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Quinzaine d’enfer à Lille

Chevènement veut en finir avec les sans-papiers

Le jeudi 8 juin 2000.

Un squat expulsé, un camarade inculpé, la Bourse du travail cernée par la police à deux reprises pour tenter d’évacuer les sans-papiers en grève de la faim et la criminalisation de l’ensemble du mouvement social… Le bilan des quinze derniers jours à Lille commence à peser lourd.

Mardi 22 mai, le squat d’habitation situé rue Paul Lafargue à Lille, ouvert depuis plus d’un an, était expulsé par la police. Les squatteurs sont remarquablement calmes après cette deuxième expulsion en un mois. Mais Olivier, militant de longue date du mouvement squatteur, a été interpellé violemment par la police et inculpé de « violences volontaires ayant entraîné une Interruption totale de travail inférieure à huit jours » et d’« outrage à magistrat » : il aurait menacé l’huissier présent sur place. Olivier passe en procès le 27 septembre à Lille. Un comité de soutien se constitue et lance un appel à signature [1].

Mais ceci n’est peut-être rien en rapport à ce qui attendait les sans-papiers en grève de la faim depuis le 8 avril à la Bourse du travail pour obtenir la régularisation des 112 personnes qui avaient été expulsé-e-s de l’IEP à la mi-mars et avec lesquels la préfecture se refuse toujours à négocier.

La stratégie de la tension

Vendredi 26 mai à 6 heures du matin, la police investit la Bourse du Travail de Lille et procède à une « évacuation sanitaire ». Pelloutier doit se retourner dans sa tombe. Tout-e-s les grévistes refusent les examens médicaux, et sont de retour dans l’après-midi. Les syndicats protestent. Mais n’avaient-ils pas demandé au préfet un suivi médical des grévistes de la faim (communiqué commun CGT-CFDT-FO du 22 mai) ?

Le lundi 29, face à de nouvelles menaces d’expulsion, la CGT organise une mobilisation militante pour le mercredi 31 à 5 heures du matin à la Bourse et les jours suivants, si l’expulsion n’a pas lieu ce jour. Présence qui est déjà effective depuis longtemps de la part des soutiens (dont les étudian-t-e-s du Comité de soutien étudiant aux sans-papiers, particulièrement actif). Une vingtaine de militant-e-s syndicaux seront présent-e-s ce mercredi et le lendemain. Mais ce ressaisissement des syndicats n’allait être que temporaire. La CFDT, qui n’était déjà guère présente, ne donne plus signe de vie. FO se complaît dans son rôle de collabo. Quant à la CGT : panique à bord.

Le mercredi 31 à 17 heures, nouvelle opération policière sur la Bourse du travail. Objectif avoué : obtenir des grévistes leur hospitalisation. Objectif réel : faire monter d’un cran la pression sur leurs épaules comme celles des syndicats : la préfecture annonce avoir saisi le procureur de la République de poursuites contre Roland Diagne, leader du Comité des sans-papiers et Philippe Destrez, secrétaire de l’UD-CGT au motif de « non-assistance à personne en danger ». Le jeudi 1er juin, l’UD manifeste seule et obtient une entrevue avec la Préfecture. Le lendemain, l’UD-CGT publie un communiqué de presse dénonçant la mauvaise volonté de la préfecture et surtout « l’irresponsabilité » du Comité des sans-papiers, communiqué appuyé d’une interview déplorable de Philippe Destrez dans Nord-Éclair.

Vendredi 2 : entrée en scène de la mairie, qui ordonne la fermeture des salles occupées à la Bourse du travail pour raisons de sécurité.

Samedi 3 juin, la messe semble donc dite, après la défection lamentable de l’UD-CGT. La préfecture n’a le choix qu’entre l’ouverture de négociations (au 57e jour !) d’une part et l’expulsion des grévistes, leur hospitalisation, la fermeture des locaux syndicaux et la criminalisation des soutiens des sans-papiers d’autre part. Au risque d’une perte totale de contrôle de la situation devant des grévistes réellement décidés à la faire céder, quel qu’en soit pour eux le prix. Car ce qui se joue à Lille, c’est aussi la survie pure et simple du mouvement des sans-papiers. Les grévistes ne peuvent plus céder : cela signifierait qu’ils perdraient toute chance d’être régularisés. Deux mois de souffrances pour rien ? !

Criminalisation de tout le mouvement social

Le préfet de police dit maintenant vouloir poursuivre l’ensemble de celles et ceux qui soutiennent les grévistes et ne tenteraient pas de les faire cesser leur mouvement. Autant dire le mouvement social dans sa globalité. La mairie en profite pour dénoncer une prétendue filière de clandestins à laquelle participerait le Comité des sans-papiers. La campagne de presse est particulièrement puante. On se dirige tout droit vers l’application du délit de solidarité institué par la loi Chevènement (art. 20) à l’égard des personnes qui soutiennent les étrangers en situation irrégulière.

Chevènement qui, d’après le préfet, a pris en main le dossier, semble décidé à ne rien céder et à liquider l’un des derniers foyers de résistance des sans-papiers. Que la ville soit propre avant les municipales !

Reste à l’heure où sont écrites ces lignes (samedi 3 juin) qu’il lui faut compter avec la détermination des intéressé-e-s, qui mènent l’un des mouvements les plus durs que l’on ait connu sur Lille. Ainsi qu’avec tout celles et ceux qui les soutiennent jour et nuit à la Bourse du Travail. Et nous en sommes plus que jamais. Des papiers pour tous et toutes.

Bertrand Dekoninck. — groupe de la Métropole lilloise de la FA


[1Pour toute information et soutien, reportez-vous au site Internet http://altern. org/squatalille. Adresse e-mail : squattalille@altern.org.