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éditorial du nº 731

Le jeudi 22 décembre 1988.

Arménie-Palestine : une avalanche de pierres et de douleur réunit ces deux peuples. Le séisme qu’a connu la semaine dernière l’Arménie a été du pain béni pour les vautours de tout plumage : adeptes de la charité sélective, pleurnichards rampants dont nous connaissons la valeur des larmes, montreurs d’images sordides, de ruines et de corps rompus… L’Arménie aura satisfait ces volatiles peu recommandables. Abreuvés d’images, de quêtes, de mots, nous assistons au calvaire d’une population à laquelle Gorby — encore lui — vient de donner le bâton. La nullité des secours apportés par l’oncle russe avait surpris les équipes occidentales, mais puisqu’équipes occidentales il y avait, ce qui en soit est un signe incroyable d’ouverture, il valait mieux s’abstenir de critiquer. Mais Gorby, grand ordonnateur de la bourgeoisie rouge, profitant de l’aubaine sismique pour réprimer durement le mouvement nationaliste arménien, provoque une dissonance sérieuse dans la limpide glasnost. Le mauvais ciment qui soudait les pierres aujourd’hui disloquées lui aura servi politiquement. Lorsqu’on frappe un peuple endeuillé, la transparence s’opacifie.

Les pierres aussi on donné à la Palestine le droit à la « crédibilité occidentale ». L’Intifada, cette guerre des pierres, à mains nues contre une armée d’occupation, prouve à la face du monde la détermination, la ténacité et le courage d’un peuple qui revendique le droit à sa terre et à sa dignité. La récente reconnaissance d’Israël par le leader de l’OLP, l’abandon du terrorisme, et le recours au dialogue ont réussi en quelques semaines, et par un habile jeu diplomatique, ce que de longues années de lutte armée n’ont jamais permis : l’isolement d’Israël. Même les États-Unis acceptent la discussion avec l’OLP, c’est dire les garanties qu’a dû donner Yasser Arafat. Hier encore, Arafat était interdit de séjour à New-York, parce que dangereux terroriste, et aujourd’hui, l’Oncle Sam se dit prêt au dialogue. La situation serait comique si tous les jours l’armée israélienne ne se montrait — à l’image de toues les armées de la planète — d’une efficacité meurtrière redoutable. La partie d’échecs diplomatiques qui se joue à l’échelle planétaire semble découvrir un avantage à l’OLP et sa hiérarchie.

Et ceux qui souffrent de ces stratégies de haut vol, ceux auxquels on ne demande que de jeter des pierres ou de recevoir du plomb, verront-ils leur situation améliorée par leur futur chef de l’État palestinien en gestation ? À reprendre l’histoire des luttes de libération nationale, les échos qui nous viennent d’Algérie nous conduisent à soumettre fraternellement ce conseil à nos amis palestiniens : « Gardez vos pierres compagnons, car demain il faudra affronter vos maitres palestiniens ! ».