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Luttes antipatriarcales…

Et les hommes dans tout ça ?

Le lundi 1er mai 2000.

Depuis les années 70, le mouvement féministe a permis la prise de conscience et la dénonciation publiques de l’oppression des femmes par un système pluricentenaire : le patriarcat. Bien que trop souvent considéré-e-s par les hommes comme des « histoires de bonnes femmes », les questionnements et revendications féministes en ont quand même interpellés plus d’un. Certains hommes, solidaires des luttes des femmes et ne voulant pas en rester au simple soutien (via manifs ou pétitions), ont alors et depuis entamé une réflexion, personnelle et collective, sur la place et le rôle que leur assigne le patriarcat. Réflexion qui reste hélas ! toujours d’actualité, mais (ou plutôt : car) trop peu menée.

« C’est l’histoire de mecs… » : des groupes d’hommes contre le patriarcat, d’hier à aujourd’hui

Les « pionniers »
Les premiers groupes d’hommes apparaissent au cours des années 70 (1975 en France). Y seront abordés des thèmes comme la sexualité, la paternité, la violence, la pornographie, la contraception masculine, l’homosexualité, l’identité masculine, la virilité, les rôles sociaux et sexués… En France, ce travail est essentiellement le fait de groupes tels l’Association pour la recherche et le développement de la contraception masculine (ARDECOM), ou de la revue Types-paroles d’hommes, qui fonctionnèrent tant bien que "mâle" jusqu’au milieu des années 1980, puis sombrèrent peu à peu…

La nouvelle vaguelette
Depuis une dizaine d’années, de nouveaux groupes d’hommes sont apparus, avec des démarches et des orientations variées : approche thérapeutique au Québec, où un réseau d’hommes s’est constitué à l’initiative du psychanalyste Guy Corneau, approche libertaire (mouvance des squatts, camping antipatriarcal mixte, etc.). En 1997 s’est créé un Réseau européen d’hommes proféministes, rassemblant des hommes antisexistes de tous horizons.

Par contre, nous trouvons des groupes dont le discours est plus ou moins (et plutôt plus que moins !) réactionnaire, antiféministe, etc., tels les mouvements pour la condition paternelle en France ou les Promise Keepers aux États-Unis. On peut aussi se demander si le regain d’intérêt religieux de certains hommes — surtout dans sa version dure : « intégrismes » musulman, chrétien, juif… — ne fait pas partie de cette dynamique-là ! La religion constitue en effet l’un des piliers du patriarcat et offre un refuge, un bastion, aux hommes qui ne supportent pas la remise en cause de leur identité, de leur place (dans la famille, la société), et surtout de leur pouvoir (sur la famille, la société, et sur les femmes en particulier) !

Des raisons qui ont pu (et peuvent) faire en sorte que les hommes bougent un peu…

Quelles furent ­ quelles sont ­ les motivations de ces « pionniers » antipatriarcaux à s’engager sur un terrain si difficile et pénible, sous le regard méfiant des féministes et l’œil moqueur de leurs « frères » ? C’est surtout pour eux la ferme volonté de refuser le rôle d’oppresseur, ainsi que les nombreux avantages que le patriarcat leur donne. C’est le refus des différentes formes de violences masculines permettant cette domination. C’est aussi le refus du conditionnement et de la reproduction éternelle des stéréotypes patriarcaux : le « héros » (l’autiste !), qui ne parle jamais de sa vie sentimentale, et surtout pas avec les copains ! ; le « conquérant », et sa sexualité agressive ; le « chef de famille », dont la seule perspective est de s’épuiser au travail ; les clichés de « bandes d’hommes » au stade, au bar, à l’armée…

Ce conditionnement peut devenir insupportable pour ceux qui correspondent peu aux clichés, pour ceux qui ont choisi de rompre avec le patriarcat, et particulièrement pour les homosexuels, pour qui il n’y a pas de place dans la logique « traditionnelle » patriarcale. Mais l’homosexuel profite quand même des inégalités économiques, une des caractéristiques du patriarcat (un salaire plus élevé, moins de difficulté à trouver du travail…). Car si l’homosexuel est et reste un traître à la sacro-sainte virilité et au « clan » des hommes, il est et reste quand même toujours… un homme ! À condition, bien sûr, que son homosexualité ne soit pas visible, assumée ou qu’il ne soit pas « efféminé » — suprême trahison ! Toutefois, les souffrances et l’aliénation des hommes dûes au patriarcat n’ont littéralement rien à voir avec l’oppression des femmes. La souffrance engendrée chez les hommes antipatriarcaux est, en général, la conséquence d’un choix : celui de ne pas/plus supporter le système patriarcal. De plus, ils ont toujours la possibilité de « s’arranger », partiellement ou complètement, avec celui-ci pour être tranquilles. Même les hommes les plus conscients restent susceptibles de reproduire ou ranimer les comportements les plus anachroniques : des « rechutes » terribles dans les réflexes patriarcaux sont, hélas ! plutôt la règle que l’exception. Une méfiance et une vigilance profondes des militants antipatriarcaux envers eux-mêmes et leurs camarades restent indispensables. La lutte féministe ­ qui était déjà à l’origine des efforts de ces hommes ­ doit rester la référence primordiale, l’orientation générale pour eux.

Ce n’est toutefois pas un appel à (ni une excuse pour) se vautrer dans le canapé et laisser les efforts idéologiques aux femmes ! Au contraire, messieurs, nous avons du boulot : il nous faut acquérir la conscience de notre implication dans les mécanismes de domination, en se posant quelques questions, en appuyant là (surtout) où ça fait mal ! Quels aspects du patriarcat perpétuons-nous ? Quel décalage y a-t-il entre nos idées et nos pratiques ? Comment éviter de réemployer ces mécanismes et ces comportements de domination ? Comment découvrir et définir nos identités individuelles au-delà du conditionnement collectif ?

L’existence de rapports de domination et d’exploitation étant incompatible avec l’idéal ­ et a fortiori la pratique ­ anarchiste, de tels rapports paraissent difficilement justifiables par un militant anarchiste. « Le privé est politique » est un « mot d’ordre » qui appartient et à l’anarchisme, et au féminisme. Il serait donc dommage que des hommes anarchistes passent à côté de telles réflexions.

Martin et Laurent. — GroMéLiFA