-être pas à gérer, parce qu’elle est minée par l’orientation prématurée, la sélection « abusive », l’apartheid de la « reproduction massive des inégalités sociales », l’illettrisme, l’échec et la réussite scolaire scotchés à l’origine sociale, la « babélisation » à la mode de la laïcité « ouverte », la violence, participe pleinement de cette situation.

Est-il besoin de le préciser, pour énoncer clairement la réalité du moment en termes crus, ils n’en sont pas pour autant manichéens ou caricaturaux et ils ne jettent la pierre à personne.

Et c’est peut-être pour cela qu’ils proposent. Qu’ils esquissent des réponses, des manières de solutions qui, parce qu’elles sont à la mesure de leur constat, dérangent le Landernau ordinaire qui oscille sans cesse entre le retour à un passé de jules-ferrisme made in rigueur, discipline, niveau, égalité des chances, renforcement de la sélection… et la fuite en avant vers un libéralisme de division sociale extrême entre les pauvres et les riches, un sous-service public de merde pour les gueux et de grandes écoles pour les riches, un renforcement de la sélection…

Un programme de réforme…

Leurs solutions qui reposent sur un choix politique fondamental (l’École doit être avant tout un espace de formation à la démocratie), ce sont : un nouveau contrat entre la société et son école, l’école obligatoire entre trois et seize ans dans les écoles publiques ou privées qui respectent un certain nombre de principes (pas de sélection à l’entrée sur des critères de race, de religion, d’origine sociale ou de niveau scolaire), apprendre aux enfants à comprendre le monde et à se comporter en démocrates, maintien du principe (avec aménagements) de la carte scolaire, classes hétérogènes coexistant avec des groupes homogènes et ponctuels, suppression du redoublement et de la sélection pendant toute la durée de la scolarité obligatoire, systématisation de la pédagogie différenciée avec une nouvelle gestion des emplois du temps, restituer les savoirs dans les questions fondatrices qui leur ont donné naissance, réorganisation des programmes autour d’objectifs noyaux, création d’un certificat d’école obligatoire, services enseignants définis en termes de cahier des charges faisant l’objet d’un contrat individuel, corrections obligatoirement associées à un diagnostic et à une « ordonnance de soins », chaque enseignant suit ses élèves pendant deux ans, rattachement des écoles primaires au collège, mise en commun des ressources de cet établissement public, création de conseils divers, d’instances de médiation…
C’est beau comme du Victor Hugo !

Hélas, trois fois hélas, si le Père Noël de la république vertueuse existait au royaume du capitalisme et de sa propension à l’exploitation et à l’oppression de l’homme par l’homme, ça se saurait.

Là est tout le drame de ce livre qui nous récite sur un mode absolument pathétique une énième version (bouleversante, en l’occurrence) de la bondieuserie réformiste. Oui, la société du moment (parce qu’elle est capitaliste) va vers la guerre civile, oui l’école de cette société participe de ce processus et le légitime, mais si république il doit y avoir un jour, ce ne sera pas en faisant l’économie du coupage des têtes royales, baronesques, bourgeoises, petites-bourgeoises, patronales, curaillones, syndicalo-corporatistes, étatico-machin chose, qui toutes bouffent à la gamelle de la division sociale. Dans ces conditions, c’est peu dire que ce livre aura un succès d’estime indéniable et que toutes les couilles molles de la réforme y feront référence en en parlant comme d’Attila. Et on voudra bien me pardonner d’espérer que ses auteurs fassent un jour le saut de la révolution sociale et que nous puissions, après nous être débarrassés du chancre capitaliste, construire un autre présent et un autre futur à partir de leurs projets dont c’est peu dire qu’ils pourraient être les nôtres s’ils ne s’habillaient pas des hardes grotesques de la république et de la démocratie à la mode du capitalisme et de la bourgeoisie.

Camarades Meirieu et Guiraud, encore un effort, vous aurait sûrement dit le divin marquis !

Jean-Marc Raynaud


Éditions Plon, 220 pages, 99 francs français.