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« Je pense donc je nuis » Serge Quadruppani

Le jeudi 30 octobre 1997.

Adrénaline, stupre et cyberfun au petit-déj, voici ce qui attend qui décidera de lire les aventures d’@lias au lever du jour.

Les auteurs de polars nous avaient au fil des ans habitués à une morne description du quotidien des campagnes, des villes ou de leurs banlieues où les victimes comme les coupables étaient en droit de se revendiquer du destin (ou de sa sister amorphe et légitimante, la détermination de classe, à la sauce Bourdieu ou à la mode « Beurre-Œuf-Fromages »), les définissant si scrupuleusement dans leur banalité que nous avions oublié que l’excès pouvait être de la partie. Et pourtant…

Pourtant il s’est trouvé une équipe d’écrivains pour nous faire retomber sur une terre où les méchants le sont vraiment et les bons pas tant que cela… d’ailleurs quels bons ? Même les comparses du Dobermann [Série cul-culte de Joël Houssin.] s’en trouvent affadis.

Rien ne nous est épargné. Terrorisme, violence, grossièreté, sadisme à faire passer la dame de Misitival [Les Instituteurs immoraux — Sade.] pour une privilégiée de la littérature, sexisme primaire, bilatéral et jubilatoire.

C’en est si démesuré que l’on n’ose pas croire ce que l’on lit. Ce qui en temps normal nous rendrait malade y est si démesuré qu’on trouve presque sympathique les dépravés de service.

Bien sûr, tout ça regorge de clins d’yeux aux « grands ancêtres » (Bravo, Serge, pour ta soupe au poulpe) et d’allusions aux affreux du réel… mais, bon ! ça laisse rêveur et c’est une autre histoire.

En deux mots et le souffle coupé, il s’agit d’un cybercriminel, frappadingue, hypocondriaque et aux personnalités multiples, qui a décidé que le monde était si pourri que la seule solution était de le foutre définitivement en l’air à grand renfort de drogues, d’arnaques et d’ogives nucléaires.

En face de ce sympathique personnage, une foule de tristes machins que nous n’oserons pas qualifier d’humains se démène dans une chasse à l’homme pitoyable et post-coïtale…

Quoi qu’une certaine vieille ne s’y décide pas à déposer les armes. Nous bénéficions même d’un irrésistible et scatologique entartage d’intellectuel dans le vent. C’est vous dire où cela volette.

Si cette entrée en matière ne vous a pas dissuadé d’aller au devant du truand hilarant nommé @lias, peut-être retrouverez-vous dans la lecture des deux premiers romans de la série le goût de ces BD pour adultes des années soixante (Madame Atropos, Diabolik, etc.) avec une certaine émotion et le puritanisme de l’époque en moins.

Même si on ne peut prétendre qu’ils renouvellent le style, Serge Quadrupani (victime d’une chasse aux sorcières médiatique qui n’est pas sans évoquer les plus pitoyables et ignobles heures du MacCarthysme) et Max Morora (dont j’ignorais jusqu’à ce matin l’existence mais qui se fera sans doute un plaisir de me la révéler d’un mail vengeur) nous proposent ici une bouffée de primarité marrante à laquelle il serait, à mon avis, dommage d’échapper.
Ceci dit, et sans vouloir passer pour un vieux con moralisateur, c’est le genre de bouquin que je ne laisserai pas entre les mains de ma gamine de onze ans, ni entre celles de ma mère. Ca se déguste comme un film porno, sans en parler… ou presque.

Alain L’Huissier, groupe de la Villette


Collection Alias, 35 FF.